Dans le premier spectacle, vous étiez une fée, dans le deuxième, vous vous assumiez, dans le troisième, il était question du féminisme. Qu’en est-il pour ce quatrième spectacle ? C’est sur la vérité. Je suis arrivée à l’âge où je suis au sommet de ma vie. J’ai connu le monde de mes parents, je connais le monde de mes enfants, et je vois que c’est quand même des mondes totalement opposés, avec une façon de vivre, des références qui n’ont absolument rien à voir. Étant au milieu, je suis témoin des divergences entre le monde de mes parents et celui de mes enfants. Je pense que c’est le bon moment quand on est au sommet pour balancer la vérité. Mon spectacle, c’est un moyen de tisser des liens entre ces générations, et de balancer des vérités avec humour, comme pourquoi les corn-flakes ont été inventés. Tout le monde en mange, mais personne ne sait que c’était à la base un médicament pour lutter contre la masturbation. Vous verrez, vous ne les mangerez plus jamais pareils. C’est un médecin qui s’appelle le docteur Kellogg qui a inventé ça. Mais il y a d’autres choses plus légères, comme, je ne sais pas moi, le conte de la Belle au bois dormant. Aujourd’hui, il y a une polémique chez les féministes pour savoir s’il faudrait réécrire ce conte ou pas, parce que le prince embrasse la belle pendant qu’elle dort. Il y a une jeune génération qui veut modifier le conte, et puis les plus âgés refusent en disant, on ne va pas modifier un conte. Je propose qu’on revienne à la version originale du conte que personne ne connaît, qui a été écrit dans 1634, dans laquelle il n’embrassait pas la princesse pour la réveiller, il la violait. Je montre que le conte a déjà évolué plein de fois. Je laisse les gens réfléchir après comme ils veulent. Tout le monde dit "on ne peut pas modifier un conte". Si, il a déjà été modifié. S’il n’avait pas été modifié, vous ne le raconteriez pas à vos enfants. Youtu.be / CAROLINE VIGNEAUX – In Vigneaux veritas Le viol qu’elle a subi "In Vigneaux Veritas", avec un titre pareil, on s’attend à quelques révélations. Est-ce que c’est le cas ? Les plus grosses révélations sur moi, c’est que je vais parler des agressions sexuelles et du viol que j’ai subis. Chose dont je n’avais jamais parlé avant, ni à ma famille, ni à mes amis, ni jamais à personne. J’ai décidé de le faire pour qu’on comprenne que même des jeunes femmes, qui ont l’air heureuses et qui ont été avocates avant, qui savent donc comment faire pour porter plainte peuvent avoir été agressées, voire violées, sans jamais avoir rien dit ni porter plainte. Vous ne mettez pas de côté les sujets graves comme le deuil. Ça a été compliqué de trouver la mécanique pour faire rire sur ce sujet ? Très dur, parce que le deuil de mon père, je l’ai très mal vécu. Mon corps entier a lâché. J’ai dû être hospitalisée. Donc la remontée a été très longue et très pénible. Aujourd’hui, j’arrive à vivre sans lui, même s’il me manque. Et je me suis dit que si moi, je vivais ce deuil, il y a sûrement des gens qui devaient le vivre également. Et que j’allais les aider parce que se réapproprier le rire est important. Moi, au début, j’ai cru que je ne rirais plus jamais. Et puis, le rire est revenu très vite. Dès l’enterrement de mon père, parce que le prêtre se trompait de prénom et nom de mon père, tout le temps. Ça m’a fait rire à l’enterrement pendant la messe. J’ai même eu un fou rire, c’était terrible. Chaque fois qu’il prononçait le nom de mon père, il se trompait. Et j’en ai fait un sketch, et je me suis dit, il faut que je rende le rire aux gens qui sont tristes et qui sont en deuil, de la même façon que je veux parler des agressions sexuelles et du viol, en disant, on va continuer à rire, reprendre le rire, c’est important, pour laisser comme message aux agresseurs qu’ils ne nous auront pas anéantis. Vous avez un style unique sur scène. Vous jouez beaucoup de votre corps. J’appelle ça du « sketch-up ». Je brise le quatrième mur comme dans le stand-up, mais je construis aussi des personnages et des séquences, ce qui en fait un vrai spectacle avec un fil rouge. Ce qui frappe quand on vous entend parler de votre déclic. C’est que la révélation pour la scène vous est venue avec Jacqueline Maillan. Ce n’est pas vraiment votre génération. Non, c’est celle de mon grand-père. Mais c’est lui dans les Vosges qui m’a fait découvrir Jacqueline Maillan en me mettant une cassette VHS de Croque-Monsieur. Et pour la première fois, j’ai vu une femme faire rire toute ma famille en étant extravagante. Et je me suis dit, on peut être comme ça. Donc Jacqueline Maillan m’a donné l’autorisation d’être extravagante. Quand vous êtes passée d’avocate à humoriste, vous aviez la crainte de ne plus être utile. C’est fini ? Oui, notamment grâce aux réseaux sociaux, puisque quand je parle soit du viol, soit du deuil, et que je vois des gens qui m’écrivent, ils disent « merci, grâce à vous je vais mieux ». Je sais que pour un seul de ces messages, j’ai bien fait. Vous rempilez pour la présentation de la Nuit des Molières ce lundi 28 avril. C’est un exercice qui vous plaît ? C’est un exercice qui me plaît pour le challenge, mais qui est compliqué parce que ce n’est pas facile de faire rire une salle qui, au fur et à mesure de la cérémonie, se remplit de perdants. Les nommés en humour sont Bérengère Krief, Waly Dia, Nora Hamzawi et Paul Mirabel. Qui va gagner ? Aucune idée et jamais je donnerais de pronostic. En général, je ne dis pas ce que je pense, mais alors là, encore moins, parce qu’en tant que maîtresse de cérémonie, je veux être absolument neutre. Je suis la Suisse. In Vigneaux Veritas. Dimanche 18 mai à 18 h. Corum, Esplanade Charles de Gaulle, Montpellier. Tarif : 35 et 39 €.