Depuis le succès de son premier spectacle, Bon anniversaire Jean, créé en 2019, Fanny Ruwet, 30 ans, a tracé sa route et s'est imposée comme une valeur sûre de l'humour, démultipliant son talent : stand-up ; chroniques radio, sur France Inter pendant cinq ans notamment ; podcasts (Les gens qui doutent) ; roman (Bien sûr que les poissons ont froid), court-métrage (Bingo), etc. Sur ses terres, en Belgique, mais aussi en France, où ses blagues au ton détaché et incisif ont rapidement fait leur effet et sa notoriété. Au point que sa production est désormais française. Après une première date à Liège, en octobre dernier, sa nouvelle tournée a démarré par trois mois de représentations dans la Ville Lumière. "Il y a un schéma de production hyper classique dans ce milieu, qui commence par une résidence à Paris, explique Fanny Ruwet. Mais j'essaie de réduire la durée des exploitations à Paris parce que je ne suis pas chez moi pendant longtemps. Or, j'aime bien être chez moi". Et de confier : "Pour mon premier spectacle, Paris me terrifiait, car on sortait juste du Covid, il y avait peu de spectateurs et, avec le confinement, le spectacle commençait à dater et ne plus me ressembler. Mais, ici, ça s'est bien passé. Pourtant, je crains davantage le public parisien. Quand tu joues en province, belge ou française, tu sens que les gens ont bloqué leur soirée pour venir te voir : ils ont fait appel à une baby-sitter, sont venus en voiture… À Paris, en revanche, ton spectacle est placé entre un dîner, un verre, peut-être un autre spectacle. Donc, tu es un détail dans leur journée. Et quand ils s'installent dans la salle, ils sont dans l'esprit : "Fais-moi rire". Mais, cette fois, j'étais tranquille". Pour autant, écrire ce deuxième opus n'a pas été un long fleuve tranquille. Entretien à cœur ouvert. Lorsqu'un artiste se fait remarquer avec un premier spectacle réussi, il est souvent attendu au tournant pour la suite. Avez-vous ressenti une pression lorsque vous vous êtes lancée dans l'écriture de "On disait qu'on faisait la fête" ? Non, pas du tout. Un mois après avoir terminé la tournée de Bon anniversaire Jean au Trianon, je me suis dit : "Bon, je fais quoi maintenant ?" parce que c'est un peu le seul truc que "j'arrivais à faire". Donc, j'ai commencé à travailler et, en vrai, ça a pris pas mal de temps pour trouver ce dont je voulais parler. J'ai écrit beaucoup et jeté énormément. Mais je n'avais pas la pression du deuxième spectacle. Le premier spectacle, vu que ce sont mes tout débuts dans le stand-up, je savais que je pouvais faire mieux. Puis, il ne me correspondait plus. Par contre, la pression, je l'aurai pour le troisième parce que ce spectacle-ci est vraiment bien. Votre carrière a décollé avec ce fameux sketch, "Le malaise". Ensuite, tout s'est très vite enchaîné. Beaucoup d'humoristes qualifient souvent leur deuxième spectacle de "spectacle de la maturité", car il est plus incarné, plus personnel. Est-ce le cas pour vous ? Oui. Dans Bon anniversaire Jean, il y a des blagues que j'ai écrites pour ma première scène. Maintenant, je vois tous les écueils, tout ce qui est un peu cliché. Le sketch du malaise, par exemple, jamais, je ne le referais aujourd'hui. On disait qu'on faisait la fête est un spectacle plus mature, plus subtile aussi. Et doux-amer, car je parle de sujets qui, à la base, ne sont pas marrants et j'essaie de les rendre comiques. Je trouve cela nettement plus intéressant. Vous en avez parlé ouvertement dans votre vlog : le processus d'écriture de ce deuxième spectacle a été laborieux, douloureux même. Au point que vous avez décidé de tout arrêter peu avant le début de votre tournée. Le but de ce nouveau spectacle était qu'il me ressemble davantage. Sauf qu'après cinquante dates [de rodage], j'estimais qu'il n'était pas assez bon. Donc, ça me stressait encore plus. J'étais aussi en dépression, ce qui me rendait incapable de travailler ça. J'étais coincée. J'ai alors décidé de tout arrêter pendant un mois (juillet 2024, NdlR). En août, je me suis dit : "Je vais partir pendant un an et demi en tournée avec un spectacle que je n'aime pas à fond ; c'est mort !" Donc, j'ai retravaillé tout le spectacle. J'ai encore jeté énormément, j'ai réécrit beaucoup. C'était important pour vous de montrer cette vulnérabilité dans votre vlog ? J'avais traversé une année tellement compliquée que je trouvais ça bien de faire un rewind pour constater le chemin parcouru. Cela résonne beaucoup avec le spectacle dans lequel je parle des failles, de comment on essaie de devenir adulte sans savoir trop savoir où on va, de comment on essaie de faire semblant que tout va bien alors qu'on est un peu paumé… Donc, ce vlog est très cohérent dans l'histoire [de la création] du spectacle. Montrer ses fêlures, ses doutes…, gratter là où ça fait mal… En cela, "On disait qu'on faisait la fête" se rapproche de votre premier roman, "Bien sûr que les poissons ont froid" (2022), un récit à fleur de peau. Est-ce que ce livre a été une porte d'entrée pour créer votre nouveau spectacle ? Non, pas trop. Ce roman m'a permis de voir que, quand j'étais un peu plus premier degré, que j'exposais mes failles, les gens se disaient : "Waouh, je ressens la même chose ! C'est cool que quelqu'un en parle". Mais c'est surtout le fait que mon année avait été tellement compliquée que c'est la seule chose dont je pouvais parler dans un spectacle. Ça aurait été hyper hypocrite de ne pas le faire. Cela étant, j'ai hésité, car je n'étais pas sûre que les gens aient envie d'entendre ça quand ils viennent voir du stand-up. Il y a plein de sujets : je parle du rapport à l'alcool, qui n'est pas toujours très sain ; d'antidépresseurs… Mais c'est tourné de manière vraiment marrante. Devenir adulte, c'est aussi prendre conscience du monde, particulièrement anxiogène, dans lequel on grandit. Est-ce que cela a un impact sur votre travail d'humoriste ? Je ne parle pas trop de l'actualité, de l'extérieur. Je ne vais pas commencer à écrire des blagues sur Trump, le Covid, etc. Je parle davantage de l'interne, de comment ressentir les choses. Le monde est en feu. Que fait-on ? Est-ce qu'on décide d'aller en thérapie, d'être dans le déni, de boire de l'alcool, etc. ? Il y a plein de manières de faire. Et vous, quelle est la vôtre ? Thérapie, déni, alcool. J'aime bien les trois. J'essaie un peu tout, en fait, selon les périodes. Des fois, c'est l'alcool. Maintenant, j'essaie d'arrêter parce que, sinon, en tournée, ce n'est pas possible de tenir le rythme. Vous jouez votre nouveau spectacle, mais le stand-up n'est pas votre seule activité. C'est une nécessité pour vous de vous diversifier ? Pour moi, ce n'est pas sain de ne faire que du stand-up. Puis, ce n'est pas normal de se faire applaudir tous les soirs. Donc, j'aime bien faire d'autres choses, qui sont plus sur le temps long, que je peux faire de chez moi ou avec d'autres gens. Et tout se complète. J'ai aussi besoin d'apprendre de nouvelles choses, d'être nourrie. C'est important pour moi parce que c'est facile de tomber dans la monotonie quand on fait quelque chose qui marche un peu. Je pourrais tourner cinq ans avec ce nouveau spectacle, mais j'ai prévenu mon équipe : "On tourne un an et demi puis stop" parce que je sais que je vais changer et que j'ai ce besoin d'apprendre. Répéter tout le temps la même chose va me lasser et je ne serai pas aussi investie que je le devrais, ce qui, à mes yeux, n'est pas correct vis-à-vis des gens. Donc, je préfère faire court, efficace, comme ça je suis à fond tout le temps et, après, je passe à autre chose. Être seule sur scène et à fond tous les soirs, cela doit être grisant, mais épuisant aussi ? À chaque fois, avant de jouer, je me dis : "M***! Je ne suis pas assez en forme !" Puis, à la seconde où je suis sur scène, j'oublie tout, même si je suis malade, pas bien… Je suis à fond, il n'y a pas de demi-mesure. C'est comme si je jouais pour la première fois, mais en sachant que tout est bien calé. Donc, ça ne peut pas mal se passer. La chance que j'ai avec ce spectacle, c'est que, même si personne ne rigole – ce qui n'est encore jamais arrivé –, je n'ai aucune honte à le présenter parce que je le trouve vraiment bien fait. Je n'aurais pas pu faire mieux. À 30 ans, vous carrière est déjà bien lancée. Le stand-up est en pleine explosion, avec une concurrence de plus en plus rude. Comment faire pour se démarquer et tenir sur la longueur ? Franchement, je n'aimerais pas démarrer le stand-up aujourd'hui. Il y a tellement d'humoristes. Ils sont trop nombreux par rapport à l'offre de scènes ouvertes. La compétition est énorme. Pour ce qui est de tenir sur la longueur, j'essaie de ne pas réfléchir comme ça, car c'est très effrayant. Je me dis plutôt que j'ai fait des choses que j'aimais, qui me correspondaient, en n'ayant aucune idée de savoir si ça allait marcher et les gens ont suivi. Donc, c'est sans doute dans cette direction que je dois continuer. Je ne fais que ce que je suis capable de défendre et d'assumer sans problème. Je pourrais faire des sketches plus populaires – un Malaise 2, par exemple –, mais je serais très malheureuse. Puis, je ne ferai pas du stand-up toute ma vie. Je suis très à l'aise avec cette idée. Votre tournée durera donc un an et demi et se clôturera dans deux salles mythiques, début 2026 : l'Olympia, à Paris (le 2/1), et le Cirque royal, à Bruxelles (le 10/1). On a envie de dire "Waouh" ! C'est trop bien ! Jamais, je n'aurais imaginé ça. Je me souviens, quand je faisais les premières parties de Guillermo Guiz au TTO, il y a quatre ans, il m'avait dit : "Tu verras quand tu feras des séries de cinq semaines". Je n'y croyais pas. Je pensais : "Jamais, je ne remplirai le TTO pour jouer devant quelque 3000 spectateurs". Et là, il y a une date au Cirque royal, donc ça veut dire que je commence à être capable de rassembler des gens qui rentrent dans mon délire et se retrouvent dans ce que je raconte. C'est fou ! →"On disait qu'on faisait la fête", au TTO (Ixelles) jusqu'au 10 mai. Infos et rés. au 02.510.05.10 ou sur www.ttotheatre.com → Toutes les dates de tournée sur https://fannyruwet.com