«Le 6 avril 2022, Andrii a été emmené et depuis, je ne l’ai jamais revu. » Olga Holubieva, 43 ans, espère le retour en Ukraine de son mari, Andrii Holubiev, depuis trois longues années. L’homme de 47 ans a été arrêté par les Russes à son domicile de Melitopol, dans l’oblast de Zaporijjia, au début de l’invasion russe. Il était 6 heures du matin ce jour-là lorsque des hommes armés ont toqué au domicile de la famille. « Trois d’entre eux étaient en uniforme et deux autres habillés tout en noir avec des cagoules. On aurait dit un commando, ils avaient même des boucliers ! », se souvient Olga, qui accuse les hommes d’avoir été violents et d’avoir menacé de leur « tirer dans les jambes ». Devant sa famille, Andrii obéit et remet son téléphone ainsi que ses papiers d’identité. « Ils l’ont entraîné dehors, l’ont menotté et emmené dans une camionnette blanche flanquée d’un Z [le signe de reconnaissance des combattants russes]. Notre fils de 7 ans a assisté à toute la scène », soupire Olga qui a fui en zone libre et vit désormais à Dnipro, dans le centre de l’Ukraine. Les jours suivants, la mère de famille s’est mise en lien avec les forces d’occupation - Melitopol a été envahie au premier jour de l’invasion russe de l’Ukraine. « Tout le monde m’a répondu qu’ils n’avaient pas mon mari. Ils me montraient des listes de gens détenus pour prouver qu’il n’en faisait pas partie », grince la quadragénaire. Andrii Holubiev était pourtant bel et bien aux mains des autorités russes. Accusations de terrorisme Andrii, aujourd’hui accusé de « terrorisme international », est en plein procès en Russie. Les autorités russes l’assimile au « Melitopol Underground » [le Melitopol souterrain] qui planifiait un attentat dans la ville, selon elles. La justice accuse cinq hommes de faire partie de ce groupe terroriste. « La plupart d’entre eux ne se connaissaient même pas », assure Olga, qui estime que Moscou a voulu « faire un exemple pour terroriser le reste de la population ». Sa femme l’assure : Andrii n’a jamais caché ses opinions pro-ukrainiennes. Andrii Holubiev (à gauche) et Olga Holubieva (à droite) avant qu'il ne soit enlevé par les Russes. - Olga Holubieva Avant d’être professeur de kung-fu, Andrii a travaillé en tant que garde-frontière une année. De plus, il faisait partie de la Défense Territoriale Ukrainienne. En d’autres termes, Andrii faisait partie des réservistes de l’armée ukrainienne et, s’il était bel et bien un civil, il constituait donc une potentielle menace aux yeux des forces d’occupation russe. « Avant l’invasion, faire partie de la Défense territoriale revenait à participer à deux rassemblements par an. On avait peur de l’occupation, évidemment, mais personne ne s’attendait à un tel déploiement de violence », explique Olga, qui fulmine à l’idée que son mari soit accusé de terrorisme. « La Russie accuse les gens de crime qu’elle commet en réalité elle-même », lâche-t-elle. Electrochocs et injections de « sérum » « Durant les deux premières semaines, et alors que je le cherchais partout, il était en réalité encore à Melitopol. Alors qu’ils prétendaient ne pas le détenir, ils le gardaient dans une cave. Il a été menotté à un tuyau, frappé, privé de nourriture, torturé à l’électricité. On lui a même injecté des substances en lui disant qu’il s’agissait de "sérum de vérité" », dénonce Olga, qui base ces accusations sur des lettres de son mari. Après ces deux semaines, Andrii a été transféré en Crimée dans le centre de détention de Simferopol, où il a de nouveau dénoncé des actes de torture dans des courriers adressés plus tard à son épouse. « Il a été menotté à un tuyau, frappé, privé de nourriture, torturé à l'électricité, on lui a même injecté des substances en lui disant qu'il s'agissait de sérum de vérité » » « C’est ici qu’il a fini par avouer, par peur qu’ils ne s’en prennent à sa mère, son fils ou à moi », assure Olga. Après ces aveux - contestés par la défense –, Andrii a été transféré à Moscou au centre de détention Lefortovo, où son avocat commis d’office, Alexandre Fedoulov, a eu de grandes difficultés à le rencontrer. Depuis avril 2023, Andrii est détenu à Rostov-sur-le-Don, une ville russe située à l’est de Marioupol. « Il dort avec 35 personnes dans une cellule prévue pour dix. Les toilettes ne fonctionnent pas, il y a de l’eau, des cafards et des excréments au sol », dénonce l’Ukrainienne, inquiète pour la santé de son époux. « La Russie condamne tant de gens à des morts lentes et douloureuses en captivité », gronde-t-elle. Entre espoir et terreur Olga, Andrii et son avocat font face à une justice « spectacle », selon elle. « La Russie ne répond à aucune de mes demandes officielles, ils refusent même de confirmer qu’Andrii est en captivité chez eux ! Même la Croix-Rouge n’est pas parvenue à lui rendre visite et ainsi confirmer sa présence dans les geôles russes », soupire la quadragénaire, qui a pourtant des photographies de son mari lors du procès. Le verdict doit être rendu le 28 avril, explique-t-elle, terrifiée à l’idée que son mari soit condamné à une lourde peine et « envoyé loin, en Russie ». Zlatomir Holubiev, le fils d'Olga et d'Andrii, lors d'un rassemblement pour demander le retour de son père, emprisonné en Russie. - Olga Holubiev « Notre fils Zlatomir [paix dorée, en Ukrainien] souffre beaucoup de l’absence de son père. Il l’attend et dit qu’il est sûr qu’il reviendra. J’ai très peur mais j’espère aussi que mon mari adoré rentrera à la maison. Que je pourrais enfin le prendre à nouveau dans mes bras. » Chaque mois, à travers l’avocat d’Andrii, Olga reçoit des lettres de son mari. Dans cette correspondance, Andrii lui confie ses angoisses, son amour pour elle et son fils, ou encore son patriotisme. Là-bas, dans sa cellule, « il a très peur d’être oublié ».