Patrick Chèvrefils, devant le Centre Bell, avec le chandail du Canadien qu’il portait durant son enfance. Le partisan qui a failli jouer pour le CH En 2021, Patrick Chèvrefils se trouvait à l’extérieur du Centre Bell, au moment de la mythique victoire de la Saint-Jean-Baptiste. Il était prêt à agir en cas de débordement, vêtu de son uniforme de policier. Quatre ans plus tard, l’agent s’est trouvé à l’intérieur de l’aréna, sur le banc de l’équipe locale, vêtu d’un chandail bleu-blanc-rouge. Patrick Chèvrefils est le gardien d’urgence du Canadien. Il a assisté aux 41 parties à domicile de la galerie de presse, prêt à entrer en scène, si les deux gardiens d’une des équipes devaient se blesser. En séries, les équipes comptent souvent sur des réservistes, puisqu’il n’y a plus de limite de joueurs (23) ou de plafond salarial à respecter. Sachant cela, le directeur général adjoint du Canadien John Segwick a indiqué à Patrick Chèvrefils qu’il n’avait pas besoin de se présenter aux parties en séries éliminatoires. Comme des centaines de milliers de partisans, le policier de 38 ans regardait donc le match à la maison, seul, avec son chat. Jusqu’au moment où son téléphone sonne. C’était John Segwick. Samuel Montembeault venait de se blesser. Cayden Primeau, l’un des gardiens du Rocket, n’était pas au Centre Bell. L’autre gardien du club-école, Jacob Fowler, possède un contrat qui le limite à la Ligue américaine. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Jacob Fowler a signé une entente de la Ligue américaine, mais son contrat le limite à jouer dans celle-ci. À ce moment, la seule alternative qui restait au Canadien, c’était un policier, seul dans son salon avec son chat. « On m’a lancé un SOS en urgence, et apparemment, la police a encore une fois répondu à l’appel », nous raconte le sympathique partisan, qui a le logo du CH tatoué sur la cuisse. Pris par le stress, je me suis concentré à ne pas oublier une pièce d’équipement. Disons que ça aurait été le pire moment pour oublier un patin ! Patrick Chèvrefils Comme il s’entraîne énormément, Patrick Chèvrefils surveille étroitement son alimentation. Sauf que ce jour-là, il s’était offert le luxe d’engloutir une pizza entière, pour célébrer ses efforts au gymnase. « Ça me remontait jusque-là ! », lance-t-il, en pointant sa gorge. « Que veux-tu, je ne savais pas que j’allais porter le chandail du Canadien à ce moment-là. » Chèvrefils, arrive derechef au Centre Bell, plein comme un requin. Il s’habille illico presto. Quelque chose d’encore plus puissant que la pizza lui monte alors à la gorge : le stress. « Je voulais juste mettre le pied droit devant le gauche. Éviter de m’enfarger, d’avoir une mollesse dans la jambe et de me péter la gueule. Je vous le dis, si j’avais eu à jouer, j’aurais eu l’air d’une grand-mère en embarquant sur la glace, tellement j’avais peur de tomber », assure-t-il. GRACIEUSETÉ SPVM Patrick Chèvrefils dans les coulisses du Centre Bell Voilà, Chèvrefils a son équipement sur le dos. En coulisses, on lui indique où aller. Il marche sans remettre en question les indications en question, concentré. On le dirige vers le banc du Canadien. Il le sait, par son statut de gardien d’urgence, il n’a pas le droit d’y mettre le pied. Mais dans le feu du moment, cette consigne, il l’oublie. L’oubli lui aura peut-être permis de vivre l’un des plus beaux moments de sa vie. La foule était incroyable. Je ne comprenais pas ce qui se passait dans les estrades. J’ai seulement regardé les quatre premières rangées. Je me suis dit que si je montais mon regard, j’allais devenir émotif. Je ne savais pas si j’étais sur le bord de pleurer. Le gardien de but réserviste Patrick Chèvrefils Chèvrefils penche ses yeux, et regagne sa concentration. Il visualise des scénarios. Les mêmes qui occupaient ses rêves d’enfant : un tir d’Ovechkin, une passe transversale, une rondelle déviée. « J’étais crinqué. Si Martin St-Louis me l’avait demandé, je serais passé à travers la bande. Je serais même allé me battre avec Tom Wilson ! », blague-t-il. Finalement, le policier n’aura pas eu à patrouiller la cage du Canadien. Dommage pour l’athlète, mais le partisan en lui est heureux de la victoire des Montréalais. PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE Patrick Chèvrefils, 38 ans, tient une photo de lui lorsqu’il était un policier en herbe. « Je ne souhaitais vraiment pas que Dobes se blesse, parce que je savais que si j’avais à embarquer, nos chances de victoire devenaient incroyablement basses », relativise celui qui parle maintenant au « nous ». À la fin de la partie, il a pu échanger des poignées de main avec les joueurs, et surtout, partager un rire avec Martin St-Louis. Je pense qu’à ce moment, il a réalisé à quel point il est passé proche d’avoir un gars pas rapport dans les buts dans un match de séries, et à quel point ça aurait été dramatique. Le gardien de but réserviste Patrick Chèvrefils Un athlète Enfin, Patrick Chèvrefils n’a peut-être pas l’étoffe d’une vedette de la LNH, mais il est aussi loin d’un « gars qui n’a pas rapport ». Il a toujours rêvé d’une carrière de gardien. Et de surcroît, il côtoie des joueurs professionnels depuis des années. Guillaume Latendresse est l’une de ses connaissances. L’ancien ailier a subi une blessure à la hanche, lorsqu’il jouait avec le Wild. Chèvrefils lui avait alors proposé de l’assister dans se remise en forme, en recevant ses tirs. De fil en aiguille, le gardien amateur s’est retrouvé à pratiquer avec des joueurs de la LNH lors du lock-out de 2014, partageant la patinoire avec Marc-André Fleury et Carey Price. Son nom a éventuellement été proposé au Canadien comme gardien d’urgence, poste qu’il occupe depuis maintenant trois ans. Pas mal, pour un gardien qui n’a jamais rien cassé au niveau amateur. Comme dans la LNH, Chèvrefils a été troisième gardien au midget espoir, sans jouer un seul match. PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE Le gardien de but d’urgence Patrick Chèvrefils, devant le Centre Bell. Il a aussi participé à un camp des Saguenéens de Chicoutimi, ouvert au grand public, ou plutôt, ouvert à ceux qui acceptaient de payer 500 $ pour y participer. « Je me suis présenté, et comme un twit, j’ai payé les Saguenéens pour qu’ils me regardent, et qu’ils me disent non », raconte-t-il en riant. Reste que Chèvrefils n’a jamais lâché le morceau. Il continue de jouer dans des ligues de garage. Il participe même à des camps de hockey pour se perfectionner. Son tour a bien failli arriver vendredi. Il a aussi cru avoir sa chance en 2023, lorsque les Panthers de la Floride étaient au Centre Bell. Sergei Bobrovsky était sorti du match, blessé. En attendant sa chance, Chèvrefils maintient la forme. Il n’aura pas toujours eu ce luxe. Plus jeune, aux prises avec des problèmes d’asthme sévères, il avait fréquemment recours à un compresseur pour respirer. Ces troubles l’ont mené à passer du temps à l’hôpital Sainte-Justine. Cela n’a pas empêché de rêver. Dans son livre de finissant du secondaire, Chèvrefils avait indiqué deux aspirations : devenir policier, et être gardien de but dans la LNH. Depuis vendredi, il peut dire mission accomplie, si on veut. GRACIEUSETÉ PATRICK CHÈVREFILS Dans son album des finissants, Patrick Chèvrefils devait indiquer son futur emploi, sa plus grande peur et son rêve. « Quand je regarde d’où je viens, je n’en reviens pas », indique-t-il, laissant planer un long silence. « Des fois, j’aimerais retourner à l’hôpital Sainte-Justine, pour voir les enfants, leur serrer la main. » Et que dirait-il, à ces enfants ? « De ne pas lâcher. Oui, tu peux avoir des restrictions. Mais ne les laissent jamais t’empêcher d’accomplir tes rêves. »