Après dix ans de tentatives infructueuses, le tabou de la liberté d’installation des médecins est tombé. Mercredi 2 avril, peu avant minuit, les députés ont voté à une confortable majorité la disposition pierre angulaire de la proposition de loi transpartisane contre les déserts médicaux défendue par le député PS Guillaume Garot (Mayenne). Par 155 voix contre 85, l’Assemblée nationale a acté, contre l’avis du gouvernement, sa volonté de réguler quelque peu l’implantation des médecins sur le territoire. «Chacun reconnaît que la situation sanitaire est insupportable» Un résultat porté par la gauche de l’hémicycle mais aussi bon nombre d’élus du centre et de la droite républicaine, convaincus, à l’instar des députés LR Jérôme Nury (Orne) et Fabrice Brun (Ardèche), qu’il est temps de «sortir des sentiers battus» pour enrayer l’aggravation des inégalités territoriales d’accès aux soins. «Chacun reconnaît que la situation sanitaire est insupportable, leur fait écho Guillaume Garot. Il nous faut agir de toute urgence. Pourquoi s’empêcher de réguler les installations des médecins alors que cela fonctionne pour d’autres professions de santé ?», ajoute le député de Mayenne en référence aux pharmaciens, kinés, infirmières, et depuis le 1er janvier 2025 aux chirurgiens-dentistes. Le groupe RN est seul à avoir voté unanimement contre. Pour emporter l’adhésion de l’hémicycle, le groupe de travail transpartisan sur les déserts médicaux a corrigé la mesure phare, qui avait été rejetée le 26 mars par la commission des affaires sociales. Comme initialement proposé, l’installation des médecins, généralistes ou spécialistes, sera soumise à autorisation administrative dans les 13 % du territoire où l’offre de soin est «au moins suffisante» : dans ces zones, un praticien ne pourrait s’installer qu’en cas de départ d’un confrère pratiquant la même spécialité. Mais la mesure votée mercredi va plus loin : désormais tous les médecins sont concernés, qu’ils soient libéraux, salariés, conventionnés ou non. «On a tenu compte des critiques, explique Guillaume Garot. C’est l’offre de soins sur un territoire donné qu’il faut considérer.» De même, pour éteindre la fronde latente des étudiants et des médecins en activité, la mesure prévoit que les conditions d’application seront définies par décret en Conseil d’Etat, au terme d’une consultation large : l’avis du Conseil national de l’ordre des médecins et la consultation des représentants des étudiants, des usagers du système de soin et des élus locaux. Le ministre de la Santé hué A plusieurs reprises au cours des débats, le ministre de la Santé, Yannick Neuder, a tenté d’infléchir la volonté des députés. «La coercition ne règle en rien le manque de médecins», a fait valoir le locataire de Ségur reprenant à son compte les avertissements des syndicats de médecins pour qui la régulation des installations «risque d’avoir des effets contraires à ceux recherchés». Et le même d’annoncer avoir ouvert le 1er avril, et jusqu’à la fin du mois, des consultations entre toutes les parties prenantes, professionnels de santé, usagers et élus, pour «faciliter l’émergence de réponses territorialisées» et «co-construire des solutions». Mais sa demande de retrait du texte au prétexte de permettre «les conditions de ce débat» a été accueillie sous les huées. «C’est le rôle de la représentation nationale de débattre et de voter en fonction de l’intérêt général», lui rétorque Garot, se disant «surpris» de la demande du ministre. Un étonnement partagé par Philippe Vigier (Les Démocrates). S’adressant à Neuder, le député d’Eure-et-Loire enfonce le clou : «Nous ne prétendons pas que la régulation est une solution miracle, mais c’est une voie qui n’a jamais été explorée. Voter l’encadrement des installations, c’est donner du poids politique à votre démarche.» Le vote de mercredi soir devrait de fait servir d’aiguillon aux discussions amorcées avenue de Ségur. Car pour l’heure, rien n’est encore gravé dans le marbre. A minuit, mercredi, deadline fixée pour l’examen du texte, les députés n’avaient voté que le premier des quatre articles de la proposition de loi transpartisane. La suite des débats et le vote final du texte sont renvoyés à compter du 5 mai.