Face à la défiance des citoyens vis-à-vis de l’Etat, des institutions ou de la politique, quel rôle les collectivités locales peuvent-elles jouer ? Tel était l’objet d’un colloque organisé à Rouen par le Centre national de la fonction publique territoriale. Un événement dont Libération est partenaire. «Elles sont brillantes, elles sont vivantes, cette fraîcheur, c’est fabuleux !» Que ses salades soient vendues sur les étals du marché, directement depuis la ferme familiale ou qu’elles atterrissent dans les assiettes des cantines des écoles de Camblanes et Meynac, aux portes de l’Entre-deux-mers, Olivier Reumaux s’amuse toujours d’entendre les gens lui rétorquer : «Vos salades sentent vraiment la salade.» Une petite fierté pour le maraîcher bio, dans le métier depuis la fin des années 90. «C’est pareil pour tout ici. Les épinards, l’aillet, l’artichaut, les asperges, la mâche… Le matin, on a les mains dans la terre. L’après-midi, vous pouvez déguster la récolte. On ne peut pas faire plus frais. C’est cette agriculture de proximité, fournir le voisin ou le village, qui nous anime ici», déroule avec enthousiasme le sexagénaire depuis le Château Le Parvis de Dom Tapiau. Avec sa femme et deux salariés, il bichonne une parcelle de treize hectares où cohabitent une quarantaine de légumes, des poules et des vignes. Olivier Reumaux le reconnaît pourtant sans ambages, tenir cette exploitation à taille humaine reste difficile. «En bio, les rotations des cultures sont plus longues, plus complexes. Il faut souvent être plus pointu», résume l’agriculteur, qui confie avoir vu plusieurs de ses confrères se «déconvertir» ces dernières années, «découragés» par les contraintes. Le Girondin compose notamment avec ce qu’il nomme la «distorsion» des consommateurs : «Côté acheteur, les attentes sont de plus en plus élevées. Dans un même temps, ils veulent payer leur alimentation le moins cher possible. Contexte économique oblige.» Un grand écart «compliqué» à résoudre, estime Olivier Reumaux, persuadé que la diversification reste l’une des clefs de son modèle économique. Au même titre qu’une meilleure communication. Remettre en avant le modèle de ferme familiale C’est pour améliorer cette dernière qu’il est le premier maraîcher à avoir rejoint, en 2023, le réseau Ferme Gironde Alimen’terre, un dispositif imaginé en 2019 par le département. Il valorise les modèles de production en circuit court et relie les producteurs à la commande publique, au profit des établissements scolaires, des Ehpad ou des épiceries solidaires. Pour les consommateurs, c’est aussi la certitude d’acheter chez des professionnels attachés à produire une alimentation plus respectueuse de l’environnement. L’adhésion, gratuite, se fait sur signature d’une charte d’engagement. «Ce que l’on a constaté évidemment, c’est un grand malaise au niveau du monde agricole. Ils le répètent à chaque grande manif, ça a été très frappant pour le vin en Gironde : les agriculteurs ne vivent pas décemment de leur métier. Ils en ont ras le bol des normes, de la concurrence déloyale. Tout le côté administratif qui leur prend du temps et qui n’est pas leur cœur de métier. Ils ont le sentiment d’être abandonnés», pose d’emblée Jean-Luc Gleyze, président socialiste du département. L’élu prône un système qui sort des logiques de marché pour remettre en avant le modèle de la ferme familiale, de proximité. «La question de la juste rémunération doit y rester centrale, pointe-t-il encore. On nous avait par exemple fait remonter la difficulté d’accès des agriculteurs à la commande publique.» Le RSA agricole à destination des exploitants et des chefs d’entreprise agricole a été l’une des premières pistes du département pour aider ceux qui étaient le plus en difficulté. «Objectivement, il a été très peu sollicité depuis sa mise en place. Les agriculteurs sont une profession plutôt réticente à demander des aides sociales. Ils ne souhaitent pas être dépendants d’un financement public», observe Jean-Luc Gleyze. Plutôt qu’une aide ciblée, s’est donc posé la question globale de la ruralité. «La France a beaucoup promu le fait urbain, les métropoles, les liaisons entre les villes. Il y a eu en parallèle un sentiment d’abandon en ruralité. Une forme d’agriculture qui serait “empêchée”, avec un terreau favorable aux votes extrêmes», analyse l’élu socialiste. C’est ici, selon lui, que la collectivité peut jouer un rôle pour «remettre le local au cœur de tout». Le réseau Alimen’terre doit y contribuer. A ce jour 26 fermes girondines l’ont rejoint. L’objectif est d’atteindre les 50 d’ici à fin 2026. Aide déterminante «Ce réseau, ce n’est pas une baguette magique, mais il nous permet d’envisager de nouveaux revenus avec la restauration collective», rapporte Syméon Gurnade, installé depuis deux ans à Baurech, à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Bordeaux. Le maraîcher, anciennement paysagiste et dans le tourisme fluvial, s’est reconverti pour faire «un métier qui a du sens». Il voulait notamment «plus de transparence» dans l’alimentation pour ses enfants. Convaincu de l’intérêt de se détacher du modèle des grosses fermes pour se recentrer sur l’ultra local, il cultive aujourd’hui dans sa ferme, baptisée Les Jardins garonnais, une quarantaine de légumes, sur 2,5 hectares. «Au-delà du réseau, qui nous aide à nous faire mieux connaître auprès des habitants, le département m’a aussi permis de trouver un terrain où m’installer.» Une aide déterminante pour le tout jeune quadragénaire qui aurait sans doute «lâché l’affaire» sans aide financière pour se lancer.