Plein d’esprit et le sens de la répartie bien aiguisé, l’écrivain américano-britannique Salman Rushdie a captivé les festivaliers venus assister à ses deux évènements à Metropolis bleu, samedi à Montréal. Durant sa discussion avec l’écrivain et historien britannique Simon Sebag Montefiore, en après-midi, comme lors de l’entretien avec la journaliste littéraire Eleanor Wachtel suivant la remise du Grand Prix Metropolis bleu – qui lui a été décerné en soirée pour l’ensemble de son œuvre –, le romancier de bientôt 78 ans n’a cessé de multiplier les boutades ni manqué une occasion de faire rire son public, s’attardant sur son enfance, des épisodes marquants de sa vie autant que sur ses romans les plus célèbres. PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE Simon Sebag Montefiore et Salman Rushdie Il a raconté entre autres comment son père, avec qui il a eu une relation compliquée, aimait lui relater sa propre version des histoires des Mille et une nuits, durant son enfance en Inde, alors que sa mère, elle, était plutôt le genre de conteuse qui connaissait les secrets de tout le monde et ne pouvait s’empêcher de les répéter. Il a également effleuré l’alcoolisme de son père, avec qui il dit s’être réconcilié après sa mort. C’est d’ailleurs une blague que celui-ci racontait à tout le monde – à savoir que Salman Rushdie est né huit semaines après que les Britanniques ont quitté l’Inde, en 1947 – qui a inspiré en partie son grand roman Les enfants de minuit, qui lui a pris cinq ans à écrire en raison de ses doutes après un premier livre passé inaperçu. L’écrivain a également plaisanté sur le fait que certains de ses romans lui ont « attiré des problèmes », évoquant Les versets sataniques dont la publication, en 1988, l’a forcé à vivre pendant des années dans la clandestinité et sous protection policière en raison de la fatwa lancée par le régime islamique d’Iran et réclamant son assassinat. « Il y avait un temps où tous les chauffeurs de taxi avaient une opinion sur le roman même s’ils ne l’avaient pas lu », a-t-il ironisé, ce qui a déclenché les rires dans la salle. Il s’est d’ailleurs réjoui que le roman puisse enfin vivre « sa vie ordinaire de livre » puisque de nombreuses années ont passé depuis. « Les gens peuvent enfin le lire comme un livre, avec une certaine forme de neutralité, et non comme une patate chaude. Et leur réaction est souvent : qui aurait dit que c’était drôle ? » L’écriture comme seule arme PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE L’écrivain Salman Rushdie recevant le trophée du Grand Prix Metropolis bleu Ce « géant » de la littérature, dont la dernière visite dans la métropole remonte à plus de 15 ans, a également abordé sans réserve l’agression dont il a été victime dans l’État de New York, en 2022, et qui lui a coûté la vue d’un œil. « Mon livre Le couteau a été ma façon de riposter, a-t-il dit. Ma seule arme est l’écriture. » C’est d’ailleurs pour éviter une « répétition » de cet incident, a-t-il dit, que tous les spectateurs ont dû être fouillés avant d’entrer dans la salle, où des agents de sécurité étaient bien visibles autour de l’estrade. Même s’il a expliqué avoir longtemps hésité avant d’écrire ce livre, Salman Rushdie affirme avoir ainsi pu « rester en vie » et retrouver une certaine forme de paix, de calme et de bonheur, surtout auprès de sa femme, la poète et artiste Rachel Eliza Griffiths, qui était à son côté au festival. PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE Rachel Eliza Griffiths Salman Rushdie a d’ailleurs admis être toujours beaucoup plus serein lorsqu’il a un livre en cours d’écriture – « sinon je deviens grincheux ». « Les livres ont toujours été ma manière d’aborder et de comprendre le monde », a-t-il dit. Il a enfin confié qu’encore aujourd’hui, il aime apprendre quelque chose de chacun de ses romans et que sa plus grande crainte est de se répéter d’un livre à l’autre. Car malgré près d’un demi-siècle d’écriture, il admet que ça ne devient pas plus facile d’écrire avec les années. Sans en dévoiler trop sur son prochain titre, il a précisé que le recueil de cinq nouvelles qui doit paraître à l’automne en anglais nous entraînera en Inde, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Espagne, où il a fait un voyage l’an dernier. Des histoires aux styles très différents, où il expérimente avec différentes formes de fiction, a-t-il souligné.