Cela commence par une promenade sympathique parmi les orques, un voyage sur le Mogwai, ancien cargo racheté par l’ONG Sea Sheperd qui préserve les baleines. Le narrateur s’approche prudemment des requins-bouledogues et cherche Ali, un cachalot qui vient nager à ses côtés et semble souffrir. Puis on entre dans le dur. «Ça arrive trop vite pour une simple tempête», affirme Ayleen, qui tient la barre. Les essuie-glaces battent à plein régime, le fracas est intense. Arrive une vague scélérate et la coque accuse le choc, les vibrations sont terribles, le navire hurle de partout et une majorité de l’équipage est happée par les flots. Caryl Ferey sait s’y prendre pour décrire des situations dantesques, des paysages déchirés, des instants de folie. Il aime l’écriture descriptive, trouve du plaisir à bousculer les cinq sens et à se mettre en apnée avec ses personnages. Puis il entraîne les lecteurs sur les îles Féroé, seule issue après avoir frôlé la mort, et ce n’est pas une bonne nouvelle pour les survivants. «Les baleiniers ne me portent pas dans leur cœur, explique la capitaine Eirika, […] ils trouvent que je fais de la sensiblerie quand je relate leurs chasses.» Là-bas, on pratique le Grindadrap, une chasse, une tuerie de masse plus exactement, où près de 800 cétacés sont tués en quelques heures, où la baie entière est noire d’animaux enfermés par une meute humaine armée de couteaux. A coup sûr, entre les défenseurs des espèces et les pêcheurs du coin, on ne se contente pas de discuter tranquillement. Caryl Ferey peut alors mettre en place une intrigue policière qui fait la part belle aux combats à mains nues, aux vengeances, aux disparitions bizarres, aux légendes et autres déchaînements d’animaux marins inconnus. Herman Melville et son capitaine Achab ne sont pas loin, les décors sont d’une beauté vertigineuse, les femmes sont des héroïnes musclées qui ne craignent pas d’affronter les tueurs et les ouragans. Caryl Ferey est à son meilleur quand il se retrouve face à un nouveau paysage et une cause à défendre, donnant au passage un coup de chapeau à Jean Malaurie, créateur de la collection Terre Humaine, mort en 2024. Depuis Zulu (Série noire, 2008), Mapuche (Série Noire, 2012) ou Okavongo (Série noire, 2023), le romancier sait décrire la peur et la bêtise des humains face au courage des minorités. Soudain, une bête inconnue jaillit de l’obscurité, symbole d’un monde affolant, sans avenir possible. Le brouillard s’épaissit, les voix des survivants tremblent.