Chiffres décevants, changement de cap, concurrence… Comment Decathlon a perdu la forme ?
Le business, ce n’est pas un sprint, c’est un marathon. Après des années de croissance folle, dont un très costaud 12 % en 2022, Decathlon est en perte de vitesse. Le tout après les JO de Paris, où la marque était partenaire officiel de l’évènement, et notamment créatrice de la (très) populaire tenue des volontaires. Côté finance pourtant, pas d’exploit sportif, mais un sale point de côté. L’enseigne a engendré 4,73 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France en 2024, soit seulement 0,01 milliard de plus qu’en 2023. Son bénéfice net a lui plongé de 15,5 %, tombant à 787 millions d’euros Pour Guillaume Vallet, professeur spécialiste de l’économie du sport et auteur de La fabrique du muscle (L’Echappée, 2022), le problème est moins un manque de forme de l’enseigne qu’une mauvaise pente sur le parcours. Euphorie des Jeux ou pas, « le contexte socio-économique, avec une crise du pouvoir d’achat durable, est particulièrement morose et ne favorise pas les dépenses. » Decathlon indique avoir baissé les prix de 1.500 produits pour relancer les ventes en période d’inflation, faisant fatalement baisser chiffre d’affaires et bénéfice. Concurrence ardue La concurrence, elle, montre de plus en plus les muscles « Les autres marques n’ont pas chômé, particulièrement cette année », poursuit Johanna Volpert, professeure associée en marketing à la Kedge Business School Bordeaux. Le rival numéro 1, Intersport, a racheté Go Sport en 2023 et se met de plus en plus à viser la médaille d’or. D’un milliard d’euros de vente en 2010, l’éternel numéro 2 est passé à quatre milliards en 2024, talonnant de plus en plus Decathlon et sa baisse d’allure. Intersport n’est pas seul à roder. Salomon, Lululemon, Hoka et autres marques ultra-spécialisé ont profité de l’année des Jeux pour s’implanter dans Paris, avec l’ouverture de plusieurs magasins, poursuit la spécialiste. Et « avec l’essor du sport depuis le Covid, la clientèle se tourne de plus en plus vers ce genre de marques techniques avec plus de crédibilité ». Ce que Lucas, amateur de course à pied depuis plus d’une décennie, résume : « il y a dix ans, les coureurs du dimanche portaient des Decathlon. Aujourd’hui, ça va plus filer vers des Hoka, des Salomon, des Brooks… Des marques connues pour faire des chaussures ultra-performantes, et pas la grande enseigne fourre-tout. » Le lifting des marques Face à ces concurrents à la solide réputation, Decathlon a fait le choix de la diète. De 71 marques en 2021, il n’en reste plus que quinze. Cela permet quelques économies de coût et de production, estime Guillaume Vallet. Mais aussi d’avoir des incarnations plus fortes, selon Johanna Volpert, pour lutter dans le ring du name branding. Si Quechua (qui survit) vous évoque forcément une tente dépliable rouge fluo ou une veste coupe-vent, il y a de grandes chances que Nabaiji, Oxelo, Tarmak, Forclaz ne vous disent rien. Sans surprise, elles n’ont pas survécu à la purge. En faisant ce choix de régime XXL, Decathlon espérait retrouver son allure de course. Mais l’enseigne a peut-être un peu perdu ses clients, aux yeux de Léa Riposa, consultante en marketing et spécialiste des développements de produits : « Decathlon, c’était certes beaucoup de marques, mais il y avait une promesse pour le consommateur. Un problème, un produit, un sport, une gamme à part. Aujourd’hui, avec moins de sous-marques, cette offre client n’est plus tenue. Il en va de même pour le choix de la digitalisation, il y a du coup moins d’espaces, moins de magasins, et moins de repères pour les clients. » Le grand écart du standing Nouvelle confusion : la nouvelle image que la marque veut se donner. L’équipe cycliste AG2R, Gaël Monfils, Antoine Griezmann, l’enseigne a multiplié les partenariats avec des stars, histoire de changer de standing. Mais voilà, le temps que la métamorphose se termine, Decathlon se retrouve un peu le cul entre deux chaises, selon Léa Riposa : « Si je veux du haut de gamme dans le sport, ce n’est pas l’offre qui manque. Il y a mieux, et plus spécialisé. Et si je veux du low-cost, pareil, il y a plus hardcore ailleurs. » Certaines marques ont toutefois fini par réussir pareil grand écart, rappelle Johanna Volpert, prenant l’exemple de Lidl : « C’est normal au bout d’un moment de vouloir élever ses critères et de rehausser son image, c’est l’évolution logique d’une marque. » Guillaume Vallet appelle à la patience : « A long terme, la stratégie de Decathlon me semble bonne et cohérente. Ce sont des choix forts, il faut aussi laisser du temps que ça s’implante. Une petite stagnation en en période de transition, ce n’est pas très inquiétant ». Définitivement, le business est un marathon, pas un sprint.