Il a été fait chevalier de l’ordre national du Mérite. Eric Brion, le premier homme mis en cause dans le mouvement #BalanceTonPorc en France pour avoir tenu des propos sexuels à la journaliste Sandra Muller, a été décoré par la ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, mercredi 2 avril, rapporte Mediapart. C’est Eric Brion lui-même qui a relayé l’information sur sa page LinkedIn, en partageant une vidéo du moment où la ministre lui épingle l’insigne. «Un moment d’une immense émotion», écrit l’ancien directeur de la chaîne Equidia, félicité par des personnalités de la télévision. Interrogé par le média d’investigation, le cabinet de la ministre du Travail met en avant l’«engagement professionnel» d’Eric Brion au sein de différentes chaînes de télévision, notamment «comme dirigeant chez Equidia», mais aussi son «engagement plus large pour la filière comme fondateur de l’Association des chaînes du câble et du satellite [devenue l’Association des chaînes conventionnées éditrices de services (Acces), ndlr], qu’il a présidé de 2004 à 2008». Les propos qu’il a tenus à l’égard de Sandra Muller ont-ils, à un moment, dissuadé la ministre de lui remettre l’ordre national du Mérite ? «Non», répond simplement son cabinet. Onde de choc #MeToo Cette décoration aurait été décidée en novembre 2013, «par le président de la République François Hollande, sur proposition de la ministre de la Culture Aurélie Filippetti», affirme le cabinet de la ministre. Soit quatre ans avant que ne soient révélée l’affaire. Sans avoir le souvenir de cette décision, Aurélie Filippetti estime auprès de nos confrères de Mediapart que «c’est tout à fait possible» : «Nous recevions des listes de noms pour les décorations, proposés par untel ou untel. Ce devait être, comme cela se fait communément, une forme de gratification symbolique à la fin d’un mandat. En tout cas, ce n’était pas un choix personnel de ma part, car je ne connais pas Eric Brion.» De son côté, Brion élude : «J’ai attendu douze ans pour me la faire remettre. Et rassembler mes amis et ma famille. Est-ce que cela mérite un article ? Pas sûr.» Eric Brion est a été le premier visé par le hashtag #BalanceTonPorc, en octobre 2017, en pleine onde de choc #MeToo. Après les révélations de l’affaire Weinstein et des centaines de milliers de témoignages de violences sexistes et sexuelles sur les réseaux sociaux, Sandra Muller, directrice éditoriale de la Lettre de l’audiovisuel, avait rapporté sur Twitter (devenu X) les propos sexuels que lui avait tenus Eric Brion lors d’un événement professionnel : «Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit.» Quelques heures plus tôt, la journaliste avait lancé le mouvement en appelant les internautes à raconter leur agression ou harcèlement sexuel. En un an, près d’un million de tweets étaient publiés sous le hashtag #BalanceTonPorc et 18 millions sur #MeToo, a comptabilisé la cour d’appel de Paris en 2021. Eric Brion a reconnu avoir prononcé ces propos, concédant avoir été «lourdingue», «couillon» et avoir «mal agi», démentant toutefois tout «harcèlement sexuel», faisant valoir qu’il n’avait pas réitéré ses paroles et qu’il s’était excusé. Très médiatisé, il s’est plaint que sa vie soit «sociale détruite pour quelques mots grossiers» – une condamnation à «mort», a-t-il dénoncé, estimant que «#BalanceTonPorc, c’est de la délation». Victoire judiciaire pour Sandra Muller Devant la justice, alors qu’Eric Brion avait attaqué Sandra Muller en diffamation, le tribunal lui a donné raison en 2019, condamnant la journaliste à verser 15 000 euros de dommages et intérêts au plaignant au titre du préjudice moral, 5 000 euros au titre des frais de justice, à retirer le post litigieux et à publier des communiqués judiciaires sur son compte Twitter et dans deux organes de presse. Mais en 2021, la décision a été infirmée par la cour d’appel de Paris, qui a au contraire reconnu la «bonne foi» et le «but légitime» de la démarche de Sandra Muller. L’année suivante, la Cour de cassation, plus haute juridiction de France, a débouté définitivement l’ex-patron de la chaîne Equidia, rappelle Mediapart.