Les " oubliés " du rattrapage en chirurgie

Le nombre de Québécois en attente d’une intervention chirurgicale depuis plus d’un an est en baisse, mais demeure loin de l’objectif annoncé par Québec. Pendant 15 mois, Robert Lepage a vécu avec un anévrisme de l’aorte abdominale qui menaçait de se rompre à tout moment. Il attendait son tour pour être opéré à l’hôpital de Hull. Ce qu’il faut savoir Quelque 6300 Québécois étaient en attente d’une intervention chirurgicale depuis plus d’un an en date du 31 mars. Québec rate sa cible fixée à 2300. Beaucoup de salles d’opération demeurent fermées dans les hôpitaux, par manque de personnel. Des médecins déplorent que leurs patients, des cas semi-urgents, soient « oubliés » dans le plan de rattrapage. « L’anévrisme faisait 6,5 cm, dit l’homme de 81 ans. C’était gros. Si ça pète, tu meurs là ! » Le résidant de Saint-André-Avellin, en Outaouais, s’est finalement rendu à l’hôpital de Saint-Jérôme pour subir son opération le 31 mars. Sa femme est parvenue à trouver un médecin spécialiste qui a accepté de l’opérer. M. Lepage espère maintenant récupérer son permis de conduire qu’il a perdu en raison de son anévrisme. Il veut retrouver une vie normale. « J’ai été 15 mois dans la maison, pas de permis, rien. Je ne pouvais pas forcer. Je ne pouvais rien faire. » Au 31 mars, quelque 6300 Québécois étaient en attente d’une intervention chirurgicale depuis plus d’un an, selon le ministère de la Santé et des Services sociaux. C’est pratiquement trois fois moins qu’à pareille date il y a deux ans. Québec rate néanmoins sa cible, fixée à 2300. Beaucoup de salles d’opération demeurent fermées dans les hôpitaux québécois. Selon les données fournies par Santé Québec, 383 étaient ouvertes sur 559 « théoriquement opérationnelles » — soit 69 % — entre le 9 février et 8 mars. Les blocs opératoires n’ont toujours pas retrouvé leur cadence d’avant la pandémie de COVID-19 : 81 % des salles étaient ouvertes par rapport à la période prépandémique. L’aiguille n’a pas bougé, ou presque, depuis septembre dernier. Santé Québec y voit néanmoins une « progression modeste ». La société d’État souligne que les chiffres fournis à La Presse incluent la semaine de relâche scolaire — ce qui n’était pas le cas pour la période comparative de 2020 — durant laquelle des salles d’opération sont fermées. Selon Santé Québec, la « disponibilité du personnel » demeure une « contrainte importante » pour rouvrir davantage de salles. La société d’État dit vouloir « augmenter graduellement » leur nombre « afin de faire du rattrapage, et ainsi améliorer l’accès aux soins chirurgicaux ». « Des choix politiques » Bien des patients pâtissent toujours de la fermeture de salles. « Les cas semi-urgents, c’est souvent une catégorie d’oubliés », affirme le vice-président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), le Dr Serge Legault. Québec donne la priorité aux patients en oncologie et à ceux en attente depuis plus d’un an, rappelle-t-il. « Tant qu’on ne rehaussera pas le nombre de salles ouvertes, on va faire face à des choix qui ne sont pas juste des choix médicaux, qui sont des choix politiques », affirme-t-il. Le Dr Stephen Hanley, un chirurgien vasculaire qui pratique à l’hôpital de Hull, ne comprend pas « comment on peut parler de rattrapage quand les listes d’attente font juste s’allonger ». Il ne voit que des cas semi-urgents. « Moi, ce que je traite, ce sont des anévrismes qui sont à risque de rupturer, des sténoses carotidiennes qui ont causé un AVC [accident vasculaire cérébral] et qui risquent d’en causer un autre, des plaies sur les pieds qui ne vont pas guérir et qui risquent de mener à une amputation si on n’intervient pas dans un délai raisonnable », énumère-t-il. Il déplore de devoir repousser des cas d’anévrisme de l’aorte abdominale — qui devraient être opérés dans un délai de 56 jours, selon l’Association de chirurgie vasculaire et endovasculaire du Québec — pour traiter des patients dont la jambe est menacée d’amputation. J’ai des anévrismes qui traînent plus qu’un an. Et ce n’est pas parce que je ne veux pas les faire. Je n’ai juste pas assez de ressources pour fournir pour la population au complet. Le Dr Stephen Hanley, chirurgien vasculaire Le Dr Hanley dit n’avoir disposé, dernièrement, que d’une « journée opératoire » par semaine. Il est aussi le seul spécialiste de son domaine en Outaouais. L’autre chirurgien vasculaire est parti pour le privé l’an dernier, explique-t-il. À Santé Québec, on assure qu’on ne fait « pas moins [d’opérations] semi-urgentes qu’avant ». « Les listes d’attente ont diminué pour tous les délais d’attente », précise la société d’État dans un courriel. Certaines listes raccourcissent cependant plus vite que d’autres, selon les données fournies par Santé Québec. Le nombre de personnes en attente depuis plus d’un an est passé de 11 861 à 6316 entre le 1er avril 2024 et le 1er avril 2025, soit une baisse de 47 %. Cette diminution est de 12 % (34 477 à 30 197) chez les gens en attente depuis 6 à 12 mois, et de 2 % chez les 0 à 6 mois (117 287 à 114 842).