Soldat augmenté, IA, armes à énergie dirigée… A quoi pourrait ressembler le champ de bataille en 2040 ?
Un soldat survitaminé et bardé de capteurs, équipé d'un canon laser pour neutraliser des essaims de drones lui tournant autour... Le champ de bataille en 2040 pourrait-il ressembler à quelque chose comme cela ? Au sein de l’armée de Terre française, le nouveau commandement du combat futur, est précisément chargé d’anticiper les évolutions technologiques à venir. Mais pas seulement. Le changement climatique, l’urbanisation, les domaines de l’information et la communication, sont aussi des enjeux dont il faut dès aujourd'hui prévoir les effets. @20Minutes continue de suivre le #Sofins Salon des Forces spéciales au camp militaire de Souge en #Gironde ou Airbus Hélicoptère présente pour la première fois au public l’hélicoptère NH90 pour les Forces spéciales. La DGA a passé commande de 18 exemplaires pic.twitter.com/U2rRdWhVJa — mibosredon (@mibosredon) April 3, 2025 L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires. Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies J’accepte Dans la foulée du Sofins, le salon des Forces spéciales qui se tenait la semaine dernière sur le camp de Souge en Gironde, l’armée de Terre s’est réunie vendredi sur le même site pour aborder toutes ces questions auprès des start-up et des industriels présents, et ainsi faire converger ses attentes avec le développement des programmes militaires à venir. Des champs de bataille désormais « transparents » Pour anticiper les évolutions, c’est vers la guerre en Ukraine que tous les regards se tournent aujourd’hui. « C’est un laboratoire de l’innovation technologique dont il faut s’inspirer, même si cela ne veut pas dire que ce sera l’absolu des conflits à l’horizon 2040 », explique devant un parterre de chefs d’entreprises le colonel Martin Doithier, chef du bureau « prospective » au commandement du combat futur. Et le premier enseignement de ce conflit est le « raccourcissement du cycle capacitaire : on voit des pas d’évolution technologiques de l’ordre d’un mois, d’où la nécessité d’avoir un cycle très court, d’agilité et d’adaptabilité ». « On ne peut plus faire des plans à dix ou quinze ans, il faut repenser nos process », ajoute le général Bruno Baratz, commandant du combat futur. Deuxième enseignement : « On voit qu’au niveau matériel, il nous faut à la fois de la masse et de la technologie », remarque le colonel Doithier. « Face à des adversaires qui ont de grosses capacités, il faut des moyens volumineux, peu chers, de façon à saturer la défense adverse, et des armes différenciantes, plus évoluées, pour exploiter les failles », détaille le général Baratz : « On a besoin de trouver cet équilibre entre des armes à haute technologie, et d’autres à basse technologie. » Parallèlement, « haute technologie ne veut pas dire complexité, insiste le colonel Doithier. On doit avoir des équipements employables simplement et rapidement sur le champ de bataille ». Au niveau tactique, « on voit que le champ de bataille n’est plus segmenté, poursuit le chef du bureau prospective : il est plus large, se passe sur le front et sur l’arrière, et même dans les champs immatériels [comme le cyber]… On parle désormais d’espace de bataille ». Les conséquences sont nombreuses. « On retrouve des forces plus petites en effectifs, mais en plus grand nombre pour être davantage réparties sur le terrain. Par ailleurs, la zone de contact, sur un espace de 20 km de chaque côté, est totalement saturée de guerre électronique et de drones, ce qui complique la tâche du fantassin pour progresser jusqu’à la ligne de front. Il n’y a plus de sanctuaire, avec une menace permanente au-dessus de la tête des soldats, ce qui a des conséquences sur la psychologie du combattant. » On parle ainsi de « transparence du champ de bataille », dans laquelle on peut voir tout ce que fait l’ennemi, et lui voit tout ce que l’on fait. Le drone, dans toutes ses composantes, a pris une place prépondérante sur ce champ de bataille, et les armées doivent impérativement l'intégrer dans le développement de leurs programmes. Des combats qui seront urbains voire souterrains A ces évolutions observées sur le front ukrainien, le commandement du combat futur ajoute des éléments qu’il faudra prendre en compte dans une quinzaine d’années, comme les effets climatiques, la démographie, le contexte géopolitique… « D’ici à 2040 on estime que 60 % de la population mondiale vivra en ville [64 % selon l’ONU, qui anticipe une progression à 70 % en 2050], avec pour conséquence un combat très particulier en milieu urbain, notamment dans les souterrains », explique le colonel Doithier. « On s’attend également à une multiplication des acteurs avec une privatisation de la guerre » et une « recomposition des alliances ». Si la France a été engagée dans de nombreuses opérations extérieures (Opex) ces dernières années, au Sahel, en Irak, en Afghanistan, les affrontements qui pourraient éclater dans les prochaines années, même s’ils étaient menés au sein d’une alliance, s’envisagent dans un autre rapport de forces, « qui pourrait nous être défavorable d’emblée, par rapport à ce que l’on connaît aujourd’hui », anticipe le colonel Doithier. Sur l’aspect humain, « le soldat en 2040 restera au cœur de l’engagement terrestre mais sera soumis à des défis physiques, intellectuels et cognitifs beaucoup plus importants, liés à la complexification du champ de bataille et à la masse de données à traiter ». Enfin, l’armée de Terre estime que « l’engagement sera systématiquement en M2MC [multimilieux-multichamps, on distingue cinq milieux -terrestre, aérien, maritime, extra-atmosphérique et cyber- et deux champs -électromagnétique et informationnel]. » « Un champ de bataille saturé d’informations » Face à ces enjeux, l’armée estime qu’il lui faudra maîtriser dans les quinze prochaines années « cinq innovations technologiques qui auront des conséquences majeures sur notre engagement aéroterrestre ». Le premier est « l’intelligence artificielle et l’automatisation des systèmes, avec les robots de combat et des opérations sans intervention humaine directe ». Si à ce stade les armées s’interdisent d’avoir recours à des armes autonomes [ne respectant pas le droit des armées], elles sont toutefois « prêtes à adopter des systèmes intégrant l’autonomie, comme l’aide à la décision en temps réel pour orchestrer les moyens » sachant que « le champ de bataille sera saturé d’informations ». Une saturation qui va « générer un niveau de données gigantesque, avec un risque de surcharge cognitive pour les chefs, qui devront prendre rapidement la juste décision », annonce le chef du bureau prospective. « Un vrai combat de la donnée nous attend. » Autre évolution technologique, « l’hyperconnectivité, dont le combat en réseau avec pour objectif de maximiser l’efficacité de nos actions, ou encore la nécessité d’être plus résilient sur nos communications ». Il faudra aussi maîtriser « les armes à énergie dirigée [AED], notamment les lasers de haute puissance pour la défense antimissile et antidrones, les armes à micro-ondes pour la neutralisation des systèmes optroniques, notamment des drones [Thalès développe un projet dénommé E-Trap] et les canons électromagnétiques pour tirer des projectiles à très haute vitesse… » Des canons laser Helma-P de la société française Cilas, capables de détruire des drones jusqu’à un kilomètre, doivent commencer à équiper l’ensemble des armées d’ici à la fin de l’année, a annoncé le directeur de la société durant le salon Sofins. Modifier les globules rouges des soldats ? Un autre domaine - plus controversé - dans lequel l’armée souhaite aussi avancer ses pions, est celui du « soldat augmenté », ce qui peut aller de l'exosquelette pour porter des charges plus lourdes, aux capteurs, en passant par des… implants neuronaux - « que l’on s’interdit aujourd’hui », souligne le colonel Doithier - ou encore la modification biologique pour améliorer la résistance et les capacités des soldats sur le terrain. Un effort « doit être porté dans le domaine des stimulants biotechnologiques pour permettre une vigilance accrue, un meilleur temps de récupération ou une résistance renforcée », estime le colonel Doithier, sachant que « nos compétiteurs [et d'autres pays] s’y intéressent déjà » (une agence de recherche militaire américaine travaille sur un programme baptisé « Red Blood Cell Factory » visant à se servir des globules rouges pour transporter dans toutes les parties du corps des « composants biologiquement actifs » et permettre de lutter ainsi plus efficacement contre certaines maladies). En France, un comité d’éthique de la défense est chargé de se prononcer sur ces questions. Il estime qu’il est « impératif de ne pas inhiber la recherche sur le soldat augmenté afin d’éviter tout risque de décrochage capacitaire de nos armées » mais interdit « toute augmentation dont on estime qu’elle serait contraire au principe du respect de la dignité humaine ». Enfin, une dernière innovation technologique qu'il faudra maîtriser, estime le CCF, est celle des « moyens spatiaux et hypersoniques, avec notamment les missiles hypersoniques pour contourner les défenses adverses ». La France travaille à l’acquisition de cette technologie qu’elle ne détient pas encore, et espère se doter d'un missile hypersonique, l’ASN4G, d’ici à 2035. Même si certains « invariants » de la guerre, notamment l'importance de disposer d'une réserve en suffisamment grand nombre pour relever les soldats sur le front, resteront toujours déterminants, et même si ces innovations ne seront certainement pas massivement déployées en 2040, on voit cependant que tout ceci est loin d’être de la science-fiction. Et que 2040 se prépare dès aujourd’hui.