Orienter les enfants dès la maternelle ? Borne a raison, on n’est jamais aussi sûr de son futur métier qu’à 4 ans
On dit qu’à l’âge de quatre ans, Élisabeth Borne se rêvait grande en Mary Poppins. Il est vrai que la nounou et gouvernante du film pour enfant sorti en 1964 présente des traits désirables : Un brin mystérieuse, quelque peu magicienne, charmante et coquette, le tout serti d’un penchant légèrement autoritaire. Une vingtaine de 49.3 plus tard comme Première ministre et une carrière politique accomplie, il semblerait que l’actuelle ministre de l’Education ait touché son rêve d’enfant - on est content pour elle - et souhaite faire école : « Il faut se préparer très jeune, dès le départ, presque depuis la maternelle, à réfléchir à la façon dont on se projette dans une formation et dans un métier, demain », a lâché ce mardi la femme politique de 63 ans. Des propos qu’elle a immédiatement modérés face au tollé mais qui témoignent d’un certain rapport au travail et à la vie, dans nos sociétés occidentales où le travail des enfants est heureusement interdit. Pourtant, Elisabeth Borne n’a pas tort sur le papier : Les enfants ont très rapidement une idée précise de ce qu’ils envisagent pour leur avenir. En témoigne ce (presque) échange avec Sacha, mon neveu de 5 ans, pas plus tard que la semaine dernière, alors que je lui expliquais un peu comment ça se passait sur Parcoursup. - « Plus tard je serai Spiderman », m’a-t-il expliqué doctement entre deux sprints dans le couloir destiné à faire clignoter les LED de ses « chaussures qui vont vite », et à s’exercer (déjà) à son futur métier. - « O.K. Sacha. Et que penses-tu alors de cordiste, tu sais les gens qui travaillent suspendus à des cordes, dans la construction ou les espaces verts ? » - « Super idée tonton. Comme ça, je créerai ma SARL après avoir benchmarké le marché. Je prendrai des alternants - ça coûte moins cher - et j’embaucherai ma grande sœur comme experte comptable, vu qu’elle connaît déjà ses tables de multiplication, qui arrangera les résultats nets pour nous maintenir dans une tranche d’impôt non confiscatoire ». Une réponse pleine de lucidité qui aurait fait la fierté de toute la famille, si elle avait existé. De super-héros à préparateur de commandes Figurez-vous que selon une étude commandée en 2021 par le site de création de CV Zety, le top 10 des métiers cités par les enfants français sont professeur, musicien, docteur, star de cinéma, vétérinaire, artiste, athlète, policier, écrivain, chef d’entreprise. Suivent, dans le top 20, agent secret, cuisinier, super-héros, pompier ou encore pilote de course. Mais voilà, une liste de 20 métiers ne fait pas une société, et personne ne rêve visiblement de porter des parpaings, de manager un desk de service client, de remplir des tableaux Excel, de vider des camions dans un hangar, de filmer des palettes ou encore d’écrire des textes insipides et vaguement informatifs. Et plus que de leurs rêveries, le destin des enfants au travail dépend d’abord de celui occupé par leurs parents. Ainsi, plus de 80 % d’enfants nés dans une famille de cadres occupent, à la fin de leurs études, le même type d’emploi que leurs géniteurs, relève un rapport remis à l’Assemblée nationale en octobre 2023. Aussi, 48 % des enfants d’ouvriers le sont restés. Tout se passe comme si demander aux enfants en maternelle de commencer à réfléchir à leur orientation, revient en fait à poser la question à leurs parents, lesquels ne s’en privent pas, imaginant vite de (trop) grandes carrières pour leurs enfants. Projet Mbappé Tels ces darons qui voient dans leur rejeton qui a marqué un jour un triplé en -8 ans, le futur Mbappé. Ou ces parents qui s’émerveillent des facilités précoces d’élocution de leur enfant, signe qu’il fera une grande carrière, peut-être comme avocat de cour d’assises. Ou ceux, fascinés par le gribouillis de leur descendance sur la nappe de la cuisine, évidence d’un talent artistique certain. Plus pragmatique, il y a aussi ceux qui les voient reprendre l’entreprise familiale, qu’il s’agisse d’une petite affaire ou d’une multinationale, avec un siège au conseil d’administration ou un poste de PDG d’une filiale, histoire de se faire la main. Mais rendons un peu la parole aux premiers concernés, les enfants, toujours aussi sûrs d’eux et préservés de la nécessité à venir de gagner leur vie et de travailler pour ce faire. Un peu à la façon Brice de Nice qui, lorsqu’il apprend qu’il va devoir travailler répond avec l’innocence d’un enfant : « C’est comment travailler ? Je connais le mot, j’ai un copain qui fait ça mais je ne sais pas ce que c’est ». Dans leur livre publié en 2021 Maîtresse, mais pourquoi… ?, les institutrices Gaëlle Roze et Sandra Guillot-Duhem ont compilé certaines « perles » évocatrices du rapport au travail et de la conception que s’en font certains de leurs élèves : Ainsi l’une d’elles s’inquiète du devenir de Mathis qui n’a toujours pas commencé son travail après vingt minutes en classe : « Mathis, mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ? » - « Ben, tu peux peut-être commencer par me laisser aller en récréation, et après tu verras… » Autre exemple avec Arthur, quatre ans et demi, qui lance à sa maîtresse : « Je n’aime pas travailler et je crois que j’aimerai jamais ça. » - « Pourtant, quand tu seras grand, tu n’auras pas le choix, il faudra bien que tu aies un travail ! » - « Ah non alors, il y a déjà papa et maman qui travaillent, ça suffit ! » L’œuvre des enfants et le travail adulte Et on le comprend dans la bouche des enfants, dont on dit que sort la vérité : à cinq ans, ils ne comprennent pas ce que peut bien signifier et revêtir dans sa globalité la notion contemporaine de travail. Il n’en a pas toujours été ainsi dans l’histoire de la condition humaine : Les Grecs de l’Antiquité, puis les Romains disposaient d’au moins deux mots pour qualifier différentes sortes de travail : Le labor qui est un travail-châtiment, nécessaire à sa survie et réservé aux esclaves et l’opus qui est un travail-création, qui fait la grandeur des Hommes. Et force est de constater que les enfants saisissent parfaitement le sens du travail-création, en témoignent les nombreuses réponses, absurdes aux yeux des adultes, lorsqu’on demande aux enfants leurs futurs métiers. Immanquablement, surgissent alors des professions fantasques (soigneur de licornes, éleveurs de dragon et autres pâtissier-astronaute). Ils sont malheureusement plutôt étrangers à la première définition, qui est pourtant ce qui les attend à l’avenir. Mais chuuuuuuut. Puisqu’il faut conclure sans briser les rêves de Sacha-Spiderman, aidons-nous de Marcel Pagnol, qui finissait par ces mots sa Trilogie d’enfance : « Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d’inoubliables chagrins. Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants ».