Un Allemand qui « supplie » Vladimir Poutine de lui donner la nationalité russe… c’est la légende d’une séquence vidéo vue par des centaines de milliers de personnes sur X. Sur ces images, on peut voir un homme interpeller en allemand le président russe en visioconférence afin de l’aider à obtenir la nationalité russe. Poutine, ayant vécu plusieurs années en RDA, lui répond dans la langue de Goethe en lui annonçant qu’ils allaient « rester en contact » pour « régler le problème ». La scène devenue virale a été reprise par de nombreux partisans russes sur les réseaux sociaux accompagnés de commentaires servant un narratif pro russe. Sur son Telegram, suivi par plus de 450.000 personnes, le journaliste russe Pavel Zaroubine se montre élogieux et parle même du « dialogue le plus brillant de la journée ». Pas un simple « citoyen allemand » Si la vidéo est authentique et provient d’une réunion organisée par le Présidium du Conseil d’État russe, elle cache en réalité la promotion d’une « ville colonie » et plus largement une stratégie visant à attirer des Occidentaux en Russie. Devant Vladimir Poutine, l’homme affirme être parti d’Allemagne car le pays « promouvait des valeurs non traditionnelles », un discours que la Russie partage sans cesse depuis le début de la guerre en Ukraine. Comme le rapporte le Moscow Times, l’homme se nomme Maxim Zhitnikov. Il est, en réalité, né en URSS puis a rejoint l’Allemagne pour travailler en tant que chef cuisinier dans plusieurs restaurants du pays notamment à Essen. C’est en 2023 que ce chef de renom décide, avec sa femme russe et ses deux enfants, de venir s’installer en Russie. On est au final assez éloigné du fantasme du citoyen lambda allemand qui « fuit » l’Europe pour gagner la Russie comme on peut le lire sur plusieurs posts. Dobrograd : la ville « du bon et du bien » Fraîchement arrivé en Russie, Maxim Zhitnikov explique, toujours pendant la même réunion, avoir posé ses valises à Dobrograd, ville que sa femme aurait trouvée via des publicités sur Internet. Dobrograd, ce n’est pas une simple bourgade russe mais un projet unique d’une colonie « futuriste » pour Occidentaux et Russes. Caputre d'écran d'une partie de la ville de Dobrograd sur Google maps. - Capture d'écran Google maps Créée par le riche entrepreneur Vladimir Sedov, elle est située à 250 kilomètres à l’est de Moscou. Encore en pleine expansion, elle compte environ 3.000 habitants qui vivent dans des bâtiments pour la plupart flambant neufs. Avec plus de 30 milliards de roubles investis pour les dix prochaines années - selon l’entrepreneur –, ce projet faramineux s’inscrit dans une politique nationale qui vise à attirer les Occidentaux souhaitant « retrouver des valeurs traditionnelles ». Sur son site Internet, traduit dans plusieurs langues dont le français, tout est fait pour attirer un public étranger conservateur. Vidéos de présentations qui appuient sur le côté familial, aides à l’installation, offres d’emploi… Bref Dobrograd, c’est « la ville idéale pour des familles occidentales ». Le créateur de cette ville privée, Vladimir Sedov, s’en vante même en indiquant, lors du même entretien avec Vladimir Poutine, que 35 familles de la ville sont d’origines étrangères pour 14 pays représentées. Interviewé par une agente russe condamnée aux Etats-Unis Pour les moins convaincus, des « témoignages » de familles récemment installées à Dobrograd sont disponibles sur le site Internet de la ville. Ces derniers disent venir d’Italie, de Chypre, des Etats-Unis ou d’autres régions russes. Bien sûr, chaque témoignage est une déclaration d’amour à la Russie et à Dobrograd. Le chef cuisinier Maxim Zhitnikov (à gauche) "interviewé" par la députée russe Maria Butina. - Capture d'écran C’est d’ailleurs dans l’une d’entre elles que l’on retrouve notre cher citoyen allemand, plusieurs semaines avant son intervention devant Vladimir Poutine. Tablier sur les épaules, dans sa cuisine, Maxim Zhitnikov est interrogé alors qu’il prépare à manger. La personne qui lui pose des questions n’est d’autre que Maria Butina, agente russe condamnée, en 2018, à 18 mois de prison pour conspiration aux États-Unis. Depuis, la femme d’une trentaine d’années est devenue députée de Russie Unie, parti de Vladimir Poutine. Pendant trente minutes, les deux protagonistes vont reprendre tous les éléments de langage de la propagande russe. Pour justifier son arrivée en Russie, Maxim Zhitnikov va enchaîner les fausses informations qui correspondent au narratif habituel : la décadence des valeurs de l’Occident. Selon lui, l’Allemagne n’est pas un pays libre. Il est parti car il « ne voulait pas que ses fils portent des jupes à l’école maternelle » mais aussi parce qu’il n’appréciait pas qu’on « enseigne les valeurs LGBT aux enfants dès la maternelle ». La création d’un « visa idéologique » Sur X, des témoignages comme celui de Maxim Zhitnikov, Maria Butina en partage toutes les semaines. Si ce n’est pas un témoignage alors ça sera des « vlogs » de lieux touristiques en Russie avec un petit message « Come to Russia » ou une critique du monde occidental. Maria Butina multiplie les posts sur les réseaux sociaux pour attirer les familles venant de pays occidentaux. - Capture d'écran X Maria Butina est au cœur d’une stratégie assumée par la Russie depuis août 2024 et la signature du « décret 702 ». Ce dernier crée « l’apport d’un soutien humanitaire aux personnes qui partagent les valeurs spirituelles et morales traditionnelles russes » en d’autres termes, ce décret simplifie l’arrivée de ressortissants occidentaux grâce à la délivrance d’un permis de séjour temporaire plus facile à obtenir. Une liste de ces valeurs a également été établie deux ans plus tôt dans un autre décret signé par Vladimir Poutine. Parmi les valeurs russes, on retrouve le service à la patrie, la « priorité spirituel sur le matériel » ou encore la « famille forte ». Seulement quelques pays peuvent profiter de ce permis de séjour temporaire. Bien évidemment, il s’agit uniquement de pays occidentaux comme la France, les Etats-Unis et même… l’Ukraine.