RSA contre activité : Conseiller débordé, usagers séduit ou paniqué, sous-traitance… On a traîné à France Travail
L’interphone est disposé à côté d’une porte vitrée à la vue barrée par un rideau. Située dans un recoin du fond d’une zone d’activité peu engageante du 14e arrondissement de Marseille, l’agence France Travail a gardé les logos de son ancienne appellation et son fléchage discret rend son accès pas des plus simples. Des esprits taquins disent même que la trouver devrait rentrer dans le quota de 15 heures d’activités hebdomadaire que les bénéficiaires du RSA (revenu de solidarité active) doivent accomplir pour le toucher, sous peine de sanction. Ces heures d’activités sont les effets de la loi pour le plein-emploi, entrée en vigueur le 1er janvier 2025. Le barème de sanctions, lui, est prévu pour devenir effectif au 1er juin, après avoir été finalement repoussé. Deux millions de nouveaux inscrits « Une des conséquences mal mesurées de cette loi et l’afflux nouveau dans les agences », explique à 20 Minutes, Vincent Cantrin, délégué syndical CGT de France Travail dans les Bouches-du-Rhône. « Au début, on nous a dit qu’il s’agissait de 1,2 million de personnes en plus à accueillir, puis on nous a dit 2,2 millions et dernièrement de 1,8 million. Comme les allocataires nous sont envoyés aussi bien par la CAF et les départements qui gèrent les RSA que par les missions locales, il est difficile en réalité de tous les identifier », poursuit celui qui était en grève ce mardi à l’appel d’une intersyndicale pour réclamer davantage de moyens. Et forcément sans personnel supplémentaire, les agents sont rapidement débordés, « au détriment des gens qui ont vraiment besoin de nous pour ce qu’on sait faire. Du coup, on s’occupe de tout un tas de choses qui s’éloignent de la recherche d’emploi, des travailleurs handicapés à qui on demande de justifier leur démarche de soin, aux problèmes de logement, de mobilité, ou de mère isolée », énumère le syndicaliste. En pratique, ces nouveaux venus dans les agences ne semblent pas réellement mesurer ces nouvelles difficultés. Certains en sont encore au stade de la surprise, comme cette femme, qui se présente avec son courrier de convocation et qui se demande : « Mais c’est quoi ça ! ? Je ne comprends pas ce qu’on me veut tout d’un coup ! » Ou d’autres, encore, qui sont pris d’une relative panique, comme cette autre femme qui sonne de désespoir à l’interphone parce qu’elle a raté l’appel de son conseiller. Cours de français obligatoire « J’avais rendez-vous à 15h15, mais il a appelé à 15h12, et je m’étais endormie, du coup je suis venue ici », se confond-elle en excuses face à un employé qui lui explique à regret que les après-midi sont réservés aux accueils sur rendez-vous et lui conseille d’envoyer un mail via son espace client. Autant de mots qui semblent ne pas revêtir beaucoup de sens pour cette dame. Dans cet afflux nouveau où les demandeurs d’emploi attendent leur tour ou leur proche sur un parking aux allures de terrain vagues, voilà Hassan. Il accompagne sa femme, avec qui il est venu d’Egypte voilà deux ans, parvient-il à faire comprendre, et patiente à l’extérieur, sa femme ayant été dirigée dans une formation de cours de français dans le cadre du « contrat d’engagement » prévu par la nouvelle loi. Celle-ci sort de l’agence en même temps qu’une autre femme accompagnée de sa fille qui lui fait la traduction et répond qu’elle décline notre demande de rapide interview. Il y a aussi Mickaël, la trentaine, qui trouve « mieux » ce nouveau suivi. Au RSA depuis quelques années, il est venu suivre un atelier de compétences informatiques. « Je n’en avais pas vraiment besoin, mais bon. Je rentre en formation d’agent de sécurité dans dix jours », indique-t-il, l’air satisfait, avant de repartir au volant d’une vieille Citroën Saxo qui a le mérite de rouler mais qui assurément est interdit de circulation dans la ZFE du centre-ville. Dans cette phase de lancement, avant l’arrivée des premières éventuelles sanctions à partir du mois de juin, les agents sentent les tensions monter. « Il y a aussi du mécontentement et des tensions entre ceux qui ne veulent pas des heures obligatoires et ceux qui ont besoin d’un suivi qu’on ne peut pas donner. Lundi encore, à un monsieur qui s’est présenté et avait juste besoin d’un rendez-vous rapide pour s’inscrire à une formation, nous n’avons pas pu lui trouver de créneau libre avant un mois et demi. Parce que chaque agent doit gérer un portefeuille de 50 personnes en accompagnement intensif - ceux soumis aux 15 heures d’activité en gros - en plus de tous les autres, dont on annonce que cela pourrait monter jusqu’à 800 personnes par conseiller », illustre Vincent Cantrin. Des « incubateurs » en renfort Une masse à gérer pour laquelle France Travail organise la sous-traitance à des associations, ou incubateurs. C’est l’idée qu’a eue Marion en lançant son association en région toulousaine, peu après le vote de la loi plein emploi. « A la base, on s’est demandé comment rendre utile à leurs bénéficiaires ces 15 heures hebdomadaires », explique celle qui propose « un double accompagnement social et entrepreneurial » qui vise « à lever les freins » à l’emploi, administratifs entre autres. Avec son association, elle accueille chaque semaine 15 bénéficiaires du RSA qui lui sont envoyés par France Travail, les centres sociaux ou les missions locales pour les aider à lancer leur autoentreprise, avec quelques succès déjà. Une « sous-traitance » permise pour l’heure par des subventions des pouvoirs publics, en attendant « une convention avec France Travail qui est en négociation », sur laquelle elle ne souhaite visiblement pas s’étendre. Et si la loi plein-emploi ne venait finalement pas à remettre les gens au travail, elle aura au moins créé de nouveaux emplois indirects, dans lesquels espérons qu’il y aura moins d’abus qu’avec la création des CPF (comptes professionnels de formations).