Mort du pape : « On avait oublié le reste de la Création »… Comment François a mis des chrétiens de France à l’écologie ?
Rarement un pape n’avait autant parlé du monde qui l’entoure. Pas seulement des hommes mais aussi des fleurs, des arbres, des rivières, des nuages, des animaux, tout ce que les chrétiens rassemblent sous le terme de « Création ». Le pape François, qui a choisi son nom en hommage à Saint-François d’Assise, le « saint patron des écologistes » (le ton était donné), a vu son pontificat marqué par l’encyclique Laudate Si, véritable tournant dans l’implication de l’Eglise sur la lutte contre le changement climatique. Dans ce texte paru en 2015, quelques mois avant la COP21 à Paris, François évoque une Terre « abandonnée, maltraitée, opprimée » et ouvre la porte à « une certaine décroissance ». Des propos qui pourraient lui valoir aujourd’hui un procès en écoterrorisme, mais qui à l’époque ont inspiré, notamment en France. L’association Eglise verte a notamment été lancée en 2017, proposant des éco-diagnostics aux communautés intéressées, avec une « méthode pour s’engager sur un chemin de conversion écologique », explique Juliette Maupas, responsable du réseau national des ambassadeurs de l’association. Le concept existait depuis dix ans au Royaume-Uni, mais « dans un pays catholique, il fallait cette encyclique pour institutionnaliser l’idée », pointe-t-elle. Sensibilisation et action En huit ans, « 1.000 structures ont été engagées sur le parcours Eglise verte, dont 820 sont actives », du sanctuaire de Lourdes à de petites paroisses de campagne. L’initiative vise toute forme de communauté chrétienne, des paroisses aux monastères en passant par les associations comme le Secours catholique. « Cela permet de créer un tas de projets, comme des ateliers Fresque du climat dans les églises », se réjouit Juliette Maupas, qui cite aussi le rôle fondamental des jardins. « Les communautés se mettent à cultiver des fruits, des légumes, les migrants sont invités à jardiner », ce qui rejoint un autre axe central du pontificat de François. Environ 4 % des paroisses françaises sont désormais impliquées dans la démarche. Et hors de ces structures anciennes, l’engagement écologique s’est manifesté dans des mouvements plus jeunes. Le mouvement Génération Laudato Si a ainsi coordonné des milliers de jeunes catholiques pour accompagner les grèves pour le climat de Greta Thunberg. En 2023, la première édition du Festival des Poussières rassemblait en Côte-d’Or environ 240 participants, qui ont échangé pendant trois jours sur l’urgence écologique et la justice sociale entre deux temps de prières. Le pape a aussi inspiré des âmes plus militantes, comme les membres du collectif « Lutte et contemplation ». « On nourrit notre action par la médiation », décrit Hugo Degryse, membre de ce mouvement « créatif, joyeux et non violent ». Les militants se disent « marqués par Laudate Si, et encore plus par Laudate Deum, qui va plus loin ». En 2023, le pape François signait en effet un nouveau texte, plus court, dans lequel il critiquait les « puissants » et enjoignait à l’action. « On s’est sentis reconnus, soutenus et envoyés dans notre lutte pour la justice climatique », clame Hugo Degryse. L’écologie pour donner un sens à la foi Le collectif, formé autour de la lutte contre le projet d’oléoduc Eacop de TotalEnergies en Afrique, organise des « cercles de silence » pour manifester. « Notre silence est notre cri, et cela interpelle les gens », raconte l’activiste. Avec une centaine de membres au niveau national, Lutte et contemplation se rapproche d’autres organisations plus structurées, apportant un nouvel angle à la lutte écologiste. « On ne vient pas juste se placer en opposition, il faut aussi penser une refonte de nos modes de vie et de recherche du bonheur », professe Hugo Degryse. L’engagement écologiste, peu importe son degré, est surtout venu donner un sens à la spiritualité de certains fidèles. « Le christianisme avait surtout insisté sur les liens entre les humains en oubliant le reste de la Création. Faire rentrer l’écologie, cela permet d’approfondir sa foi », estime Juliette Maupas. La parole chrétienne a « été un facteur d’engagement chez certains », note la responsable d’Eglise verte, en faisant remarquer que « les bénévoles sont surtout des retraités qui n’étaient pas préalablement engagés sur le sujet ». « La lecture de l’encyclique a fait bouger quelque chose en eux », affirme-t-elle, et a été « l’occasion d’un retour à l’église » pour certains qui s’en étaient éloignés.