Esmé Cavanaugh, Fergus Keyes et Scott Phelan, de la Fondation du Parc du Monument irlandais de Montréal Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui font battre le cœur de leur quartier. Le parc n’est pas encore aménagé, mais le simple fait de marcher sur le site tout près de l’entrée du pont Victoria impose le respect et le recueillement. Sous nos pieds se trouve la plus grande fosse commune du Canada, où l’on a entassé les corps de 6000 Irlandais morts du typhus en 1847. La seule trace qui demeure de cette tragédie est l’illustre Black Rock, mais la roche est sur un terre-plein difficile d’accès, et les 23 000 automobilistes qui passent non loin chaque jour peuvent à peine l’apercevoir. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE L’histoire de la Black Rock, c’est la mort de 6000 Irlandais, mais aussi l’accueil par les Montréalais des 70 000 autres qui ont survécu à l’épidémie de typhus. La « Roche noire » sera au cœur du Parc du Monument irlandais de Montréal. La firme d’architecture Lemay en signe l’aménagement et cela s’inscrit dans le vaste projet du nouveau quartier Bridge-Bonaventure. « La Black Rock est le plus ancien monument du monde consacré à la Grande Famine irlandaise », indique Scott Phelan, de la fondation du parc. Une étape importante : les travaux du REM PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE CDQP Infra a augmenté la portée entre les piliers du REM sur le terrain de l’ancienne fosse commune. Esmé Cavanaugh, aussi membre de la fondation, rappelle que ce sont les travaux du Réseau express métropolitain (REM) qui ont permis en 2019 les « premières fouilles archéologiques » sur le site de la fosse commune. Des fragments d’os de 14 personnes ont été découverts dans une zone où allait être érigé un pilier du réseau de train léger⁠1. Une cérémonie a eu lieu et la Fondation du Parc du Monument irlandais de Montréal tente d’identifier – au moyen de tests d’ADN – des descendants de ces personnes pour les inviter à l’inauguration du nouveau parc, prévue en 2029. L’an dernier, le don d’Hydro-Québec d’un terrain de 3,4 acres a rendu enfin possible la création de l’espace vert commémoratif, tout comme celui d’un îlot de verdure qui appartenait au diocèse anglican de Montréal. L’une des dernières étapes sera le déplacement de la rue Bridge au cours des travaux devant débuter en 2026. RENDU 3D FOURNI PAR LEMAY Le Parc du Monument irlandais de Montréal sera un lieu à grande valeur touristique et un espace vert pour les habitants du nouveau quartier Bridge-Bonaventure. RENDU 3D FOURNI PAR LEMAY La rue Bridge sera déplacée. RENDU 3D FOURNI PAR LEMAY Au cœur de l’agora 1 /3 Le parc comprendra un agora avec de larges gradins. La roche sera au milieu d’un plan d’eau pour illustrer la signification de la croix celtique, soit l’union entre le ciel et la terre. Marie-Ève Parent, architecte chez Lemay À la mémoire des disparus, un mur d’acier évoquant la forme d’un navire sera perforé de 6000 croix celtiques. Il débouchera sur un belvédère en forme de proue orienté vers l’Atlantique et l’Irlande. Des pierres marqueront l’emplacement des anciennes « baraques à fièvre », soit les maisonnettes où on plaçait les malades, alors qu’un pavillon muséal pourra accueillir des touristes comme des groupes scolaires. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Le trèfle à trois feuilles : une rare trace irlandaise sur le site actuel « Nous avons travaillé en collaboration avec l’historien Simon Jolivet », précise Marie-Ève Parent, ajoutant que le parc s’intégrera au circuit international du Great Famine Way avec ses souliers de bronze emblématiques. « Un million d’Irlandais sont morts pendant la Grande Famine, rappelle le Montréalais d’origine irlandaise Fergus Keyes. La population d’Irlande vient de rattraper le nombre qu’elle avait avant 1847. » Une histoire à commémorer PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Scott Phelan, de la Fondation du Parc du Monument irlandais de Montréal, vante la collaboration avec la Ville et Hydro-Québec. Entre mai et novembre 1847, 75 000 Irlandais sont débarqués au port de Montréal alors que la population n’était que de… 50 000 personnes ! « Ils étaient malades, maigres et pauvres. Ils ne parlaient ni français ni anglais, et on les a accueillis […] Imaginez la pression sur la ville, évoque Scott Phelan. Il faut célébrer la réaction des Montréalaises et Montréalais de l’époque. » La construction de la basilique de Saint-Patrick s’est terminée en mars 1847 tout juste avant l’introduction du typhus. Tous les prêtres sont morts en tentant d’aider des malades, tout comme de nombreuses religieuses et le maire de Montréal de l’époque, John Easton Mills, qui s’était improvisé infirmier⁠2. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Fergus Keyes a aussi été très impliqué dans le projet de restauration du cimetière de Saint-Colomban, où reposent de nombreux premiers colons irlandais. C’est difficile à imaginer, estime Esmé Cavanaugh. « Des bateaux-cercueils se succédaient au port », illustre-t-elle. Les morts étaient trop nombreux pour être enterrés un à un. « Ce fut le plus grand effort humanitaire de l’histoire du Québec et du Canada, souligne Fergus Keyes. Mille orphelins ont été adoptés. » Aujourd’hui, 40 % des Québécois ont des racines irlandaises. Fergus Keyes Si 6000 des 75 000 Irlandais sont morts, tous les autres se sont refait une nouvelle vie de ce côté de l’Atlantique. Beaucoup d’entre eux ont construit le pont Victoria et la Black Rock a par ailleurs été extirpée du sol en 1859 par des travailleurs bouleversés de creuser sur des ossements. La roche a été malencontreusement déplacée lors de travaux en vue d’Expo 67, les mêmes qui ont rasé l’ancien Village-aux-Oies⁠3. PHOTO WILLIAM NOTMAN, FOURNIE PAR LE MUSÉE MCCORD Photo datant de 1859, au moment où la Black Rock a été extirpée du sol L’héritage irlandais est si grand qu’on l’oublie, souligne Esmé Cavanaugh. Thomas D’Arcy McGee, l’un des 36 Pères de la Confédération, est né en Irlande. La Bolduc, née Mary Travers, a grandi dans une famille irlandaise en Gaspésie, alors que le père du poète Émile Nelligan était natif de Dublin. Un projet important Musicienne, Esmé Cavanaugh a un diplôme de l’Université Concordia en études irlandaises. Le parc est un projet cher à son cœur. « Il faut raconter l’histoire des 6000 personnes mortes ici de façon anonyme. La Black Rock est leur seule pierre tombale. » PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Esmé Cavanaugh, de la Fondation du Parc du Monument irlandais de Montréal Pour Scott Phelan, fier Québécois irlandais de sixième génération, la Black Rock est un symbole tout aussi important que la croix du Mont-Royal. « La roche en dit beaucoup sur le caractère des Québécois, qui ouvrent leurs bras et leur cœur à des réfugiés. C’est dans notre caractère d’aider les gens dans le besoin. » ⁠1. Consultez les informations sur les découvertes archéologiques sur le site du REM 2. Consultez un article sur John Easton Mills sur le site du Centre des mémoires montréalaises ⁠3. Consultez notre article « Que reste-t-il de Goose Village ? »