Ce besoin de lire sur les animaux

On parle de plus en plus du deuil animalier. Sur ICI Tou.tv, Guylaine Tremblay interroge des personnalités à ce sujet dans la série La vie après toi. Claude Legault et ses chats, Mariana Mazza et ses chiens… L’immense succès du livre Son odeur après la pluie de Cédric Sapin-Defour, qui m’a fait brailler comme un veau, doit y être pour quelque chose. Un peu comme la popularité de La vie secrète des arbres de Peter Wohlleben, qui a donné envie à beaucoup de gens d’en apprendre plus sur le fonctionnement des forêts. Lisez notre chronique « Aimer son chien de tout son être » Au-delà de l’engouement médiatique ou du phénomène de mode, je crois que ces livres comblent plutôt un manque, d’où leur succès. Dans ce sentiment poignant de la perte qui caractérise notre époque, quelque chose de notre rapport aux autres espèces doit être raconté, sur ce qui nous lie profondément. Et il faut pour cela des écrivains, pas seulement des scientifiques. Dans son formidable essai La pensée écologique, le philosophe Timothy Morton, loin de mépriser le rapport des humains à leurs animaux domestiques, voit là une façon d’expérimenter l’étrangeté, d’avoir au moins conscience d’une autre façon d’être au monde et d’arrêter de nous mettre au centre du vivant sur cette planète. Je résiste peu à ce genre de livres, surtout quand ils sont finement écrits comme Animaux du chagrin de Maïté Snauwaert, que je n’attendais pas. Le deuxième titre de l’autrice dans la collection Liberté Grande de Boréal après Toute histoire de deuil est une histoire d’amour. Dès le premier paragraphe, j’étais conquise : « Avec les animaux, j’explore ces déchirements intimes par lesquels nous apprenons que nous ne possédons pas le monde, ni aucun de ceux qui s’y trouvent. J’émets l’hypothèse qu’ils nous enseignent le deuil, que c’est d’abord par eux que nous apprenons le chagrin, éveilleurs de la perte, embrayeurs de la conscience d’un seuil, en raison de leur échelle. Quelle que soit l’égalité ou l’infériorité qu’on leur accorde dans l’ordre du vivant, les animaux sont sur une autre échelle de temps que la nôtre : nous savons qu’a priori, nous allons leur survivre, leur vie s’inscrit en filigrane sur le fond de la nôtre ; et même l’enfant accepte ce pacte tendre. » Quiconque a vécu assez longtemps avec des animaux finit par comprendre qu’ils nous éduquent bien plus qu’on ne les éduque. Quand j’ai perdu mes premiers chiens, Sissi et Franz, après 15 ans d’amour, j’ai découvert que j’avais vraiment vécu dans l’illusion qu’ils allaient être là pour toujours. Pour tout dire, leur disparition m’a transformée pendant quelques semaines en une épave, j’avais l’impression que c’était tout un pan de ma vie qui était parti, la fin d’une époque, celle où nous étions quatre, Sissi, Franz, l’Amoureux et moi. PHOTO CHANTAL GUY, LA PRESSE Angie et Nanette, les animaux de notre chroniqueuse Aujourd’hui, nous avons une chienne et une chatte, Angie et Nanette, et c’est un nouveau règne que nous vivons comme une renaissance. Avec ceci de différent que je sais maintenant que nos jours sont comptés. Je savoure donc chaque minute en leur compagnie, le cœur serré que leur vie soit si courte. Comme la mienne à l’échelle des arbres, j’imagine. Le chagrin de l’animal est un « chagrin de côté », écrit Maïté Snauwaert, « qui n’est pas reconnu comme une blessure officielle ». « Qu’on n’est pas tout à fait autorisé à pleurer. Qu’on pleure pourtant profusément, plus parfois que l’être humain, parce que la conséquence est moindre en apparence sur le bâti de notre vie. Ou parce que la digue cède. Mais peut-être en vérité est-ce tout l’édifice qui s’effondre, du bâti de notre vie, lorsque la plus petite pièce vient à manquer, celle qui tenait l’ensemble. Celle qui faisait que les morceaux s’aimantaient les uns aux autres, que les pièces faisaient maison, que les matins faisaient jour. » C’est beau comme ça page après page, dans une série de courts textes qui m’ont rappelé, dans la forme, le non moins admirable Bestiaire à pas perdus d’Odile Tremblay paru l’automne dernier. Quand je vous disais que je les lis tous, ces livres… Ce qui est quand même drôle, car je fais partie de ces personnes qui refusent de voir un film si un animal meurt dedans. Mais ne soyez pas effrayé par le mot « chagrin » du titre de ce livre lumineux, érudit, qui parle de chats et de chiens, mais aussi de hérissons, de moutons, de vaches, d’ânes, de chevaux, de renards ou de lapins. « Cette compagnie des animaux, écrit Maïté Snauwaert, je vois sa cohorte en arrière de nos vies, comme un escadron d’aidants, une escouade de sauveteurs naturels, et bénévoles, et bienveillants. »