(Ottawa) Mark Carney a fait quelques pas de danse au son de la musique du groupe canadien Down With Webster, au petit matin mardi au TD Place, dans le centre-ville d’Ottawa, en compagnie de militants libéraux, afin de souligner sa victoire électorale. La fête était de mise. Mais elle a été de courte durée. Et pour cause. Mark Carney a dû reprendre rapidement ses fonctions de premier ministre. La liste des grandes corvées est longue – nommer un cabinet, présenter un discours du Trône et déposer un budget, entre autres, d’ici à la fin de juin. Sans oublier qu’il veut lancer les négociations avec Donald Trump pour mettre fin à la guerre commerciale que le président des États-Unis a déclenchée et qui n’épargne pas le Canada. Au cours des prochaines semaines, Mark Carney devra démontrer qu’il est aussi habile sur le parquet de la Chambre des communes que sur la piste de danse. S’il a reçu un mandat des électeurs moins de deux mois après avoir remplacé Justin Trudeau comme chef du Parti libéral, il demeure un néophyte de la joute parlementaire. Désolé, votre navigateur ne supporte pas les videos À la tête d’un gouvernement minoritaire, il devra trouver un partenaire de danse aux Communes pour survivre aux inévitables votes de confiance qui parsèment une session parlementaire. Pour les 12 à 18 prochains mois, M. Carney devrait avoir les coudées relativement franches. Le Nouveau Parti démocratique est sans chef et n’a plus que sept sièges, tandis que le Bloc québécois, par la voix de son chef Yves-François Blanchet, a exprimé le désir de travailler dans un esprit de collaboration. Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a aussi mordu la poussière dans sa circonscription de Carleton et devra trouver un volontaire parmi ses députés élus qui voudra bien lui céder son siège – une démarche qui n’est pas sans embûche. « Pour la première fois depuis janvier, nous avons le luxe du temps. On a eu une course au leadership, suivie d’une courte période de transition puis d’une campagne électorale. Nous allons agir rapidement, mais nous allons prendre le temps de réfléchir », a souligné une source gouvernementale qui a requis l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à parler publiquement des dossiers à venir. 1. FORMER UN CABINET PHOTO COLE BURSTON, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES La Chambre des communes verra siéger 169 députés libéraux, selon les chiffres les plus récents d’Élections Canada. En devenant le 24e premier ministre du Canada, le 14 mars, Mark Carney a constitué un cabinet qui ne comptait que 23 ministres, soit 13 de moins que celui de son prédécesseur. Dans les coulisses, on a qualifié cette équipe ministérielle de cabinet de guerre qui devait diriger le pays au moment où Donald Trump multipliait les salves tarifaires. Tout indique que Mark Carney devrait annoncer la composition d’un cabinet comptant quelques ministres de plus d’ici deux ou trois semaines. Le premier ministre souhaiterait faire entrer au cabinet quelques candidats vedettes qui ont été élus, notamment l’ancien ministre des Finances du Québec Carlos Leitão ou encore l’ancien maire de Vancouver Gregor Robertson. Durant la soirée électorale, une seule ministre du cabinet de guerre a mordu la poussière : la ministre de la Santé, Kamal Khera, dans la circonscription ontarienne de Brampton-Ouest. 2. PRÉSENTER UN DISCOURS DU TRÔNE Dès la reprise des travaux parlementaires, vers la fin de mai, le gouvernement de Mark Carney devra présenter les grandes lignes de ses ambitions pour son nouveau mandat dans un discours du Trône. Un discours du Trône fait souvent l’objet de tractations entre le gouvernement et les partis de l’opposition dans le contexte d’un Parlement minoritaire. Il s’agira aussi d’un premier test. Le vote sur le discours du Trône est un vote de confiance. Un rejet du document pourrait entraîner la chute du gouvernement et la tenue de nouvelles élections. Les émissaires de Mark Carney devront s’assurer de l’appui d’au moins un parti de l’opposition. 3. DÉPOSER UN BUDGET Un deuxième test important surviendra lorsque le ministre des Finances déposera le prochain budget fédéral, vraisemblablement en juin. Tout indique que l’actuel grand argentier du pays, François-Philippe Champagne, conservera ses fonctions. Auparavant, les députés devront aussi adopter les budgets supplémentaires des dépenses – des sommes qui sont essentielles pour que le gouvernement fédéral puisse continuer à couvrir certaines dépenses comme les salaires des employés. Dans ce budget, le gouvernement Carney entend concrétiser la première promesse de la campagne électorale, soit réduire le fardeau fiscal des contribuables. Les libéraux se sont engagés à diminuer le taux d’imposition de la première fourchette de 15 % à 14 %. À elle seule, cette promesse va priver le fisc de 5,9 milliards de dollars par année. 4. ÉLIMINER LES BARRIÈRES AU COMMERCE INTERPROVINCIAL PHOTO AMBER BRACKEN, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES La frontière entre Sweetgrass, au Montana, et Coutts, en Alberta. La guerre commerciale déclenchée par l’administration Trump renforce le besoin de faire tomber les barrières au commerce interprovincial. Durant une rencontre avec ses homologues des provinces et des territoires, le 21 mars, deux jours avant le déclenchement des élections, Mark Carney s’est engagé à éliminer tous les obstacles fédéraux au commerce interprovincial et à la mobilité de la main-d’œuvre. Son gouvernement devra déposer un projet de loi en ce sens. Il veut ainsi donner l’exemple aux provinces et territoires pour faire du Canada une véritable zone de libre-échange, plutôt que 13 économies distinctes, une allusion aux 10 provinces et 3 territoires, qui ont des mesures protectionnistes. Déjà, deux provinces – la Nouvelle-Écosse et l’Ontario – ont déposé des projets de loi pour éliminer les obstacles au commerce avec les autres provinces. « La guerre commerciale déclenchée par les États-Unis a ravivé l’urgence de s’attaquer à des obstacles qui, depuis longtemps, fragmentent notre économie et réduisent les opportunités qui s’offrent aux Canadiens », avait soutenu M. Carney au terme de cette rencontre. 5. LANCER LES NÉGOCIATIONS AVEC LES ÉTATS-UNIS Durant le tout premier appel du premier ministre avec le président des États-Unis, en pleine campagne électorale, le 28 mars, Mark Carney et Donald Trump ont convenu de lancer « des négociations globales sur une nouvelle relation économique et de sécurité » immédiatement après les élections fédérales. Mardi, les deux leaders ont eu un deuxième entretien et, malgré les salves tarifaires et les menaces d’annexion lancées par Donald Trump, ils ont affirmé « l’importance pour le Canada et les États-Unis de travailler ensemble, en tant que nations indépendantes et souveraines, en vue d’améliorer la situation des deux pays », selon un compte rendu du bureau du premier ministre. MM. Carney et Trump ont aussi indiqué avoir l’intention de se rencontrer en personne « dans un avenir proche ». 6. PRÉPARER LE SOMMET DU G7 EN JUIN EN ALBERTA Le Canada sera l’hôte du prochain Sommet du G7 à Kananaskis, en Alberta, du 15 au 17 juin. Le premier ministre Mark Carney connaît déjà plusieurs des leaders qui y participeront, notamment le président de la France, Emmanuel Macron, et le premier ministre du Royaume-Uni, Keir Starmer, parce qu’il a été gouverneur de la Banque d’Angleterre. Il pourrait d’ailleurs s’agir du premier voyage à l’étranger de Donald Trump où sera abordée la question des graves tensions commerciales. Mark Carney a aussi déjà annoncé que le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, serait invité au sommet afin de signifier l’appui indéfectible du Canada envers son pays alors que le président des États-Unis se rapproche de la Russie.