Le "meurtrier au mixeur" est-il un "serial killer"? Questions et vertiges devant la cour d’assises à Nice

"Ça, c’est Luc Onfray dans toute sa splendeur." L’ex-enquêteur de la brigade de recherches de Nice le répète, à la barre, face aux jurés. Il vient de retracer son enquête sur la disparition de Gérard Onfray, 62 ans, le 24 juin 1995 à Nice. Trente ans plus tard, son fils Luc est jugé pour meurtre. "J’ai travaillé sept années de ma vie sur cette affaire. Et je peux vous dire avec certitude que Luc Onfray est un serial killer." Un ange passe dans la salle, hier à Nice. Tout au long de la matinée, trois enquêteurs se sont succédé devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes. Ils retracent le parcours tortueux qui a ramené "le meurtrier au mixeur" dans un nouveau procès criminel, treize ans après. Il comparaît libre, impassible. Les bancs des parties civiles, eux, sont vides. Luc Onfray a-t-il infligé à son père le sinistre sort subi, en 1998, par Michel Renard? à savoir le tuer, dépecer puis mixer son corps? L’accusé s’en défend. "Mon père, il était ce qu’il était... Mais je ne l’aurais jamais touché!" La cour d’assises des Alpes-Maritimes entend trancher cette question vertigineuse ce soir. Elle attendait beaucoup de la déposition de Philippe Rosso, cet ancien compagnon de braquage de Luc Onfray qui l’a mis en cause. Elle devra attendre, ou faire sans lui, ce témoin étant injoignable. "Froid comme un serpent" Rosso et Onfray ont sympathisé en 1997, liés par leur engagement pour le Front national. Ils sont "montés au braquo" ensemble à dix-sept reprises. Hormis cela, tout les oppose. Rosso "plaît aux femmes", quand Onfray apparaît "froid, renfermé et taciturne" - "froid comme un serpent", dixit un gendarme. Il voue une admiration à Rosso, "celui qu’il aurait aimé être", pense un enquêteur. Pourtant, c’est Onfray qui mène la danse macabre, quand il faut tuer Michel Renard et faire disparaître son corps. "J’ai tenu la tête coupée de mon père entre les mains et je n’ai pas été inquiété", aurait-il confié, selon Rosso. Ou encore: "Je sais mixer et me débarrasser d’un corps." Et enfin: "Ne t’inquiète pas, je suis un travailleur propre. Le corps de mon père n’a jamais été retrouvé..." Pour le directeur d’enquête, Luc Onfray, appliqué et méthodique, ne pouvait en être à son coup d’essai. Il avait, en revanche, quelque raison d’éliminer ce père Témoin de Jéhovah qui le dénigrait, et qu’il détestait. Mais l’a-t-il fait? Et si oui, comment? Le dossier, fragile, repose en grande partie sur les révélations de Rosso. "Il n’est pas exclu que Gérard Onfray soit parti prêcher quelque part et qu’il lui soit arrivé malheur...", rappelle Me Jean-Pascal Padovani en défense. "Il n’y a pas d’élément matériel, certes, convient l’enquêteur. Mais on a la chance qu’il y ait des témoignages fiables et crédibles." Silence et contre-vérités Les gendarmes n’ont pas pu compter sur la mère (décédée depuis), ni sur les frères de Luc Onfray. Ils se sont heurtés à un mur de silence "et de contre-vérités". Si bien que le directeur d’enquête s’interroge sur leur rôle dans la disparition de Gérard Onfray, ce prédicateur "intégriste" et despotique. "S’ils n’y ont pas participé, elle leur a servi. Au final, un monstre a été enlevé de la famille..." Si Luc Onfray a éliminé son père, jusqu’où est-il allé? La question hante les jurés, après le récit d’un ancien proche de l’accusé mardi soir. Onfray lui aurait proposé "un travail un peu spécial", cite-t-il. "Il fallait découper deux hommes et une femme, amenés chez lui par des membres du Front national, les passer au mixeur, puis les faire disparaître dans les toilettes avec du Destop..." L’intéressé a décliné cette proposition "lunaire". Une plaisanterie, selon Luc Onfray. Le témoin persiste: "Non, non, il était sérieux..." L’accusateur principal convoqué de force Sera-t-il finalement entendu par les jurés? C’est la grande incertitude de ce troisième jour de procès. Philippe Rosso, l’ancien braqueur qui a mis en cause Luc Onfray, ne répond plus. Ce sont ses révélations qui ont permis d’élucider la disparition de Michel Renard, dossier dans lequel il a été reconnu coupable de complicité d’assassinat. Onfray a écopé de 30 ans de réclusion criminelle, Rosso, de 28 ans. Tous deux sont aujourd’hui libres. Philippe Rosso devait être entendu en visioconférence ce mardi après-midi. Il n’a pas répondu aux sollicitations de la cour. L’avocate générale Maud Marty a requis un mandat d’amener à son encontre. La cour présidée par Anne-Valérie Lablanche l’a aussitôt suivie. Les gendarmes sont donc chargés de l’amener devant les jurés. Par la force s’il le faut. Le temps presse.