L’autrice américaine Kim Hays fait de Berne le cadre de ses romans policiers Kim Hays dans l’escalier de l’Hôtel de Ville de Berne. Archives personnelles Le quatrième roman de la série de polars «Polizei Bern» arrive en ce moment en librairies aux Etats-Unis. Son autrice Kim Hays, qui vit en Suisse depuis 37 ans, cible un public américain mais son œuvre, alliant sujets sensibles et cadavres dans le placard, enchante aussi un lectorat suisse. 9 minutes Eduardo Simantob En tant que rédactrice en ligne au département portugais et responsable de la couverture culturelle de SWI swissinfo.ch, je travaille comme reporter, rédactrice, critique d'art et de cinéma, tout en coordonnant des collaborations freelance. Née à São Paulo, au Brésil, j'ai étudié le cinéma et l'économie, mais j'ai fait carrière dans le journalisme à plusieurs titres (reporter, rédactrice en chef, correspondante internationale) avant de me tourner vers le documentaire, en tant que développeuse et productrice, puis vers les arts visuels (dans l'édition d'art et en tant que commissaire d'exposition). J'ai rejoint SWI swissinfo.ch en 2017, où j'ai pu apporter toute cette vaste expérience à la coordination de notre section culturelle. Autres langues: 2 English en American author turns Bern into a stage for murder mysteries original lire plus American author turns Bern into a stage for murder mysteries Deutsch de Amerikanische Autorin macht Bern zum Tatort lire plus Amerikanische Autorin macht Bern zum Tatort La Suisse est un pays très sûr. En 2024, on comptait 45 meurtres dans ce pays d’environ 9 millions de personnes. Dans le canton de Berne, sept meurtres ont été recensés l’année dernière, tous résolus. Dès lors, la Suisse en général, et Berne en particulier, sont-elles un cadre approprié pour des polars? «Bien sûr!», répond l’autrice américaine Kim Hays lorsque nous la rencontrons à Zurich. Le quatrième volet de sa série policière basée dans la ville fédérale sort en ce moment dans les librairies américaines. Les livres seront aussi disponibles dans quelques boutiques en Suisse, mais Kim Hays souligne qu’elle a écrit sa série «Polizei BernLien externe» à destination d’un lectorat américain. «J’espérais que des Suisses liraient mes livres, mais ils sont en anglais, remarque-t-elle. Bien sûr, j’aimerais qu’ils soient traduits en allemand.» Mais, explique-t-elle, les termes de son contrat prévoient que les droits de traduction restent entre les mains de sa maison d’édition américaine, Seventh Street Books (New Jersey), pendant les trois ans suivant la publication. Et la traduction coûte très cher. Malgré tout, ses romans ont trouvé leur chemin vers leur patrie d’origine. Kim Hays se dit surprise de recevoir des mails de lecteurs et lectrices suisses. «Pas beaucoup», précise-t-elle, mais davantage que prévu. Pour ce qui est des critiques, «malheureusement je n’en ai pas eu dans le New York Times», mais son œuvre a trouvé un écho auprès de quelques publications spécialisées dans le polar et dans Kirkus Reviews, un magazine à destination du monde de l’édition. L’expatriée, qui vit en Suisse depuis 37 ans, a eu la chance de trouver une maison d’édition américaine sans l’aide d’une agence littéraire. Kim Hays s’est mise en quête d’une agence lorsqu’elle a débuté l’écriture de ses romans en 2012, mais a essuyé refus sur refus. Quand enfin elle a signé avec Seventh Street Books, elle avait déjà trois ouvrages prêts à paraître. Le premier, Pesticide, est sorti en 2022. Les agences et les maisons d’édition qui refusaient son livre estimaient peu probable qu’un lectorat soit séduit par le cadre suisse, selon elle. «Une agente m’a écrit: ‘si votre livre se déroulait à Paris, nous pourrions être intéressés’. Je me suis dit: ‘il y a déjà tellement d’enquêtes policières qui se passent à Paris. Elle ne s’en rend pas compte?’» «Les Experts Berne» La série «Polizei Bern» raconte les enquêtes criminelles menées par l’inspectrice Giuliana Linder et son partenaire Renzo Donatelli. Kim Hays inverse ainsi le stéréotypes des duos d’enquête où des inspecteurs mâles d’âge mûr sont accompagnés de jolies acolytes féminines. Ici, Giuliana est la détective la plus expérimentée, et Renzo est le junior; elle a dix ans de plus que lui, et Renzo est doté d’un physique particulièrement avantageux. Les deux se complètent professionnellement, une complicité qui mène inévitablement à une tension sexuelle constante, mais jamais assouvie. «J’avais envie de jouer avec les clichés autour des hommes et des femmes, explique-t-elle. Je voulais qu’ils aient une différence culturelle, avec un écart d’âge important, et un attrait sexuel distinct. Alors je me suis dit que j’allais avoir un homme plus jeune qui tombe amoureux d’une femme plus âgée, parce que je suis une femme plus âgée, et que ça m’amusait. Evidemment, ce n’est pas nouveau, ça arrive plus souvent chez les gens de nos jours, dans la vraie vie, mais cette dynamique était présente assez tôt dans mon esprit.» Donatelli, comme son nom l’indique, a des racines italiennes. Il est le fils d’immigrés en Suisse, un «secondo» comme disent les Suisses pour désigner les descendants de seconde génération. Un choix qui n’a pas été fait au hasard, précise Kim Hays. Elle dit avoir eu besoin d’un personnage issu d’une autre culture, qui reflète ses propres impressions de la Suisse en tant qu’étrangère, elle qui est américaine et a grandi à Porto Rico. «Je voulais que Renzo puisse lever les yeux au ciel quand des Suisses alémaniques font quelque chose de très suisse alémanique. Un truc qu’un Italien trouverait bizarre, comme quand deux frères se serrent la main au lieu de s’enlacer», illustre-t-elle. «Après 37 ans, la Suisse ne me paraît plus exotique. C’est un endroit où il y a aussi des émeutes, des vols, des drogues, comme dans n’importe quel autre pays, mais dans un style très suisse. Ce sont ces différences que je voulais relayer.» Archives personnelles Le sens de la procédure Kim Hays a reçu des éloges pour la manière dont elle dépeint les procédures d’enquête de la police bernoise. Elle dit avoir fait beaucoup de recherches, aidée par une policière et ancienne procureure à la retraite, qui se trouve être aussi sa voisine. L’autrice parvient à intégrer des spécificités helvétiques dans le genre très codifié du récit criminel, y compris à travers les vies privées de ses personnages, dont les habitudes familiales témoignent d’une société relativement homogène. Presque tous ses agents de police, ses suspects et ses meurtriers sont issus de la classe moyenne. La difficulté de trouver un équilibre dans le partage des tâches familiales et domestiques crée des tensions maritales auxquelles il est facile de s’identifier. Mais la série «Polizei Bern» se distingue vraiment par la manière dont Kim Hays développe ses intrigues autour de chapitres sombres de l’histoire suisse, qui résonnent encore aujourd’hui. Le premier roman, Pesticide, traite de la face cachée de l’agriculture biologique. Un domaine dans lequel la Suisse, comme l’Autriche et l’Allemagne, se targue d’avoir des standards élevés. Sons and Brothers (Fils et Frères), le second volet, explore le scandale des enfants placés, les Verdingkinder. Une politique officielle, appliquée durant des décennies, sous laquelle les orphelins ou les enfants issus de foyers «défaillants» ou «indignes» (les mères célibataires, les prostituées, ou tout simplement les très pauvres en faisaient partie) étaient placés d’office par les services de l’Etat et envoyés dans des fermes pour travailler comme main d’oeuvre bon marché, dans des conditions souvent proches de l’esclavage. La pratique n’a été abandonnée que dans les années 1970. L’action du troisième roman, A Fondness for Truth (Une appétence pour la vérité), se déroule dans un cadre sombre et contemporain: la victime du meurtre est une travailleuse sociale lesbienne, mariée à une Suisse de seconde génération d’origine tamoule. Le couple est confronté à des lettres anonymes racistes et homophobes, et ostracisé par un système de caste rigide, en totale contradiction avec les valeurs libérales occidentales. Kim Hays manipule ces thématiques sans tomber dans le piège de la controverse. Elle les utilise plutôt comme des supports pour faire avancer son histoire et son intrigue, sans s’aventurer sur des débats plus profonds. C’est précisément son but, reconnaît-elle; l’autrice cherche à divertir son lectorat, tout en lui ouvrant des fenêtres sur les incongruités et les perspectives historiques de la Suisse. Kim Hays n’est pas la première expatriée à écrire des romans policiers qui se déroulent en Suisse. L’un de ses prédécesseurs les plus populaires était l’Australien Friedrich Glauser, avec ses romans mettant en scène l’inspecteur Studer, qui ont souvent été adaptés à la télé et au cinéma, comme Krock & Co (1976), avec l’acteur suisse Hans Heinz Moser (à gauche) dans le rôle de Studer. Keystone / Photopress-Archiv Des cadavres dans le placard Etonnamment, Kim Hays évite d’aborder les cadavres du placard suisse les plus évidents. Elle ne s’est par exemple pas penchée sur l’art spolié par les nazis ou l’or détenu dans les coffres des banques helvétiques. «J’essaie d’éviter de m’en prendre aux banques parce qu’on écrit tout le temps là-dessus, dit-elle. Ce n’est pas particulièrement pour être gentille avec les banques, mais c’est devenu un tel stéréotype de mauvaises pratiques, comme l’évasion fiscale ou l’allégeance à des dictateurs corrompus. Moi, j’écris sur le crime à l’échelle humaine, alors je me penche sur les contrariétés classiques qui peuvent pousser les gens à commettre un crime, comme l’argent, la jalousie sexuelle ou la vengeance.» En conséquence, les enquêtes de Linder et Donatelli mettent rarement au jour des complots politiques ou financiers d’ampleur. Les détectives de Kim Hays s’intéressent en général à des concours de circonstances et établissent des liens sur la base de preuves matérielles et de profilages psychologiques. Les tueurs en série sont aussi proscrits. «Franchement, je les trouve très ennuyeux, estime-t-elle. Quand vous centrez votre histoire autour d’une personne particulièrement détraquée, il n’y a pas grand-chose à creuser. Il n’y a pas de contexte social ou psychologique plus large à développer, parce qu’on a affaire à la pathologie spécifique de quelqu’un, qui n’a pas de mobile au sens où on l’entend pour le commun des mortels.» Kim Hays souligne que l’éventail de troubles mentaux est si large qu’on pourrait trouver n’importe quoi pour justifier n’importe quoi. Même chose, selon elle, pour le crime organisé, une autre marotte du marché de la fiction criminelle. «Le crime organisé fonctionne à un si haut niveau – presque comme les banques, qui sont organisées et souvent criminelles, mais je ne les qualifierais pas de crime organisé, plaisante-t-elle. Pour moi, il est beaucoup plus intéressant d’observer de vraies personnes et de se demander pourquoi elles commettent des crimes.» Après tout, personne n’est normal si on regarde d’assez près. «Dans mon dernier livre, je parle de démence sénile et d’Exit, l’organisation suisse d’aide au suicide assisté. J’ai aussi rejoint les rangs d’Exit après la mort de ma mère, qui a souffert de démence sénile pendant des années.» Archives personnelles Texte relu et vérifié par Catherine Hickley/gw, traduit de l’anglais par Pauline Grand d’Esnon/ptur