"L’amour n’est peut-être pas à théoriser mais à vivre": 3e édition de la Compagnie des philosophes à Saint-Raphaël

Entre le médiatique neuropsychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik, des enseignants et docteurs en philosophie ou encore des directeurs de recherches et d’études: le millésime 2025 de la Compagnie des philosophes s’appuie une nouvelle fois sur des conférenciers de qualité pour effleurer le thème abyssal de l’amour. À partir de 15h aujourd’hui au Palais des congrès de Saint-Raphaël débutera ainsi une après-midi de réflexions et de débats entièrement gratuite orchestrée par le philosophe Roger-Pol Droit et la journaliste Monique Atlan. Rencontre avec les deux instigateurs de ce grand remue-méninges qui, avec des conférences rythmées de vingt minutes seulement, se veut accessible à tous. Pourquoi vous être portés sur ce thème de l’amour? Roger-Pol Droit: "D’abord parce qu’il est attractif mais surtout il nous concerne tous. Qui n’a jamais rêvé d’avoir une histoire d’amour? Seulement, ce n’est peut-être pas la même chose en 2025 qu’en 1925 ou en 1825. Autrement dit, il s’agit de s’interroger sur la façon dont l’amour naît, se développe et disparaît mais aussi de questionner la façon dont l’amour évolue avec les changements de société. Dans son dernier livre, Boris Cyrulnik indique que nous sommes passés de l’amour en CDI au sexe en CDD par exemple". Monique Atlan: "Il sera aussi question d’aborder notre changement d’attitude par rapport au temps et à l’influence de ce changement sur les relations amoureuses". Cela fait 2.500 ans que l’Homme philosophe sur l’amour. Que reste-t-il encore à découvrir à son sujet? Roger-Pol Droit: "Tout! Mais je ne suis pas absolument persuadé que les philosophes ont prise sur la question de l’amour. Ils ont essayé de le définir, d’en faire un concept mais cette énigme qu’est l’amour reste entière. Et peut-être parce que ce n’est pas quelque chose que l’on peut théoriser mais qui se vit. Il se pourrait ainsi que les arts en disent plus en imaginant une histoire en particulier qu’en essayant de conceptualiser l’amour en général". Il sera effectivement beaucoup question d’histoires d’amour. Est-ce que l’amour est une fiction? Monique Atlan: "Pas nécessairement mais l’amour, comme tout récit, présente un début, un milieu et une fin". Dans notre société actuelle, la haine n’aurait-elle pas pris l’ascendant sur l’amour? Monique Atlan: "L’amour et la haine sont indissociables. La définition de l’être humain c’est d’être mû par des pulsions de vie et de mort, d’amour et de haine. C’est une affaire de choix de mettre davantage en avant son amour ou bien sa haine. Et même dans les relations amoureuses, il y a de la haine, de la violence. La haine présente dans le monde actuellement dit aussi quelque chose de notre difficulté à privilégier un autre choix." Que l’on fasse preuve d’amour ou de haine, cela trahit-il notre besoin d’éprouver des sentiments quoi sont puissants? Roger-Pol Droit: "Oui et d’ailleurs pendant longtemps la philosophie a opposé la raison et le cœur en souhaitant que la raison contrôle tout. Aujourd’hui, nous sommes au contraire envahis par les émotions. Il me semble qu’il faudrait ici trouver un équilibre pour ne pas vouloir tout contrôler par la raison ni tout laisser à l’émotion en prenant conscience de cette dualité et en s’interrogeant sur l’articulation des deux." Cette journée abordera aussi la disparition de l’amour ou le désamour. Cette absence est-elle encore plus propice à la réflexion ? Roger-Pol Droit: "Bien sûr. La fragilité de l’amour, son déclin et sa possible extinction sont des thèmes à explorer. Et notamment à notre époque où la pérennité des couples est difficile, où les divorces se multiplient et où l’allongement de la vie change la donne". Monique Atlan: "Outre le fait de ne pas être aimé, la solitude qui s’impose à tous dans nos sociétés numérisées est aussi à méditer". Sera-t-il également question de sexualité? Monique Atlan: "Dès qu’on parle d’amour, on parle de sexe!" Roger-Pol Droit: "Il sera notamment question de réfléchir comment on passe du désir sexuel à l’amour. Le lien entre les deux est évident mais à l’intérieur de ce lien, de nombreuses évolutions diverses sont à éclairer". L’une des conférences se demande si l’on aime comme avant: Est-ce que l’on aimera demain comme on aime aujourd’hui ? Notamment avec l’émergence de l’IA ? Roger-Pol Droit: "Il y a probablement une évolution permanente des sentiments au cours de l’histoire. Au XIX siècle, Nietzsche se demandait déjà si ce que l’on a appelé amour durant l’Antiquité ou le Moyen Âge était la même chose que ce que nous appelons amour aujourd’hui... Et a fortiori demain. Il n’est pas sûr que demain ce que l’on appellera amour ressemble à ce que nous vivons. Toute la question est de savoir quel est le fil qui relie tout cela". Monique Atlan: "S’agissant de l’intelligence artificielle, on peut se demander si c’est l’IA qui change notre rapport à l’amour ou si c’est notre société individualiste qui nous pousse à préférer l’engagement limité qu’offre une intelligence artificielle. Et diaboliser la technologie serait nous exonérer de nos propres responsabilités dans le caractère individualiste de nos sociétés".