La saison 2 de Tekken 8, tant attendue par tous les joueurs, est enfin arrivée — et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas franchement répondu aux attentes de la communauté, qui s’est embrasée comme jamais auparavant ces derniers jours. Pour comprendre l’origine de ce véritable cataclysme vidéoludique, il convient d’abord de resituer le contexte. La sortie de Tekken 8, il y a un peu plus d’un an, a marqué un tournant décisif dans l’histoire de la franchise. Katsuhiro Harada, le parrain historique de la série qui a largement contribué à lui donner son identité depuis presque trente ans, a pris du recul pour laisser son siège de grand manitou à Kohei « Nakatsu » Ikeda, surtout connu pour son travail sur Dead of Alive et surtout Soul Calibur. L’intéressé est arrivé avec l’objectif de redynamiser un système de combat qui, de l’aveu de nombreux joueurs, avait bien besoin d’être dépoussiéré et modernisé. Historiquement, Tekken a toujours été un jeu de combat précis, mettant l’accent sur la défense méthodique et la prise de décisions judicieuses. Mais cela avait aussi pour effet de générer des matchs plutôt lents et pas forcément spectaculaires, surtout pour les membres du public qui ne maîtrisent pas les innombrables nuances du jeu. Inacceptable pour Bandai Namco, pour qui Tekken 8 était censé devenir une véritable poule aux œufs d’or. Un changement de paradigme total Pour y remédier et attirer une nouvelle génération de joueurs, l’équipe de Nakatsu a résumé sa philosophie en un seul mot : l’agressivité. En pratique, cela s’est manifesté par l’implémentation d’une ribambelle de nouvelles idées clivantes qui ont profondément transformé la recette originale de Tekken. L’exemple le plus flagrant est sans doute celui du système de Heat, une ressource qui permet à tous les personnages d’accéder temporairement à des coups extrêmement puissants. Un concept tout à fait familier pour les aficionados de Street Fighter, Guilty Gear et consorts, mais extrêmement déroutant pour les vétérans de Tekken. Surtout pour ceux qui restaient très attachés à l’ancienne identité de la franchise, qui se positionnait plutôt comme une simulation d’arts martiaux relativement terre à terre jusqu’à présent. Le côté rigoureux et méthodique des combats de Tekken est donc passé au second plan. Il a laissé la place à des séquences d’attaques aussi diaboliques qu’interminables qui limitent grandement la marge de manœuvre des joueurs. Pendant la première année, les réactions à ces changements ont été extrêmement divergentes. Certains joueurs ont beaucoup apprécié ce vent de fraîcheur tandis que d’autres, surtout du côté des vétérans, ont très mal vécu cette transition. En particulier ces derniers mois, la communauté a commencé à se faire de plus en plus insistante dans l’espoir de trouver un compromis entre cette nouvelle identité et les fondations historiques de la franchise. L’intensité de ces réactions a atteint un premier pic lors de la finale de la Coupe européenne, qui a opposé l’Allemand Nino au Britannique JoKa. La Coupe européenne, un vrai tournant Ce dernier est un véritable mastodonte de la scène européenne qui a enchaîné de nombreux succès internationaux pour se faire une place dans l’élite mondiale depuis plusieurs années. Une grande partie du public s’attendait donc à le voir s’imposer… mais il a été promptement oblitéré par son adversaire lors d’un match qui a rapidement tourné à l’exécution sommaire. Ce match a suscité de vives réactions, en particulier à cause du personnage joué par Nino : l’ours Kuma. Historiquement faible dans les précédents épisodes, il a connu une véritable résurrection dans Tekken 8, notamment grâce à ce fameux système de Heat. Cette mécanique l’a transformé en une machine offensive impitoyable qui place sans cesse son adversaire dans des situations quasiment indéfendables. Il est donc très peu apprécié de la communauté, qui y voit l’incarnation parfaite de tous les maux de Tekken 8. Nino, qui reste l’un des meilleurs joueurs européens, a parfaitement su tirer parti de cette force pour dominer JoKa dans un match à sens unique. JoKa, beau joueur, a refusé d’attribuer cette défaite à la puissance absurde de Kuma… mais le son de cloche était très différent du côté de la communauté. D’innombrables joueurs se sont mis à vociférer que Tekken désormais avait perdu toute son identité, faisant encore augmenter la tension. Les développeurs, et en particulier Nakatsu, ont affirmé avoir tenu compte des réactions de la communauté, et promis de se focaliser davantage sur l’aspect défensif si cher aux vétérans. Tout le monde attendait impatiemment la sortie de la deuxième saison et de son immense patch d’équilibrage qui devait enfin mettre tout le monde d’accord. Mais c’est tout l’inverse qui s’est produit ce mardi, et il ne s’agissait malheureusement pas d’un poisson d’avril : Bandai Namco a pris tout le monde à contre-pied, et la coupe s’est tout simplement mise à déborder. La saison 2 de l’apocalypse À l’heure du déploiement de la mise à jour, les joueurs ont réalisé avec effroi que les changements défensifs étaient finalement assez anecdotiques. Pire : en parallèle de certains nerfs nécessaires et bienvenus, presque tous les personnages, y compris les plus performants, ont reçu de nouveaux outils offensifs plus dévastateurs que jamais. La quasi-totalité du roster est désormais armée pour forcer l’adversaire à jouer à la roulette, avec le risque d’être pulvérisé en quelques interactions s’il a le malheur de parier sur la mauvaise case — d’où le meme Casino 8, qui n’a jamais été aussi populaire qu’en ce moment. En outre, les développeurs ont décidé de sacrifier un nombre substantiel d’éléments de gameplay sur l’autel de l’accessibilité. Ils ont par exemple supprimé d’anciennes mécaniques souvent anecdotiques, mais néanmoins intéressantes. Certes, ces éléments rendaient le jeu moins abordable pour les néophytes, mais ils permettaient aux joueurs expérimentés de s’exprimer différemment à l’aide de stratégies originales et créatives. La volonté récurrente de supprimer ces couches de complexité, mais aussi d’atténuer les faiblesses qui ont toujours défini l’identité des personnages a également été jugée regrettable par la communauté. Toutes les nuances qui rendent Tekken si intéressant résident précisément dans cette asymétrie ; or, aujourd’hui, les personnages n’ont jamais été aussi homogènes et standardisés. Le jeu dans son ensemble s’en retrouve donc aseptisés. Même le coréen Knee, souvent considéré comme le meilleur joueur de l’histoire de la franchise, a eu des mots très durs vis à vis de ce nouveau système. Braindead Season No Mindgame, No sidestep, 1 or 2 OP moves Easy game but no fun pic.twitter.com/XUHaKtoo0M — DRX|KNEE (@holyknee) April 3, 2025 Le torchon brûle En résumé, avec cette deuxième saison, Nakatsu et son équipe ont décidé de foncer à toute allure dans la direction opposée à celle que la majorité des joueurs semblait attendre. C’est sans doute à cause de cette décision vécue comme une trahison que la réaction de la communauté a été d’une violence aussi exceptionnelle. Des hordes de joueurs écoeurés par ces changements sont immédiatement parties manifester leur mécontentement sur les réseaux sociaux, pas toujours de façon très délicate et constructive. Sur Steam, la note du jeu a sombré de manière spectaculaire. Sur Twitch, les professionnels, tous dans les starting-blocks au moment de la mise à jour, sont passés par les 5 étapes du deuil en direct. La sidération la plus totale a vite laissé place à une immense frustration, puis au dépit quand ces membres de l’élite mondiale ont réalisé qu’ils allaient devoir jouer les premiers tournois de la saison dans ces conditions exceptionnellement chaotiques. Inutile de préciser que Bandai Namco sera attendu au tournant ces prochaines semaines, car les enjeux sont considérables. Si Nakatsu et son équipe ne parviennent pas à apporter une réponse appropriée, la fracture qui existe déjà entre les développeurs et la communauté risque de devenir pratiquement irréparable. Un scénario catastrophe lourd de conséquences, aussi bien pour ceux qui soutiennent cette franchise légendaire depuis longtemps que pour l’entreprise, qui risque d’endommager la valeur d’un produit chargé d’histoire et à très fort potentiel commercial.