C’est l’issue de près de quatorze ans de combat pour Priscilla Dray. Après une interruption volontaire de grossesse (IVG) en juillet 2011, la jeune femme alors âgée de 35 ans, est victime d’une complication infectieuse qui n’est pas décelée à temps au CHU de Bordeaux. Elle doit subir une amputation des quatre membres après avoir contracté une infection à streptocoque A d’origine nosocomiale et de nombreuses greffes. « En quarante-huit heures, elle fait un choc septique gravissime avec des conséquences systémiques », retient le président du tribunal correctionnel Gérard Pitti. Les 17 et 18 février, deux médecins du CHU de Bordeaux et l’établissement, en tant que personne morale, ont été jugés pour blessures volontaires dans cette affaire. Des peines qualifiées « d’avertissement » par le président du tribunal ont été prononcées ce lundi 14 avril : le docteur Martial Dekhili a été condamné à six mois de prison avec sursis et le docteur François Vandenbossche à neuf mois de prison avec sursis. Tous les deux écopent aussi de 8.000 euros d’amende. Les réquisitions du procureur étaient respectivement de douze et seize mois de prison avec sursis pour les prévenus. « Ils sont responsables d’un vrai carnage » Tous les deux doivent régler les frais d’avocat des parties civiles, de la victime et de sa famille, pendant les treize ans de procédure, à hauteur de 10.000 euros. Le CHU a, lui, été relaxé. Dans ce dossier sensible, le président du tribunal a souligné qu’il ne s’agissait pas de combler les peines des parties civiles mais de faire « répondre de leurs fautes » les prévenus. « Il y a certes des condamnations, donc je suis satisfaite. Mais quoi qu’il arrive, elles ne seront jamais à la hauteur des souffrances et des préjudices que je subis depuis quatorze ans, réagit Priscilla Dray après le délibéré. Depuis ce jour où j’ai eu le malheur de rencontrer ces deux médecins, les docteurs Dekhili et Vandenbossche au CHU de Bordeaux, ma vie a basculé. » A l’audience, le procureur avait requis une interdiction d’exercer la médecine pendant quelques semaines « pour qu’ils mesurent la situation » mais le tribunal n’a pas tranché dans ce sens. « Ce que je trouve déplorable, c’est qu’ils vont vivre tranquillement et continuer à exercer, alors que moi ma vie est massacrée, la mienne et celle de ma famille, regrette-t-elle. Ils sont responsables d’un vrai carnage. » Elle rappelle qu’elle est passée près de la mort, qu’on l’a amputé des quatre membres et que 111 opérations ont été nécessaires pour qu’elle soit debout aujourd’hui. « Si c’était à refaire je le referai », a dit l’un des médecins Quand la jeune femme se présente aux urgences gynécologiques le lendemain de son IVG, elle n’est pas prise au sérieux par l’équipe soignante, selon son avocate Aurélie Coviaux. « Ce que pensent les médecins à ce moment-là c’est qu’elle décompense de son IVG avec une grosse gastro », plaidait-elle à l’audience. Mais pour maître Arnaud Dupin, l’avocat du docteur Martial Dekhili : « Il n’y avait pas d’urgence à prescrire un antibiotique, le risque de sepsis [réaction extrême à une infection] était de 15 à 20 %. » Il estime que son client a suivi les préconisations et qu’il ne pouvait rien faire de plus face à cette complication rare. L’avocate de la victime ne l’entend évidemment pas de cette oreille. Le temps que les analyses bactériologiques du laboratoire soient disponibles, il fallait, comme elle l’a dit à l’audience, anticiper le risque infectieux avec une « antibiothérapie probabiliste » qui aurait pu « limiter les amputations massives » subies par sa cliente. « Depuis treize ans, mon client affirme qu’il a pris la bonne décision médicale, il a dit devant le tribunal : "si c’était à refaire je le referai", c’est rare qu’un médecin dise ça, souligne maître Arnaud Dupin après le délibéré. Il est convaincu que ce qu’il a fait était la bonne décision. C’est toujours facile de tirer un bilan a posteriori. » S’agissant du docteur François Vandenbossche, le président justifie la peine un peu plus lourde prononcée par le tribunal à son encontre, par le fait que la patiente s’était déjà présentée aux urgences la veille, qu’elle avait un courrier d’adressage de son médecin généraliste et que le tableau clinique avait évolué. Autant d’éléments qui auraient dû « l’inciter à aller la voir avant 17 heures », sachant qu’elle était arrivée à 12 heures. Et s’il l’adresse judicieusement à un confère anesthésiste, plus calé que lui en matière d'infections, il ne s’assure pas qu’il est disponible et qu’il prend effectivement la patiente en charge. Résultat : près de 4h30 sont perdues avant la prise d’antibiotiques, alors que « chaque heure écoulée est primordiale », souligne le président, à l’appui des rapports d’expertise. Les médecins et le CHU disposent de dix jours pour faire appel de la décision. Et maître Arnaud Dupin a confirmé que son client en prenait la direction, puisqu’il maintient avoir pris la bonne décision médicale, ce jour-là.