Le tribun et ses doubles

La porte-parole de Québec solidaire, Ruba Ghazal, et le fondateur du parti de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, à Montréal le 16 avril 2025 Jean-Luc Mélenchon était récemment de passage à Montréal, accompagné d’une délégation de La France insoumise, dans le cadre d’une tournée nord-américaine. Claude André Enseignant en science politique À cette occasion, il a été accueilli notamment par Québec solidaire. Ce moment pouvait, vu d’ici, sembler porteur d’espoir : une rencontre transatlantique entre forces progressistes, unies contre la montée des droites et la menace incarnée par le béotien en chef à la Maison-Blanche. Mais ce vernis humaniste ne résiste pas à l’analyse. L’homme qui, en 2017 à Marseille, exaltait les idéaux de la République – laïque, universaliste, fraternelle – n’est plus le même. Depuis, Jean-Luc Mélenchon a trahi ces principes, un à un, au nom d’un calcul politique froid et cynique. Il a abandonné l’universalisme républicain pour une logique fondée sur la segmentation des luttes et le clivage à outrance. Le tribun d’autrefois flatte aujourd’hui les passions les plus radicales, cherchant dans certaines franges de la jeunesse et des quartiers populaires un prolétariat de substitution. Il ne mobilise plus pour rassembler, mais pour provoquer. Sa stratégie est claire : « bordéliser » le débat politique afin de forcer un duel avec l’extrême droite à la présidentielle de 2027. Plus le climat se tend, plus il espère apparaître, par contraste, comme le seul rempart acceptable. Discours codé Cette radicalité se traduit aussi dans un usage de plus en plus dérangeant d’un discours codé, notamment en ce qui touche à la question juive. Rien de frontal, mais des clins d’œil insistants aux pires poncifs de l’antisémitisme classique. Il a, par exemple, accusé la présidente de l’Assemblée nationale française, Yaël Braun-Pivet, de « camper à Tel Aviv pour encourager le massacre », dans une formule ambiguë aux résonances historiques sinistres. Il évoque Jésus et ceux qui l’auraient mis sur la croix – glissant ainsi, subrepticement, vers le vieux mythe du peuple déicide. Et dans le même souffle, il nous parle d’un antisémitisme soi-disant « résiduel » en France, alors que les Juifs représentent moins de 1 % de la population, et concentrent plus de 60 % des actes de haine religieuse… Quant à ses proches, d’aucuns n’hésitent pas à diffuser sur les réseaux sociaux des images trafiquées à l’esthétique tirée tout droit des années 1930. Vu du Québec, cette stratégie trouble semble parfois échapper à une partie de la gauche. On veut voir en Mélenchon un rebelle contre l’ordre établi, un camarade de lutte. Mais ce qui vient de France n’est pas toujours exportable. Car Mélenchon, en tendant à la République un miroir déformant, s’y mire lui-même. Telle une figure de Narcisse sombre, il se fascine pour sa propre radicalité. Et pendant qu’il s’exclame « La République, c’est moi ! », c’est l’Hexagone tout entier qui subit les fractures qu’il alimente. Sous les apparences d’un redresseur de torts, voici une figure qui, avec brio certes, mais au prix de principes fondamentaux, s’abandonne à un populisme des plus vénéneux. Il est temps que tombent les masques. Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue