Des membres des forces de sécurité de l’Inde se dirigent vers les lieux de l’attentat ayant tué 26 personnes à Pahalgam, au Cachemire indien, mardi. Des endroits où je me suis rendue en reportage, peu reviennent aussi souvent dans mes rêves que le Cachemire indien. Les nénuphars du lac Dal à l’aube. Les bateaux-maisons et les mosquées de bois ornementées. Les abricots safranés. C’est de cette même beauté qu’une centaine de touristes indiens voulaient s’entourer mardi dernier quand ils ont mis le cap à pied sur la magnifique prairie de Baisaran, où la forêt de conifères offre un magnifique contraste avec les pics enneigés du Pir Panjal et du contrefort de l’Himalaya. Les Indiens l’appellent « la Petite Suisse ». À 15 h le 22 avril, cependant, ce paradis bucolique s’est transformé en enfer quand un petit groupe d’hommes armés habillés en militaires sont sortis de la forêt et ont ouvert le feu sur la foule, tuant au moins 26 personnes et en blessant au moins 16. La grande majorité des victimes étaient des hommes hindous. Un des survivants, Austin Nathaniel, a raconté au journal Indian Express que les terroristes demandaient aux touristes de réciter une prière musulmane, les kalimas, pour être certains de ne pas tuer de musulmans. Son père, Sushil Nathaniel, un chrétien, a été abattu. Sa sœur a été blessée au pied. Austin et sa mère ont réussi à fuir, même s’il n’y avait nulle part où se cacher dans cette grande clairière. Quand les forces de l’ordre sont arrivées sur les lieux, elles ont trouvé les dépouilles des victimes dispersées dans ce décor époustouflant. L’horreur au milieu du sublime. Partout en Inde, la colère s’est immédiatement répandue comme une traînée de poudre. Le Cachemire n’en est pourtant pas à sa première attaque armée. Cette ancienne principauté est au cœur d’une longue lutte entre l’Inde, le Pakistan et des mouvements indépendantistes cachemiris depuis près de 80 ans. PHOTO TAUSEEF MUSTAFA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE Paramédics et policiers transportant un touriste blessé dans l’attaque à l’hôpital d’Anantnag, au Cachemire indien, mardi Les deux pays voisins se sont fait trois fois la guerre en lien avec le statut du Cachemire, qui, s’il est largement musulman, a été intégré dans l’Inde majoritairement hindoue lors de la partition du sous-continent indien en 1947. Aujourd’hui, le Cachemire est divisé en deux entre les pays rivaux et les affrontements y sont fréquents, même si de manière irrégulière. Cependant, depuis 2000, aucune attaque terroriste n’avait ciblé autant de civils. Et cet attentat hors norme révèle à lui seul les tensions profondes qui déchirent ce coin de paradis. Des tensions que le gouvernement indien a attisées, tout en tentant de les faire oublier. Jeudi, une organisation nommée Front de la résistance (TRF) a revendiqué l’attentat. Sur les réseaux sociaux, le TRF dit viser les « non-locaux, qui viennent en jouant aux touristes, mais qui obtiennent ensuite des domiciles (au Cachemire) et qui font comme s’ils étaient propriétaires des terres ». Le même groupe accuse le gouvernement d’avoir laissé plus de 85 000 étrangers s’installer au Cachemire indien afin de changer la composition de la population du territoire du Jammu-et-Cachemire, un des deux seuls majoritairement musulmans dans toute l’Inde. PHOTO INDRANIL MUKHERJEE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE Des proches déposent des fleurs sur le cercueil de Hermant Joshi, tué dans l’attentat de Pahalgam, mercredi, à Dombivali, en Inde. Le TRF, qui était inconnu avant cet attentat, dit avoir été mis sur pied en 2019 après que le premier ministre indien, Narendra Modi, un nationaliste hindou, eut enlevé au Jammu-et-Cachemire son statut d’État semi-autonome. Depuis, l’ancien État, qui a été divisé en deux et recalé au rang de territoire, a perdu son drapeau, est gouverné à partir de Delhi et est largement privé de sa démocratie locale. La répression des militants des droits de la personne, des journalistes et de l’opposition au gouvernement central s’est accélérée, selon plusieurs rapports de Human Rights Watch. La liberté de la presse est passée à la trappe. Les Cachemiris subissent plus de coupures de l’internet que les habitants de n’importe quelle autre région du monde. L’appareil de sécurité, qui était déjà très important lors de mon passage dans la région il y a 20 ans, a été doublé. Récemment, Narendra Modi se félicitait de la baisse de la violence au Cachemire, ainsi que du retour du tourisme dans cette région qui, à une époque, attirait les plus grandes stars de la planète, dont les Beatles. Un gain remis en cause par l’attentat de mardi. Le premier ministre indien, lui, ne se remet pas en cause. À peine l’attentat avait-il eu lieu qu’il accusait le Pakistan voisin d’en être responsable ou, du moins, de l’avoir commandité, écartant du coup la thèse d’une attaque perpétrée par des citoyens indiens. PHOTO DAR YASIN, ASSOCIATED PRESS La maison d’un militant soupçonné d’être impliqué dans l’attentat a été détruite dans une explosion samedi, en banlieue de Srinagar, au Cachemire indien. Promettant de chasser les responsables « jusqu’aux confins de la Terre », Narendra Modi a rétorqué en expulsant des diplomates pakistanais, en révoquant des visas et en menaçant de déchirer une entente sur la répartition des eaux de l’Indus, un fleuve partagé par les deux pays, mais dont les Indiens contrôlent le flot. « Politiquement, c’est toujours rentable pour Narendra Modi de combattre le Pakistan », note Serge Granger, directeur de l’École de politique appliquée à l’Université de Sherbrooke et expert de l’Inde. Cependant, indique-t-il, les conséquences des mesures adoptées pourraient être gigantesques. « Près de 80 % de l’eau du Pakistan vient de la fonte des neiges en amont de l’Indus », remarque-t-il. Le Pakistan, qui nie toute implication dans l’attentat, mais a maintes fois admis soutenir diplomatiquement les groupes armés qui partagent son opinion sur le sort du Cachemire, est lui aussi sur le pied de guerre. Et le ton monte très rapidement entre les deux puissances nucléaires. Des échanges de coups de feu ont été rapportés dans les nuits de jeudi et vendredi. Des experts craignent des frappes militaires indiennes au Pakistan et une escalade vertigineuse de la violence. Le calme de façade au Cachemire s’est dissipé. Et la tempête qui s’annonce à sa place n’a rien de rassurant.