Abo Film culte sur scène – Trente ans après, «La haine» explose à Genève Le long métrage de Mathieu Kassovitz devient une comédie musicale à voir à l’Arena. La révolte est-elle soluble dans le grand spectacle? Reportage. Francois Barras Mathieu Kassovitz (au centre) et la troupe de danseurs, rappeurs et comédiens au service de sa «Haine» version 2025. Yaman Okur Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio. S'abonnerSe connecter BotTalk «L’important, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage.» Boum. Trente ans après «La haine» et sa fameuse maxime, l’acte II du film culte a finalement touché terre, et pas là où on l’attendait. Sur une scène, dans les voix et les jambes d’une troupe pas encore née en 1995, quand le long métrage de Mathieu Kassovitz secouait le Festival de Cannes en même temps que le box-office francophone et au-delà. Plutôt qu’une chute, c’était un décollage hors norme que vivait le réalisateur de 27 ans. La haine ne l’a jamais quitté. Ou plutôt la colère, et puis pas mal d’arrogance, souvent martelées à l’aide d’un majeur tendu et en moins de 140 signes dans des messages adressés au cinéma, à la classe politique ou à la police de son pays, parfois les trois en même temps. «Fucking Kassovitz» n’est pas que le titre d’un documentaire à son sujet, quand il vivait la débâcle hollywoodienne de «Babylon AD». Il résume un cinéaste (et un acteur) entier qui, s’il consent à revenir sur les lieux du crime en donnant une suite au film qui le couronna roi, choisit de le faire à sa façon: hors norme. Vinz (Alexander Ferrario) dans la fameuse scène de Vincent Cassel. «You’re talking to me?» version FaceTime. LMD Prod. Une comédie musicale, donc. Ou plutôt un spectacle immersif rameutant 19 danseurs et comédiens et mélangeant théâtre, danse, musique, cinéma et les nouvelles technologies numériques. Créé à Paris en octobre 2024, «La haine: jusqu’ici rien n’a changé» a séduit la critique mais il restait les foules à rameuter. La tournée était ambitieuse: une trentaine de dates pour le printemps 2025, dont deux à l’Arena de Genève, les 9 et 10 mai. Le film de Kassovitz a-t-il survécu au temps et aux modes, malgré la promesse du sous-titre? Et l’histoire de Vinz, Said et Hubert, ce trio de banlieusards dont la caméra suivait l’odyssée tragicomique le temps d’une nuit fatale, résonne-t-il avec la jeunesse d’aujourd’hui? Révolution et pop-corn Celle qui garnissait les sièges de la LDLC Arena lyonnaise en novembre dernier avait le poil argenté. Pas d’émeute aux entrées mais un public familial, largement quadra plus, qui découvrit le film à l’adolescence et vient s’offrir un moment de détente où les cocktails Molotov ont l’odeur du pop-corn. Une forme d’embourgeoisement? Le lieu de la représentation, dans cette aréna de béton gigantesque aux ouvreuses attentionnées, produit l’étrange impression d’assister en vase clos à une mise en spectacle de la révolte et des banlieues. Le film de Kassovitz avait déjà dû affronter ces reproches à sa sortie, qu’il éteignait de lui-même par son caractère quasi documentaire, la puissance de sa sobriété en noir et blanc et sa large diffusion populaire. Le contenu qui place des cookies supplémentaires est affiché ici. À ce stade, vous trouverez des contenus externes supplémentaires. Si vous acceptez que des cookies soient placés par des fournisseurs externes et que des données personnelles soient ainsi transmises à ces derniers, vous devez autoriser tous les cookies et afficher directement le contenu externe. Autoriser les cookies Plus d'infos Ce sentiment d’étrangeté durera sans jamais disparaître totalement – l’immersion est technologique autant qu’esthétique, mais l’on reste spectateur face aux mondes qui se croisent et se heurtent sur scène. Jeunes des banlieues et police, mecs et filles, riches et pauvres… Mais quel spectacle! Car si le fond se discute, la forme l’emporte. Soit une quinzaine de tableaux géants, ultradynamiques, faisant surgir de nulle part des décors dynamiques et surdimensionnés dans lesquels la troupe s’égaille, brille et séduit. Au cœur, il y a le trio d’acteurs qui doit faire oublier celui d’origine, incarné par Vincent Cassel, Saïd Taghmaoui et Hubert Koundé. Alexander Ferrario, Samy Belkessa et Alivor s’y emploient respectivement, et trouvent le ton juste pour ne verser ni dans l’imitation ni dans la caricature. Il y a entre eux la même gouaille, la même complicité; le passage de la caméra à la scène perd en tragique ce qu’il gagne en démonstratif, parfois en exploit sportif au gré de chorégraphies bluffantes. La mise en scène âpre de Kassovitz se nourrit avec bonheur de celle, spectaculaire à la limite du féerique, de Serge Denoncourt, notamment derrière le succès du transformiste Arturo Brachetti. En haut, le trio d’origine (de g. à dr.: Vincent Cassel, Saïd Taghmaoui, Hubert Koundé). Dessous, les nouveaux lascars de la comédie musicale (Samy Belkessa, Alexander Ferrario, Alivor). Honneur au hip-hop Le rap surtout fait sa grande apparition dans une œuvre qui en possédait paradoxalement très peu: bien que fréquemment cité parmi les grands films hip-hop, «La haine» préfère les dialogues à la musique, les cris aux notes. Et quand elle en passe, c’est Bob Marley! «Le hip-hop est devenu la musique de base, il est partout par rapport à l’époque où il était souterrain, convient Mathieu Kassovitz, croisé avant le spectacle. Donc il était assez logique de lui donner une large part, surtout par rapport à la forme de ce spectacle.» Doria, en route vers les étoiles… Les filles aussi prennent leur revanche sur un film de mecs. L’histoire d’amour entre Vinz et Sarah (Doria) permet de tester les limites entre danse aérienne et rap terre à terre, pour l’une des séquences les plus impressionnantes et réussies. Tout comme le monologue final d’Hubert (Alivor), plusieurs minutes d’un flow tendu comme un arc alors que les CRS chargent leurs armes, qui laisse le public souffle coupé. «Jusqu’ici rien n’a changé» alors? Au terme de deux heures de show, on serait bien incapable de dire si «la banlieue» de 2025 est toujours celle de 1995. En revanche, l’image qu’en donnent celles et ceux qui l’incarnent sur scène, par leur aisance, leur polyvalence et leur énergie, a rarement été aussi vivante. Dans son final, sans trop en révéler, Mathieu Kassovitz ne pense pas différemment. Rendez-vous à Genève. François Barras est journaliste à la rubrique culturelle. Depuis mars 2000, il raconte notamment les musiques actuelles, passées et pourquoi pas futures. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.