Le directeur général du Collège Trinité a remarqué une augmentation nette de la socialisation depuis l’interdiction complète du cellulaire entre les murs de l’établissement. Selon lui, il faut miser sur une offre importante d’activités. Oui, on peut survivre à l’interdiction du cellulaire en classe. Mais l’expérience menée depuis un an au Collège Trinité à Saint-Bruno-de-Montarville révèle les nombreux défis qui se poseront quand tout le Québec prendra ce virage à la prochaine rentrée. Félix-Antoine Bétil La Presse Le cellulaire, « c’est devenu, de nos jours, un prérequis, un besoin ». « Moi, je trouve ça stupide de l’interdire. » Les mots de Xavier Parent, élève au Collège Trinité à Saint-Bruno-de-Montarville, montrent bien le défi que pourra représenter l’interdiction des téléphones cellulaires, des écouteurs et des appareils mobiles personnels à la prochaine rentrée scolaire. L’annonce a été faite par le ministre de l’Éducation Bernard Drainville, jeudi, et est vue d’un bon œil par les partis de l’opposition. Au Collège Trinité à Saint-Bruno-de-Montarville, l’interdiction est déjà en vigueur depuis un an, de 9 h 30 à 16 h 30. « Est-ce qu’il y en a qui cachent leur cellulaire ou leur Apple Watch ? », lance à la blague notre photographe, au début de notre visite entre les murs de l’école. D’un air taquin, Jean-François Guay, le directeur général du Collège répond : « Sûrement, sûrement ! », en regardant un groupe de jeunes défavorables à l’interdiction complète du téléphone. « Ils s’obstinent, ils apprennent ! » PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE À la cafétéria du Collège Trinité de Saint-Bruno-de-Montarville, Medrick Berthelot (de dos, à gauche) joue à Magic The Gathering, un jeu de cartes, avec son ami Liam Béliveau. D’après Jean-François Guay, « l’objectif n’est pas [de diaboliser] le cellulaire, c’est la socialisation ». Dans cette école secondaire privée, il en fait son cheval de bataille. À la cafétéria, le bruit des conversations se fait entendre. « Normalement, à cette heure-ci, tu n’entendais pas un son. Là, on socialise, on jase », se réjouit-il. En parlant avec quelques élèves sur l’heure du midi, on s’aperçoit que tous ne sont pas d’accord avec l’interdiction du cellulaire. « Ils voulaient enlever le téléphone pour qu’on socialise, mais le matin, il n’y a pas tant de monde que ça, il n’y a pas tant de choses à faire non plus, puis surtout, si on a un truc urgent, on a besoin du téléphone », lance Xavier Parent en toute franchise. PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE Rencontrés à la cafétéria, les élèves Victor Moncade (de dos, à gauche), Xavier Parent (au centre) et Charles-Antoine Hachey (à droite) se sont positionnés contre l’interdiction complète du cellulaire à l’école. Son ami, Victor Moncade, abonde dans le même sens. « Les gens vont trouver une façon ou une autre de l’utiliser, peu importe. Autant pas l’interdire. Le midi, je comprends pour socialiser, mais les pauses, je pense que ça devrait être accepté. » « Même si c’est interdit, les gens vont juste aux toilettes pour l’utiliser pareil, alors moi, je trouve que ça ne fait pas tant de différence de l’accepter ou pas », ajoute celui qui complète le trio, Charles-Antoine Hachey. Questionné sur la réponse des adolescents, le directeur général rigole et précise : « Tu leur as donné l’opportunité de rêver à leurs cells, mais ils ne parlaient pas de ça [quand tu es arrivé] ! » « Ce ne sont pas des premiers ministres, ce sont des élèves ! » PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE Un tournoi amical d’échecs mettant aux prises des dizaines d’élèves était organisé le jour de notre visite. Le directeur général est persuadé que la participation aurait été nettement plus faible sans l’interdiction du téléphone cellulaire. Direction la trinithèque, bibliothèque de l’école où se déroule un tournoi d’échecs. « Avant, ça gamait ! », dit Jean-François Guay, qui indique qu’on y trouve toutes sortes d’élèves, pas seulement ceux qui font bonne figure à l’école. « Ici, ils ont droit de chiller ! », explique-t-il un peu plus tard en arrivant dans une salle de repos. La plupart des élèves travaillent sur leurs projets scolaires. Une vue sur le terrain extérieur montre un groupe de garçons en train de s’amuser en ce jour de pluie. Au gymnase, les terrains de volleyball sont remplis. Le sport à l’horaire change régulièrement pour attirer un maximum d’étudiants. C’est bien souvent les jeunes eux-mêmes qui proposent les activités du jour. De retour au bureau du directeur PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE Les élèves Marguerite Lafrance et Violette Demers, ainsi que le directeur général de l’école, Jean-François Guay, nous expliquent les effets positifs de l’interdiction du cellulaire. « On voit vraiment une grande différence dans les corridors, dans l’ambiance, dans les pauses, comparé à l’année passée. En 2023-2024, dès que la cloche de l’après-midi sonnait, tout le monde se rendait sur son téléphone et il n’y avait pas vraiment de socialisation », observe Marguerite Lafrance, élève de deuxième secondaire. Elle remarque aussi un effet dans sa classe. Selon elle, les élèves sont plus présents et plus motivés depuis qu’ils ne peuvent plus utiliser leur appareil électronique, y compris durant les pauses. « Maintenant, vu que les élèves n’ont plus de téléphone, ils ont autre chose à faire, puis je trouve qu’il y a beaucoup plus d’implication dans les comités. C’est ce que je remarque autour de moi, mes amies, etc. », acquiesce l’élève en troisième secondaire Violette Demers. Elle voit, de son côté, des changements à la cafétéria où, avant, « tout le monde était assis à sa table, sur son téléphone et montrait les jeux et les photos qu’il avait [aux autres] ». La carotte… et le bâton PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE Une énorme pochette pouvant contenir des cellulaires est accrochée au bureau de la secrétaire Mme Minville pour les élèves qui ne respectent pas les règles. Le jour de notre visite, la pochette était vide. Des sanctions progressives s’appliquent si les adolescents enfreignent les règles. Aux deux premiers avertissements, on leur demande d’aller redéposer le cellulaire dans leur casier. Au troisième avertissement, une sanction s’applique : une semaine sans téléphone, c’est-à-dire que les élèves voient leur cellulaire être confisqué du matin au soir dans une pochette prévue à cet effet. Au quatrième avertissement, la période est d’un mois et à la cinquième et dernière mise en garde, les parents doivent aller chercher l’appareil de leur enfant à l’école et s’engager à ce que l’enfant ne l’amène carrément plus. Depuis le début de l’année scoalire, cinq jeunes du Collège Trinité se sont rendus à la sanction finale. Ne pas mettre la charrue avant les bœufs PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE Bien que les cellulaires soient interdits au Collège Trinité, les ordinateurs sont permis, mais uniquement pour les travaux scolaires. Le logiciel En classe permet aux professeurs d’éviter que les élèves consultent leurs réseaux sociaux, par exemple. « Le danger qui guette les écoles au Québec, c’est de se concentrer seulement sur le cellulaire. Tu l’as vu, il y en a, des ordis, ils travaillent », souligne le directeur général. « Il faut faire attention dans les écoles où ils vont enrayer ça s’ils n’investissent pas-et là je mets un signe de dollar-dans la vie scolaire. On prend le problème du mauvais bord. C’est sûr que ça paraît bien dans un article, « à bas les cellulaires ». Il ne faut pas croire que c’est une économie de société qu’on fait là. C’est le contraire, ça va coûter plus cher, mais il faut que ça te coûte plus cher pour justement améliorer la vie scolaire », conclut-il. Pour le directeur du Collège Trinité, l’offre d’activités, malgré ses coûts, doit être élevée pour éviter que les élèves s’ennuient.