Droits de douanes: "Les PME risquent d’être les perdantes"

Abo Interview de Fabio Regazzi – «Les PME risquent d’être les perdantes du projet de Trump» Pour amortir le choc des droits de douane américains, le président de l’USAM appelle à plus d’accords de libre-échange et à limiter la bureaucratie. Florent Quiquerez - Berne Fabio Regazzi, conseiller aux États (Le Centre/TI) et président de l'Union suisse des arts et métiers (USAM). KEYSTONE Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio. S'abonnerSe connecter BotTalk En bref : Les négociations commerciales entre la Suisse et les États-Unis s’annoncent longues et complexes. Les PME suisses souffrent particulièrement des droits de douane américains de 10%. Leur faîtière, l’USAM, s’inquiète aussi de la bureaucratie, qui coûterait 70 milliards de francs par an. Son président, Fabio Regazzi, reste prudent concernant le paquet d’accords avec l’UE. La Suisse fait partie des 15 pays avec lesquels le président Trump veut trouver rapidement une solution sur les droits de douane. Est-ce une bonne nouvelle ou attendiez-vous plus du voyage de Karin Keller-Sutter et Guy Parmelin à Washington? Il y a toujours beaucoup d’attente lorsqu’on entame une négociation, mais il faut rester réaliste. Trouver un accord sera long et compliqué. Aujourd’hui, il y a un premier signal positif à faire partie des pays qui auront une voie préférentielle pour y parvenir. Cela montre que la décision du Conseil fédéral de ne pas hausser le ton vis-à-vis des États-Unis en annonçant des contre-mesures était la bonne. Votre espoir est-il qu’on évite des droits de douane à 31% ou qu’on annule les 10% déjà imputés? Qu’on annule tout. Mais ce sera difficile. On peut penser que Donald Trump est insensé dans sa façon de voir les rapports avec ses partenaires économiques, mais il n’est pas stupide. C’est un commerçant. Il savait que cette hausse massive des droits de douane allait provoquer un séisme. En mettant cette menace partiellement sur pause, il crée un environnement qui oblige les pays à négocier. Il faudra faire des concessions pour éviter les 31%, mais je vois mal Trump revenir en arrière sur les 10%. Ces 10% sont-ils un problème pour les PME? Environ 40% des PME sont actives dans l’export. Si cette hausse était leur seul problème, elles pourraient l’absorber, car notre économie est résiliente. Mais elle s’ajoute à d’autres défis. Il y a le franc fort qui complique déjà l’exportation, notamment face à la dépréciation de l’euro et du dollar. Il y a aussi le coût de notre marché du travail, qui est un des plus élevés au monde. Si vous additionnez ces facteurs, vous comprenez que la situation est compliquée. Des secteurs souffrent-ils plus que d’autres? Celui des machines est l’un des plus exposés. C’est celui qui a le moins de marge pour absorber ces 10%. Et si c’est davantage, ça augmentera encore les difficultés. Karin Keller-Sutter dit comprendre en partie les objectifs de Trump pour maintenir les emplois aux États-Unis. Et vous? Du point de vue des États-Unis, cette politique commerciale peut avoir du sens. Mais la question que Trump doit se poser, c’est pourquoi tant de places de travail ont disparu? Selon moi, les États-Unis ont échoué à donner des réponses convaincantes aux entreprises qui voulaient délocaliser. Je ne pense pas que c’est en multipliant les droits de douane qu’on résoudra le problème. Quand une entreprise quitte un pays, ce n’est pas qu’une question de coûts, c’est aussi parce qu’elle n’y trouve pas les compétences souhaitées ou les capacités de production. On a quand même l’impression que Trump a gagné. Cette semaine encore, Roche annonçait vouloir investir 40 milliards aux États-Unis. Je ne suis pas sûr que ce soit lié aux droits de douane. Je pense qu’il s’agit de décisions stratégiques qui avaient été prises bien avant les annonces de Trump. Aucune entreprise, même très puissante, ne peut décider en quelques semaines d’investir autant. Je trouve d’ailleurs discutable cette façon de réagir. Donner ce signal, c’est cautionner la stratégie de Trump d’utiliser les droits de douane comme menace. Craignez-vous que les PME soient les dindons de la farce, puisqu’elles n’ont pas les mêmes moyens? Les PME risquent en effet d’être les perdantes de l’histoire. Pour elles, investir aux États-Unis ou y transférer une partie de la production, ça demande des années de travail et des sommes que la plupart n’ont pas. Ce n’est pas le seul problème. Cet argent investi par de grandes entreprises aux États-Unis va manquer à la Suisse. Cela signifie aussi à terme une perte de savoir-faire et de compétence. Pour les PME qui ont des rapports de sous-traitance avec ces grands groupes pharmaceutiques ou industriels, cela aura des conséquences dommageables. Pour soulager les PME, vous appelez à alléger la bureaucratie. Pourquoi? Il faut retrouver de la flexibilité pour rester compétitif dans un marché qui est de plus en plus compliqué, et pas seulement à cause des droits de douane. Or la bureaucratie est devenue un poids presque insupportable pour les PME. Il faut la réduire au niveau fédéral, cantonal et communal. Il y a quelques années, l’USAM avait mandaté une étude à l’Université de Saint-Gall qui montrait que la bureaucratie coûte 70 milliards par an. C’est presque 10% du PIB suisse, c’est inacceptable. En quoi la bureaucratie s’est-elle tant renforcée? Elle a toujours existé, mais elle a explosé ces dernières années. Prenez les exigences pour un permis de construire. Désormais, il faut un effort et une perte de temps insensés pour rassembler tous les documents nécessaires. De même pour les appels d’offres. Pour postuler pour de simples fenêtres en aluminium ou des stores, on a l’impression de devoir remplir de la paperasse comme pour construire une fusée. Je pourrais encore ajouter le traitement de la TVA ou la multiplication des normes pour les bâtiments. La Suisse est en train de perdre un avantage concurrentiel. Vous appelez à renforcer les accords de libre-échange. Or la gauche est très réticente. Que lui dites-vous? Ne jouez pas avec le feu? La gauche doit comprendre une fois pour toutes que si on veut garder notre niveau de vie, nos salaires, notre tissu social, il faut que les entreprises aillent bien, qu’elles puissent vendre leurs produits, gagner de l’argent pour payer les impôts et continuer à investir. Ce que je dis est une banalité, mais si on continue à mettre des obstacles à chaque fois qu’on essaie de développer des opportunités, on ne s’en sortira pas. Je comprends qu’on veuille mettre des garde-fous à certains accords de libre-échange, mais si on exagère quitte à faire capoter les négociations, les entreprises suisses vont finir par partir. Tout le monde sera perdant. Ça veut dire que pour les accords avec la Chine, le Mercosur ou l’Inde, on oublie les normes environnementales ou de protection des travailleurs? Non. Qu’il y ait des garanties et un respect de certains principes – qui sont aussi importants pour les entreprises –, je peux l’entendre. Mais quand on entend la gauche, on a l’impression qu’elle demande à la Suisse de résoudre tous les problèmes du monde, même ceux qui relèvent de la politique interne d’autres pays. Il faut revenir sur terre et exiger ce qui est réaliste. Sinon, on ne signera plus jamais rien. Or ce qui se passe aujourd’hui avec les États-Unis montre à quel point il est important de diversifier le plus possible les débouchés. Notre 1ᵉʳ partenaire commercial reste l’UE. Faut-il accélérer le traitement du paquet d’accords? Je ne crois pas que ce soit possible. Il y a des étapes institutionnelles à respecter: la consultation des cercles intéressés, le vote du parlement, puis celui du peuple. Vouloir accélérer le tempo serait contraire à nos processus démocratiques. Je ne vois pas comment on pourrait boucler le dossier avant 2028. L’USAM sera-t-elle un des moteurs pour dire oui à ce paquet? L’USAM est pour les Bilatérales. Nous voulons des accords qui sont dans l’intérêt du pays, de son économie et de ses citoyens. Mais il faut être conscient qu’il y aura un prix à payer si nous disons oui. Tout comme il y aura un prix si nous disons non. A priori, je suis favorable, mais avant de dire «il faut signer», je veux connaître le projet. Car le diable se cache souvent dans les détails. Que contient la clause de sauvegarde? Quel sera l’impact institutionnel? Quelles sont les améliorations par rapport à l’accord-cadre? Il faut éclaircir ces aspects. Est-ce qu’ensuite l’USAM soutiendra le projet? Je ne sais pas. Mais je peux déjà dire que le débat à l’interne sera intense. Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l’info? «Tribune de Genève» vous propose deux rendez-vous par jour, directement dans votre boîte e-mail. Pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Se connecter Florent Quiquerez est journaliste à la rubrique Suisse depuis 2015. Spécialisé en politique, il couvre avant tout l'actualité fédérale. Auparavant, il a travaillé comme correspondant parlementaire pour les Radios Régionales Romandes. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.