Vous pensez être supérieur aux animaux ? Ces découvertes vont vous faire douter

Lorsqu’on travaille depuis des années sur les comportements cognitifs du règne animal, on apprend à ne plus trop se fier aux apparences. Pourtant, il faut bien avouer que les oiseaux ont longtemps eu mauvaise presse. Pas de cortex, un cerveau lisse, sans la structure en couches typique des mammifères. Les verdicts sont rapidement tombés : ce sont des animaux qui agissent par réflexe, et non par réflexion. C’était il y a longtemps : une suite de découvertes ayant eu lieu depuis les années 1960 ont peu à peu fissuré ce préjugé ; jusqu’à le faire complètement s’effondrer aujourd’hui. Nous savons désormais que les pies ou les corbeaux ; membres de la famille des Corvidés (Corvidae) ; sont capables d’anticipation, d’abstraction, d’usage d’outils et de mettre en place des stratégies de survie complexes (voir vidéo ci-dessous). Les mésanges, elles, gardent en mémoire des milliers de caches de graines réparties sur leur territoire pour se sustenter comme elles le souhaitent. Tout cela, avec un cerveau pesant uniquement quelques grammes. Nous sommes donc très loin du grand cerveau de certains mammifères comme les chimpanzés ou les dauphins, mais ils sont tout aussi efficaces. La vraie question, aujourd’hui, n’est plus de savoir si les oiseaux sont intelligents ; ils le sont. C’est de comprendre comment ils le sont. Un cerveau sans cortex peut-il penser ? À première vue, le cerveau d’un oiseau n’a rien de particulier ou de spectaculaire. Pas de néocortex, cette couche externe en six strates, fleuron de l’encéphale humain. En lieu et place, une masse compacte, la Crête ventriculaire dorsale (DVR en anglais, pour dorsal ventricular ridge), longtemps considérée comme un centre de commandes instinctif, incapable de produire des comportements élaborés. Pourtant, dès 1969, le neuroanatomiste Harvey Karten a montré que cette région partageait des circuits neuronaux semblables à ceux présents dans le néocortex des mammifères. Il n’avait pas tort, mais ce ne fut qu’un maigre début. Le débat s’est ensuite installé durablement entre deux écoles. D’un côté, ceux qui voyaient dans ces similitudes une origine commune, remontant à un ancêtre des vertébrés, un animal ressemblant à un lézard qui vivait il y a 320 millions d’années. De l’autre, des chercheurs comme Luis Puelles, qui, en étudiant le développement embryonnaire du cerveau, ont démontré que le DVR et le néocortex émergeaient de zones bien distinctes. Deux structures similaires, donc, mais issues de trajectoires évolutives indépendantes (voir notre article sur la théorie de l’évolution de Darwin pour en savoir plus). En février 2025, une publication scientifique de grande envergure parue dans la revue Science a permis de mieux comprendre comment l’intelligence a pu apparaître de manière indépendante chez les oiseaux et les mammifères. Pour cela, les chercheurs ont combiné deux disciplines complémentaires : l’anatomie comparée – qui observe les structures du cerveau adulte – et la génétique du développement – qui suit la formation de ces structures dès l’embryon. L’équipe a donc étudié des cerveaux d’embryons de poulet, de souris et de gecko à différentes étapes de leur développement. En utilisant le séquençage à cellule unique (technique de pointe qui permet de déterminer la séquence complète de l’ADN ou de l’ARN d’une seule cellule à la fois), ils ont pu analyser les gènes exprimés par chaque neurone, cellule par cellule, tout au long de leur maturation. Cela leur a permis de reconstituer la trajectoire exacte de chaque type cellulaire : où il apparaît dans l’embryon, comment il évolue, et dans quelle région du cerveau adulte il finit par s’intégrer. Au terme de leurs travaux, ce qu’ils ont découvert, c’est que les circuits neuronaux complexes présents chez les oiseaux et les mammifères se ressemblent beaucoup dans leur fonctionnement final. Toutefois, ces circuits ne sont pas construits de la même manière. Ils naissent dans des zones embryonnaires différentes, à des moments distincts, selon des ordres de développement variés. C’est ce que souligne Bastienne Zaremba, chercheuse postdoctorale spécialisée dans le développement du cerveau à l’Université de Heidelberg (Heidelberg, Allemagne) : « La façon dont les circuits similaires se forment est plus souple que je ne l’aurais cru. Il est possible de construire le même type de circuits à partir de cellules très différentes ». En d’autres termes, il existe plusieurs manières de bâtir un cerveau apte à produire des comportements complexes. Cette souplesse dans la construction, cette plasticité, prouve que l’intelligence peut émerger en empruntant des voies évolutives multiples. L’intelligence ne se conjugue pas à un seul modèle Que nous montrent finalement ces recherches ? Elles prouvent l’intelligence ne suit pas un schéma unique, fixé à l’avance par les gènes ou par l’anatomie. Elle peut apparaître plusieurs fois au cours de l’évolution, de manière indépendante, chez des espèces très différentes. C’est ce qu’on appelle l’évolution convergente : deux organismes développent des solutions équivalentes à des problèmes similaires, mais en partant de bases biologiques différentes. Dans le cas présent, le DVR hez les oiseaux et le néocortex chez les mammifères remplissent des rôles comparables dans le traitement de l’information et la prise de décision. Toutefois, ces deux structures ne viennent pas du même endroit dans l’embryon : elles ont été construites différemment, à partir d’autres cellules et ont suivi des trajectoires de développement séparées. Il existe tout de même un point commun génétique : les chercheurs ont réussi à identifier certaines séquences d’ADN, partagées entre les poulets, les souris et les humains, qui influencent la formation de ces régions du cerveau. Ces « outils » génétiques sont les mêmes, mais chaque lignée évolutive s’en est servie à sa manière, en fonction de ses contraintes propres. Ailleurs dans le vivant, on retrouve ce phénomène : les pieuvres ont développé des yeux fonctionnant comme les nôtres, sans lien évolutif direct ; les insectes et les chauves-souris ont conquis le vol indépendamment. En poussant plus loin cette réflexion, il est également possible d’établir un parallèle chez les humains. Il existe des civilisations très éloignées géographiquement, mais qui ont construit des édifices communs ; les pyramides. On les retrouve autant chez les civilisations mésoaméricaines (Mayas, Aztèques, Teotihuacans), andines (Caral-Supe, Moche) ou en Égypte antique. Une analogie qui illustre ; plutôt sur le plan culturel que biologique ; ce besoin commun de développer indépendamment une solution architecturale similaire face à des besoins ou des idées comparables (monumentalité, lien au sacré, etc.) Lorsque les pressions sélectives ou les défis sont les mêmes ; percevoir, voler, bâtir (dans le cas des humain) ; les solutions tendent à converger. C’est exactement ce qui se passe ici : les contraintes liées à la pensée complexe ont conduit au developpement de cerveaux aux circuits semblables, bien que bâtis sur des plans différents. On gagnerait peut-être à se départir de l’idée que notre intelligence serait le sommet de l’évolution. D’un point de vue strictement biologique et évolutif, l’idée que l’intelligence humaine (ou l’être humain en général) représente le « sommet » ou le but de l’évolution est scientifiquement fausse. L’évolution n’est pas un processus linéaire orienté vers un objectif, mais un processus de ramification constant : les oiseaux et leur DVR ne sont qu’un exemple du règne animal. Il n’existe pas de modèle universel d’intelligence puisque celle-ci existe sous une pluralité de formes. Penser, comprendre, s’adapter : il y a plus d’une manière de le faire ; la nôtre n’est qu’une « version » parmi tant d’autres. Les oiseaux ont développé, de manière indépendante des mammifères, des capacités cognitives avancées grâce à une organisation cérébrale totalement différente. Malgré des origines embryonnaires distinctes, les circuits neuronaux des oiseaux et des mammifères remplissent des fonctions comparables. L’intelligence ne suit donc pas un chemin unique dans la nature, et la nôtre n’est ni universelle, ni supérieure aux autres formes qu’elle peut prendre ailleurs. 📍 Pour ne manquer aucune actualité de Presse-citron, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.