K2-18b : le JWST a-t-il vraiment trouvé des signes de vie extraterrestres ? Pas si vite.

Au milieu du mois d’avril, des chercheurs ont annoncé avoir identifié des signes potentiels de vie sur une exoplanète. Cette découverte a fait les gros titres de la presse internationale, car les auteurs de ces travaux étaient convaincus d’avoir mis la main sur des données particulièrement solides et représentatives… mais une nouvelle étude indépendante s’oppose fermement à cette conclusion déjà accueillie avec scepticisme. Pour resituer le contexte, les travaux en question portent sur l’exoplanète K2-18b, située à un peu moins de 125 années-lumière de la Terre. En utilisant le James Webb Space Telescope, une équipe de la prestigieuse université de Cambridge a identifié des gaz qui, selon elle, correspondaient parfaitement à des biosignatures – des signes directs d’une activité biologique associée à des êtres vivants. Plus spécifiquement, l’équipe de l’astrobiologiste Nikku Madhusudhan a repéré la signature spectrale du méthane, du dioxyde de carbone, mais aussi et surtout du sulfure de diméthyle (DMS) et du diméthyldisulfure (DMDS) – deux composés soufrés qui, sur Terre, sont produits quasi exclusivement par des micro-organismes marins. Dans leur communiqué de presse, les auteurs ont présenté leur découverte comme la biosignature “la plus prometteuse à ce jour” et suggéré qu’il pourrait s’agir d’un tournant majeur de l’histoire de l’astrobiologie. Ils ont argué que leurs mesures pointaient directement vers l’existence d’un monde dit “hycéanique”, c’est-à-dire une planète recouverte d’eau et entourée d’une atmosphère riche en hydrogène susceptible d’abriter des formes de vie. Un scepticisme justifié De nombreux chercheurs ont toutefois affiché un scepticisme prudent vis-à-vis de ces affirmations. Rien de bien surprenant dans ce contexte ; il s’agit même de la réaction la plus courante face à ce genre de revendications. En effet, ce n’est pas la première fois qu’un télescope spatial retrouve la trace de composés chimiques potentiellement biogéniques, c’est-à-dire susceptibles d’avoir été produits par des êtres vivants. Or, jusqu’à présent, personne n’a jamais pu en apporter une preuve rigoureuse. Le principal obstacle, c’est que l’origine des gaz en question n’est jamais parfaitement claire. Le plus souvent, ces recherches se basent sur la vie terrestre telle qu’on la connaît, et rien ne garantit qu’il en existe des équivalents sur d’autres planètes. En outre, dans la grande majorité des cas, ces composés pourraient aussi avoir été produits par des phénomènes géologiques, sans la moindre intervention d’êtres vivants. Le méthane, mais aussi de nombreux composés à base d’azote ou de soufre, par exemple, ont souvent été à l’origine de faux positifs qui ont fini par être réfutés par d’autres études. Comme à l’accoutumée, d’autres chercheurs se sont donc lancés dans des analyses indépendantes des données présentées par l’équipe de Cambridge. L’objectif : vérifier s’ils arrivaient aux mêmes conclusions en employant une méthodologie différente. C’est ce qu’a décidé de faire Jake Taylor, un planétologue de l’Université d’Oxford. Un biais de confiormation ? Pour arriver à sa conclusion, l’équipe de Cambridge est partie d’un modèle complexe où elle a explicitement inclus des composés soufrés comme le DMS et le DMDS. Les auteurs ont ensuite laissé varier de nombreux paramètres dits “libres”, c’est-à-dire que leurs valeurs ne sont pas prédéterminées par la théorie ou des mesures. À la place, toutes ces valeurs sont progressivement ajustées par des algorithmes pour faire en sorte que le modèle corresponde le mieux possible à l’hypothèse testée (en l’occurrence, la présence de ces composés soufrés). À partir de là, il ne reste plus qu’à analyser à quel point ces modélisations correspondent aux données spectrales rapportées par le JWST. Les auteurs ont conclu que leur modèle contenant ces composés soufrés était fortement cohérent avec les observations. C’est une approche tout à fait valide, mais qui doit être employée avec prudence. Quand un modèle utilise beaucoup de paramètres libres, il est beaucoup plus facile de les ajuster, intentionnellement ou non, dans une direction qui soutient le résultat attendu. En d’autres termes, cela peut introduire ce qu’on appelle un biais de confirmation – un biais cognitif qui pousse à privilégier les hypothèses qui renforcent une idée préconçue. Pour éviter cela, Taylor a employé une approche plus minimaliste. Au lieu de partir du principe que l’atmosphère de l’exoplanète contenait ces composés, puis de le vérifier par la suite, il a simplement essayé de repérer des tendances statistiques brutes dans les données, sans encombrer son analyse avec de nombreux paramètres interdépendants. Ce n’est qu’après avoir identifié ces “pics” qu’il a cherché à vérifier s’ils pouvaient effectivement correspondre au DMS et au DMDS. C’est une différence méthodologique subtile, mais très importante dans ce cas précis – notamment parce qu’elle a conduit Taylor à une conclusion très différente. Selon lui, les données ne contiennent aucune preuve que l’atmosphère de K2-18b contient effectivement du DMS… ou même n’importe quelle molécule spécifique. Il estime que la grande complexité du modèle de Cambridge a significativement brouillé les pistes, et que les tendances statistiques sont en fait nettement moins marquées que ne le suggère l’étude. Il soulève aussi un autre point important : si ce gaz était présent et concentré, comme le suggère l’étude de Cambridge, d’autres molécules plus faciles à détecter comme l’éthane devraient aussi apparaître – or, ce n’est pas le cas ici. En d’autres termes : Taylor suggère que l’équipe de Madhusudhan a peut-être pris ses désirs pour des réalités. La chasse à la vie extraterrestre continue Il est important de préciser qu’aucune de ces deux études ne constitue une preuve irréfutable, dans un sens comme dans l’autre. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’il va sans doute falloir procéder à de nouvelles modélisations, voire lancer une nouvelle campagne d’observation du JWST pour y voir plus clair. Et les auteurs de l’étude restent parfaitement conscients de cette réalité. « Il est important que nous restions profondément sceptiques quant à nos propres résultats, car ce n’est qu’en testant encore et encore que nous pourrons atteindre le point où nous en serons sûrs », a déclaré Madhusudhan. « C’est ainsi que la science doit fonctionner. » Il sera intéressant de suivre ces travaux complémentaires ; ils pourront à la fois nous renseigner sur le potentiel de K2-18b à héberger des formes de vie, mais aussi renforcer les bases méthodologiques pour éviter les faux positifs lors de prochaines observations.