Abo Risques pour l’environnement – Trop toxique, la mort-aux-rats va disparaître des rayons Interdits depuis le 1er avril en Suisse, les rodenticides à base d’anticoagulants pourront encore être vendus aux particuliers durant deux ans. Un délai de transition qui dérange. Patrick Oberli Les rodenticides à base d’anticoagulants destinés à se débarrasser des souris et des rats ne seront bientôt plus accessibles aux particuliers. AFP Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio. S'abonnerSe connecter BotTalk En bref : Depuis le 1 er avril, les autorités suisses restreignent l’usage des rodenticides aux professionnels de la lutte antiparasitaire. avril, les autorités suisses restreignent l’usage des rodenticides aux professionnels de la lutte antiparasitaire. Malgré la dangerosité des produits, une période transitoire permettra la vente aux particuliers jusqu’au 31 mars 2027. Une étude du centre suisse d’écotoxicologie appliquée révèle une contamination massive des animaux sauvages aux anticoagulants. Environ 10’500 kilos de rodenticides sont utilisés annuellement en Suisse. Les souris ou les rats qui entrent la nuit dans la cave vous perturbent? Pas de souci. Un passage au magasin du coin pour acheter un paquet de mort-aux-rats et le problème est réglé. Ce réflexe, très courant en Suisse, appartiendra bientôt au passé. Car depuis le 1er avril, la Confédération a serré la vis en matière d’utilisation de rodenticides à base d’anticoagulants en raison «des risques élevés pour l’homme et l’environnement». Concrètement: plus aucune autorisation pour de nouveaux produits destinés aux privés ne sera délivrée, et les anciennes ont été retirées. L’utilisation de la mort-aux-rats est désormais réservée aux professionnels de la lutte antiparasitaire. Aux anges, les défenseurs de l’environnement y ont vu une interdiction immédiate. «La vente aux privés est interdite dès le 1er avril!» Le message WhatsApp qui a circulé ces derniers jours dans ces cercles sonnait comme une victoire totale. Le fruit d’un long et difficile combat contre les empoisonnements consécutifs à l’ingestion d’appâts placés dans des mauvais endroits ou des rongeurs tués par les substances (lire encadré). Comment agissent les rodenticides? Les rodenticides anticoagulants agissent en perturbant la coagulation sanguine chez les mammifères. Ils inhibent la vitamine K, essentielle à la synthèse des facteurs de coagulation par le foie. Ce processus provoque des hémorragies internes et externes prolongées, qui peuvent entraîner la mort de l’animal. Il existe deux générations de rodenticides anticoagulants. Ceux de la seconde sont plus puissants. Une seule ingestion peut provoquer la mort. Ils restent toutefois plus longtemps dans les tissus corporels des souris et des rats, ce qui augmente le risque d’empoisonnement secondaire pour les animaux, sauvages ou domestiques, qui consomment des rongeurs empoisonnés. La décision d’interdire les rodenticides pour les privés a aussi été motivée par le fait que les experts estiment que les pièges mécaniques, correctement utilisés, «sont suffisamment efficaces pour lutter contre les souris à l’intérieur des bâtiments». En cas de problèmes persistants, il est conseillé de faire appel à des professionnels. Rodenticides toujours en magasin Des militants se sont rendus sur-le-champ dans différents points de vente, pour vérifier si les produits en question avaient disparu des rayons. Mais ils ont très vite déchanté. Malgré les nouvelles règles, rien n’avait changé. Les rodenticides trônaient toujours en bonne place au milieu des produits antiparasitaires. Un délai de transition de deux ans après l’interdiction est accordé pour la vente des rodenticides anticoagulants. DR Pourquoi? Nous avons posé la question à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). La réponse tient dans les délais de transition prévus par l’ordonnance sur les produits biocides (OPBio), qui prévoit une autorisation de mise sur le marché de trois cent soixante jours, suivie d’une possibilité d’écouler les stocks de trois cent soixante jours supplémentaires après révocation d’une autorisation, «s’il n’y a pas lieu de s’attendre à des effets inacceptables». Résultat: bien qu'interdits depuis le début du mois, les rodenticides pourront être achetés légalement jusqu’au 31 mars 2027. Leur utilisation est néanmoins assortie de conditions strictes, soit «exclusivement dans des caisses d’appâts inviolables et scellées, à l’intérieur des bâtiments» et de façon non permanente. Principe de précaution ignoré «Le changement est une victoire, même si le délai va à l’encontre du principe de précaution, qui, au vu de la dangerosité des produits, voudrait qu’on les retire immédiatement du marché», réagit la conseillère aux États Céline Vara (Les Verts/NE), qui a porté le dossier au parlement (lire son interview ici). Un avis partagé par Tomi Tomek, présidente de la Fondation SOS Chats à Noiraigue (NE). Elle recueille depuis des années dans son refuge des chats empoisonnés ou «un peu gagas à cause de ces produits. D’autres sont morts dans des souffrances inacceptables.» Pour tirer la sonnette d’alarme, l’organisation avait déposé, à Berne, en septembre 2024, une pétition signée par près de 20’000 personnes, dont Brigitte Bardot, Michel Drucker, Dany Saval ou Michael von der Heide. Celle-ci demandait l’arrêt de la vente libre des rodenticides. À plusieurs reprises également, SOS Chats a dénoncé des empoisonnements à la justice: «Mais comme les produits n’étaient pas interdits, les plaintes n’ont pas eu de suite.» Mais si les animaux de compagnie sont touchés, ce sont avant tout les risques élevés d’empoisonnement secondaire, dont sont victimes les organismes non ciblés, comme les oiseaux ou les renards, qui mangent les cadavres de rats contaminés, qui ont motivé les autorités dans leur décision. «Les calculs [...] montrent des risques inacceptables pour les animaux sauvages», indique l’Organe commun de notification des produits chimiques dans sa communication. «Contamination généralisée» Ce constat est tiré d’une étude réalisée par Ecotox, le centre suisse d’écotoxicologie appliquée à Dübendorf (ZH). Publié en 2022, ce rapport très détaillé dresse pour la première fois un panorama de la situation en Suisse. Comme il n’existe aucune statistique officielle, les chercheurs d’Ecotox ont procédé à l'analyse du foie, l’organe où se logent les anticoagulants, d’animaux sauvages morts. Les résultats? Vingt-trois des 25 renards examinés (92%) présentaient des traces d’anticoagulants. Chez les rapaces, le taux s’élevait à 94%. Des résidus ont également été trouvés chez les hérissons (100%) et les poissons (73%), mais dans des concentrations plus faibles. Pour chaque animal, jusqu’à quatre anticoagulants ont été détectés. Les chercheurs sont ainsi arrivés à la conclusion qu’il existe une «contamination généralisée de l’environnement aquatique et terrestre». Une étude d’Ecotox, le centre suisse d’écotoxicologie appliquée, confirme une contamination généralisée aux anticoagulants. Des traces ont été retrouvées dans les foies de 92% des renards examinés. IMAGO IMAGES/DIRK SATTLER De plus, un questionnaire envoyé à neuf entreprises actives dans la lutte antiparasitaire leur a permis d'estimer qu’environ 10’500 kilos de produits contenant des anticoagulants sont utilisés chaque année en Suisse. Les plus courants se présentent sous forme d’appâts solides ou de pâte. Ces entreprises ont également confirmé que moins de 5% des cadavres de rongeurs sont récupérés après l’appâtage. Un faible taux qui favorise la dissémination des substances nocives. Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l’info? «Tribune de Genève» vous propose deux rendez-vous par jour, directement dans votre boîte e-mail. Pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Se connecter Patrick Oberli est journaliste à la cellule enquête de Tamedia depuis juin 2023. Auparavant, il était rédacteur en chef adjoint de Sport Center à Lausanne, fonction qu’il a également occupée à L’Express/L’impartial, L’Hebdo et PME Magazine. Il est lauréat du Prix Dumur 2016. En 2021, il a reçu un Special Awards for Investigation de l’Association de l’Association internationale de la presse sportive. patrick.oberli@tamedia.ch Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.