C’est la première fois depuis plus de vingt ans qu’Ellen Pompeo incarne un autre personnage que Meredith Grey dans Grey’s Anatomy et son spin-off, Station 9. Dans la minisérie Good American Family disponible ce mercredi sur Disney+ l’actrice américaine campe Kristine Barnett, une mère de famille modèle qui éduque brillamment trois garçons, dont un autiste. Son mari Michael (Mark Duplass) rêve d’avoir une fille. Le couple adopte une fillette (Imogen Faith Reid) d’origine ukrainienne atteinte d’une forme rare de nanisme. Alors que la fillette sème le trouble dans la famille, un mystère émerge autour de ses origines et de son âge, leur faisant soupçonner qu’elle n’est peut-être pas celle qu’elle prétend être… Une histoire trouble racontée depuis les multiples points de vue des personnages et inspirée par un véritable fait divers américain : l’histoire de Natalia Grace adoptée en 2010 par Kristine Barnett et son époux et qui a ensuite poursuivi en justice ses parents adoptifs. 20 Minutes a rencontré Ellen Pompeo, productrice exécutive de ce show grinçant et angoissant, impeccable et glaçante dans ce rôle de mère courage déchue. Ce rôle est-il une façon de vous prouver (et de prouver au monde) que vous ne pouvez pas être réduite à jouer Meredith Grey ? Oui, je pense que c’est un défi important, mais aussi nécessaire pour moi. La pression est-elle plus forte lorsqu’on travaille sur une série inspirée d’une histoire vraie ? Pas dans ce cas précis, car notre objectif n’était pas de dépeindre exactement ces personnes. Je pense que la pression est plus forte dans d’autres situations, comme lorsque Natalie Portman interprète Jackie Onassis. Elle l’a fait de manière brillante et fantastique et Jackie Onassis était si célèbre. Comment avez-vous préparé le rôle ? Avez-vous rencontré la vraie Christine ? Non, l’objectif de la série n’est pas tant l’histoire ou les personnes réelles… Cette histoire sert de cadre pour explorer la question de la narration. Ce qui est fascinant dans la condition humaine, c’est qu’en fonction de la personne qui raconte l’histoire, nous croyons quelque chose de différent. Nous avons aussi des croyances à propos de nous-mêmes et de nos actions. On croit qu’on est un bon Chrétien, qu’on mène une bonne vie parce qu’on récite la Bible, on croit qu’on se débrouille mieux que nos parents… On porte tellement de jugements sur les autres qu’on n’examine pas souvent notre propre comportement. Cette série interroge nos comportements, les raisons pour lesquelles on se comporte de telle ou telle manière, pourquoi nous croyons ce que nous croyons. Ce fait divers sert de cadre pour poser ces questions. Pensez-vous que cette série peut changer notre regard sur les enfants handicapés ? Je l’espère ! Personnellement, je pense que tous les enfants naissent parfaits tels qu’ils sont. Ce sont les adultes qui les maltraitent et affectent leur psychologie et leur façon de penser. Nous avons un énorme pouvoir en tant qu’adulte, et en tant que parent. La façon dont on traite ses enfants affecte la façon dont ils grandiront et traiteront à leur tour leurs enfants. On le voit parfaitement avec Kristine Barnett et la relation qu’elle entretient avec sa propre mère. Elle pensait vraiment faire mieux qu’elle et au final, pas du tout. Nous avons un tel pouvoir sur les jeunes esprits, c’est une immense responsabilité. La série commence du point de vue de Kristine Barnett, avec votre voix off, comme dans « Grey’s Anatomy ». Pensez-vous que cela contribue à l’empathie que nous ressentons immédiatement pour elle ? Était-ce intentionnel ? L’action de la série se déroule sur une dizaine d’années de l’adoption jusqu’au procès. On commence par la fin et on rembobine. C’est assez déroutant. La voix off permet au public de se situer. Là où je rejoins votre point de vue, lorsque vous avez un personnage vraiment mauvais dans une fiction, il est utile d’avoir un interprète qui permet d’équilibrer cette méchanceté, afin que le public puisse mieux l’accepter. James Gandolfini dans le rôle de Tony Soprano en est l’exemple parfait : c’est un méchant, mais on l’aime quand même. Alors peut-être qu’il y a une raison derrière la voix off et le fait de m’avoir choisie. Ils savaient que le public serait capable de me suivre, de prendre le temps de comprendre pourquoi cette femme pense comme elle le fait. Comment avez-vous approché ce personnage et ses deux facettes ? Ses deux visages ne sont pas le bien et le mal, mais le bien et la victime. C’est une méchante qui s’ignore et une victime consciente… Les méchants se glissent très facilement dans le rôle de la victime. Il est très facile pour les narcissiques de se percevoir comme des victimes. Il ne s’agissait donc pas nécessairement de jouer le bien et le mal, mais de jouer qui je pense qu’elle est. Elle se voit comme une héroïne puis une victime… Elle pense qu’elle peut aider et sauver tout le monde. Elle a vraiment ce complexe du sauveur. Elle se dit qu’elle est une personne tellement bonne et ne comprend pas que les autres ne s’en rendent pas compte. A la fin de la série, un policier demande à Natalia Grace si elle pense que Kristine Bartnett croyait à l’histoire qu’elle s’était inventée. Qu’en pensez-vous ? Kristine Bartnett veut croire que c’est vrai. Peu importe ce que disent les médecins. C’était sa vérité. Mais lorsqu’elle arrive au tribunal et voit Natalia quelques années plus tard, elle se rend compte qu’elle est plus âgée. Sa meilleure amie, Val, la confronte d’ailleurs dans la cuisine à ce sujet. Natalia était vraiment une petite fille à l’époque… A la fin, Kristine sait, mais il est hélas trop tard.