Stéphanie Trouillard : c’est venu d’une rencontre. Irène Latapie, la belle-fille de Suzanne, m’a évoqué son histoire. À Saint-Marcel , on parle du maquis, des résistants , des parachutistes, de la bataille, mais peu des deux femmes déportées : Suzanne Bouvard et sa cousine Annic Philouze. C’est une mémoire oubliée. L’histoire de Suzanne Bouvard rassemble tout ce qui me motive : le village de ma famille et une histoire de femmes . C’est vrai . J’avais envie de parler de la reconstruction. Suzanne est un exemple extraordinaire. C’est une jeune femme d’une famille bourgeoise, professeure des arts ménagers, qui doit se marier. À son retour de déportation, plus de mariage. Elle se lance, seule, dans l’agriculture. Suzanne et sa cousine Annic sont rentrées un an après la Libération. Les Français avaient tourné la page. Il n’y avait pas d’oreilles pour les entendre. Ce n’est que tardivement, à 73 ans, un an avant sa mort, que Suzanne témoigne devant des collégiens pour transmettre cette mémoire. En Bretagne, on se dit que les camps de concentration c’est loin, mais c’est aussi notre histoire. Est-ce qu’enquêter sur le destin d’une survivante a changé votre manière de travailler ? Pas vraiment. Sans son témoignage direct, l’enquête est passée par les centres d’archives, la rencontre des proches. Par des lieux : le fort de Romainville, le camp de Ravensbrück, l’hôpital de Térezin en République tchèque où les familles ne sont jamais allées. Mais il y avait cette cassette audio de l’enseignante qui l’avait fait venir dans sa classe. Elle est touchante : elle a vécu le pire mais s’inquiète de fatiguer les élèves ! Un bâtiment porte enfin son nom à Saint-Marcel. Il a fallu 80 ans. Malgré son engagement très fort pour les femmes agricultrices.