En 2024, 173 faits antimusulmans ont été officiellement comptabilisés, 52 % relatifs à des atteintes aux biens et 48 % portant sur des atteintes aux personnes, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau avait lui même reconnu en février que ces chiffres étaient « sans doute en deçà de la réalité », alors que l’islam, deuxième religion de France, compte entre cinq et six millions de musulmans pratiquants et non-pratiquants, selon plusieurs études. « Qui peut croire à ces chiffres, c’est complètement dénué de sens ! », a réagi auprès de l’AFP Bassirou Camara, président de l’Association de défense contre les discriminations et les actes antimusulmans (Addam), créée en février 2024 dans le cadre du Forum de l’islam de France (Forif). Une plateforme de signalement en ligne, gérée par l’Addam et attendue « avant fin mai », devrait permettre « d’apporter des données tangibles aux législateurs », avec des « chiffres plus proches de la réalité », et « permettre aux décideurs publics de trouver des solutions à un phénomène grandissant », espère Camara. Pour expliquer que les victimes sont aujourd’hui peu enclines à faire part de leurs agressions, Mathias Ott, le nouveau délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) avance plusieurs raisons : « une forme d’auto-censure probablement, de crainte aussi, et puis un sentiment d’inutilité de la démarche ». « Le but des pouvoirs publics est d’inciter à libérer la parole, à porter plainte et montrer qu’il n’y a évidemment pas d’impunité dans ce domaine », poursuit le délégué interministériel. « On suffoque » Une semaine après la mort d’un jeune musulman dans une mosquée du Gard, par un homme insultant à deux reprises la religion de sa victime, mais qui nie avoir agi contre l’islam, l’émotion est grande dans la communauté qui déplore un « deux poids deux mesures ». « On arrive encore à dire que ce n’était pas un musulman qui était visé (…). À un moment il faut poser les mots comme on le fait à juste titre contre l’antisémitisme, et appeler ça de l’islamophobie », s’agaçait Myriam, 30 ans, assistante dentaire lors d’un rassemblement jeudi à Paris en hommage à la victime Aboubakar Cissé. À lire sur le sujet Fidèle tué dans une mosquée du Gard : le meurtrier a filmé l’agression, durant laquelle il insulte « Allah » « On suffoque, c’est banalisé d’être raciste, même à la mode », déplorait également Mariame lors d’un précédent rassemblement, quand Morad justifiait sa présence dans une telle manifestation, une « première », par un sentiment de « trop-plein ». Nombre de participants à ces récentes manifestations se sont insurgés contre le déplacement « trop tardif » du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, qui s’est rendu 48 heures après le meurtre à la sous-préfecture d’Alès, et contre des propos « stigmatisant » la communauté musulmane. Les musulmans désignés responsables « de tous les maux de la société » Les représentants des institutions musulmanes reçues mardi par le président de la République ont aussi dénoncé le « climat islamophobe ambiant », avant de rencontrer le lendemain Bruno Retailleau lors d’une réunion prévue « de longue date ». « Sous couvert de débats sur la laïcité ou de lutte contre l’extrémisme, certaines voix tentent de faire passer le choix libre d’une femme musulmane de porter le voile pour une provocation, voire une menace », réagissait encore mercredi le Conseil français du culte musulman (CFCM) suite à l’agression d’une jeune femme par un homme qui lui a arraché son voile lundi dans les Yvelines. Les trois premiers mois de l’année ont enregistré une augmentation spectaculaire des actes antimusulmans de 72 % par rapport à la période en 2024 avec 79 cas recensés, selon le décompte du ministère de l’Intérieur. « Après les attentats de 2015, on a commencé à alerter sur une recrudescence du sentiment antimusulman, mais aujourd’hui, il n’y a même plus besoin qu’il y ait des attentats ou des faits divers », constate Camara.