Ce mardi matin, on a pris le temps de faire quelque chose que Laurent Wauquiez n’a sans doute jamais fait. On a attrapé notre téléphone et on a passé quelques coups de fil aux habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon. Avec ses quatre heures de décalage horaire, l’archipel se réveillait tout juste, encore groggy de voir que « le caillou » faisait encore une fois parler de lui. Après avoir appris qu’il faisait l’objet d’une taxe à 50 % sur les produits américains sans vraiment comprendre pourquoi, ce territoire d’outre-mer situé non loin du Canada s’est vu cité par Laurent Wauquiez comme lieu privilégié pour accueillir un centre de rétention. Sans n’avoir rien demandé, voilà que Saint-Pierre-et-Miquelon était au cœur d’une improbable polémique amorcée par le député de la Haute-Loire. Dans une interview au JDNews, Laurent Wauquiez n’a pas trouvé meilleure idée que d’imaginer un centre pour migrants sous OQTF (obligation de quitter le territoire français) sur l’archipel. Avec des arguments délicieux : « Il fait 5 degrés de moyenne pendant l’année, 146 jours de pluie et de neige. Je pense qu’assez rapidement, ça va amener tout le monde à réfléchir. » Tollé général en métropole. Mais pas que. La météo à Saint-Pierre-et-Miquelon est loin d'être aussi triste que Laurent Wauquiez peut le penser. L'été, il peut y faire jusqu'à 25 degrés. - Cécilia S. Sur l’archipel, ces quelques phrases ont évidemment fait réagir. « Tout le monde en parle », reconnaît Cécilia. « Parce que ça nous a tous choqués ici. Ça ramène Saint-Pierre à un statut de bagne. C’est très grave de dire ça », explique l’assistante maternelle, qui habite à Saint-Pierre depuis six ans. Si les mots de Laurent Wauquiez ont blessé, ils ont aussi fait sourire, tellement le portrait de l’archipel dressé par le candidat à la présidence des Républicains est raté. « C’est de la pure ignorance. Car tout le monde sait que c’est le paradis ici ! », résume Patricia Detcheverry, guide de voyage née sur le caillou il y a cinquante et un ans. Des Bretons, des Basques et des Normands Le député de droite a sans doute oublié que, contrairement aux îles Kerguelen, l’archipel était habité par plus de 6.000 personnes à l’année. Des Bretons, des Basques, des Normands (les trois drapeaux sont représentés), mais aussi des Canadiens possédant la double nationalité. Des Français heureux, qui apprécient la quiétude de l’île et surtout le très grand sentiment de sécurité qui y règne. « Mes enfants, ils vont à l’école seuls depuis qu’ils ont 6 ou 7 ans. Pour eux et pour les parents, c’est un monde rêvé. Il n’y a pas de problèmes de délinquance, on peut les laisser seuls sans s’inquiéter. Ici, on est à cinq minutes de tout, on ne perd jamais de temps dans les transports », poursuit Patricia. Précisons que l’île Saint-Pierre, c’est 5.500 habitants pour 25 km², quand la voisine de Miquelon accueille 500 habitants sur 240 km². Les habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon ont l'habitude de se promener dans la nature, qui n'est jamais à plus de deux minutes de chez eux. - P. Detcheverry A Saint-Pierre-et-Miquelon, les habitants n’ont pas pour habitude de fermer à clé leur maison, pas plus que leur voiture. Dans une culture mélangeant l’appartenance française et un certain mode de vie proche des Canadiens, « quand on trouve un portefeuille dans la rue, on sait toujours à qui le ramener », assure Patricia. Surtout, les habitants mènent ici une vie « paisible » et « douce » loin du stress et de l’aigreur de la métropole. « Quand nous sommes arrivés, nous avons tout de suite été intégrés. Parce que tout le monde se connaît et que les gens sont bienveillants les uns envers les autres. Il y a un véritable esprit d’entraide », assure Cécilia. Un taux de chômage à 3 % Ancien marin, son mari Luc abonde : « On a la vie des villages dans les années 1980. C’est un truc qui n’existe plus aujourd’hui. » D’autant que contrairement aux villages reculés de l’Hexagone, l’archipel n’est pas du tout un désert médical. Il y a évidemment un fort recours aux importations pour la nourriture et quelques articles qui coûtent cher, comme le fromage et les produits laitiers. Mais au Super U de Saint-Pierre, on trouve de tout, surtout en début de semaine, car le bateau de livraison passe le dimanche. L'hiver peut être rude à Saint-Pierre-et-Miquelon, mais les habitants peuvent jouer au hockey sur glace en extérieur. - Cécilia S. Avec un taux de chômage de moins de 3 %, l’île peut en plus offrir un emploi à tout le monde. « Jamais on n’aura quelqu’un qui fera la manche. La population est trop petite pour que l’on laisse quelqu’un à la rue », assure Patricia. Son agence de voyages locale L’Heure de l’Est (HDE) cartonne, preuve de l’intérêt de la destination. « C’est sûr qu’on n’a pas autant de culture qu’en métropole, mais on a un vrai confort de vie. Les habitants font tous partie d’associations, on peut pratiquer plein de sports. » En hiver, les enfants font du hockey sur glace en extérieur et l’été, tout le monde ou presque sort son bateau pour aller profiter des somptueux paysages de la voisine Terre-Neuve. « L’hiver est plus rude, mais… » Bon, O.K. la vie est douce et tranquille. Mais niveau météo, il a raison Laurent Wauquiez ou pas quand il dit que c’est tout pourri ? « C’est sûr que l’hiver est plus rude qu’en métropole. Il a même encore neigé ce matin, concède Patricia. C’est froid, mais c’est plus sec. Et surtout, on a des étés beaucoup plus supportables. » Originaire de Rouen, Cécilia valide. « J’ai passé plusieurs années de ma vie à Brest. Et franchement, je préfère la météo d’ici. » Faudrait-il donc ouvrir un centre de détention à Brest pour « faire réfléchir » les migrants comme le voudrait Laurent Wauquiez ? S’il fallait trouver quelques défauts à l’archipel, on pourrait évoquer le prix du logement, qui freine certains jeunes originaires de l’île à revenir au pays après leurs études secondaires. Comme dans notre France rurale, le vieillissement de la population se fait sentir et la démographie est en baisse. Un phénomène qui a de quoi inquiéter les autorités, qui ont lancé une vaste campagne pour attirer de nouveaux résidents. Mais peut-être que grâce à Laurent Wauquiez, certains vont vouloir s’y installer.