Après quinze ans de combat et sept ans après avoir saisi la justice, la famille Grataloup espère être entendue et permettre une avancée dans la législation. Le procès contre le groupe Bayer-Monsanto va enfin avoir lieu à Vienne, en Isère. « C’est l’arrivée du marathon », souffle Sabine Grataloup, en souriant. Depuis 2008, elle passe ses « jours, nuits, week-ends à lire, traduire des études, à contacter des spécialistes ». Son objectif ? Que la multinationale soit reconnue responsable des malformations de Théo, son fils de 17 ans, dues au glyphosate. « Théo est né avec des malformations du larynx et de l’œsophage qui ont nécessité 55 opérations jusqu’à présent », résume-t-elle. Dès sa naissance, son fils a dû se battre pour survivre. « Les médecins n’arrivaient pas à le faire respirer seul, il était en risque vital en permanence », raconte sa mère. À trois mois, une trachéotomie devient inévitable. Depuis, il parvient « à manger par la bouche, à respirer par trachéotomie et à parler par voie œsophagienne » mais « toute sa vie a été gâchée par ce pesticide ». « Monsanto savait la dangerosité du produit, ils ont minimisé sa toxicité. Et ça, je ne leur pardonnerai jamais », lance, très émue, cette maman. Le début des recherches et la volonté d’alerter Cette organisatrice de voyage à cheval a réalisé, un an après la naissance de Théo, qu’elle avait été exposée au glyphosate lorsqu’elle désherbait, comme chaque été, sa carrière équestre. « A sa naissance, les médecins m’avaient dit que ses malformations étaient dues à un facteur extérieur qui avait perturbé la genèse des organes, comme la surexposition à un pesticide, se souvient-elle. C’est là que j’ai pris conscience que lors de mon premier mois de grossesse, j’avais utilisé du glyper [dérivé du Roundup de Monsanto]. De là, seize ans de recherches ont commencé. » Scientifiques, autorités sanitaires, politiques… Les parents de Théo cherchent par tous les moyens à ce que des études soient réalisées concernant ce produit. Et peu à peu, d’autres cas émergent, notamment en Argentine, où l’exposition au glyphosate est massive. « Toute la ligne de causalité a été documentée dès 2011 », affirme Sabine, incollable sur sujet. « À partir de ce moment-là, on est passé d’une logique de demande à une logique d’alerte, pour dire que le pesticide le plus utilisé au monde, présent dans quasiment toutes les eaux en France, était dangereux », se rappelle-t-elle. Pour cette famille, c’est aux pouvoirs publics de « prendre les mesures nécessaires » pour « protéger la population » étant donné que « les malformations se créent pendant le premier mois de grossesse, sans que la maman puisse protéger son enfant car elle ne sait pas forcément qu’elle est enceinte ». Le tournant du combat judiciaire : les Monsanto Papers En 2015, le désherbant Roundoup a été classé cancérogène par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Au début, ça a été très long pour que des gens nous croient, se souvient cette mère déterminée. Pendant les dix premières années, on criait dans le vide. » Mais en 2017, le combat de la famille change d’ampleur grâce aux « Monsanto Papers ». Sabine s’en souviendra « toujours ». « Théo avait 10 ans et a entendu parler de cette affaire à la radio, en voiture avec ses parents, raconte-t-elle. Il m’a dit : “Maman, ça veut dire que s’ils n’avaient pas menti, le produit n’aurait pas pu être utilisé et je n’aurais pas eu ce qu’il m’est arrivé.” C’est pour ça que je ne peux pas leur pardonner. » La famille décide alors de déposer plainte contre la multinationale. Cinq ans plus tard, la famille reçoit une « première reconnaissance significative » : Le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides a reconnu, au plus haut niveau possible, que l’origine du handicap de Théo était liée à l’exposition aux pesticides. « Maintenant, ce qu’on attend, c’est la condamnation du comportement fautif de Monsanto, leur responsabilité dans cet état de fait », réaffirme Sabine. Théo veut l’interdiction du produit Théo, qui a grandi avec la maladie et cette affaire judiciaire, attend aussi beaucoup de ce procès tout en gardant un regard pragmatique. « Ça arrive à un moment charnière de ma vie, juste avant l’entrée de ma vie adulte. Je suis content qu’on y arrive enfin. Dans un sens, ça a gâché une partie de ma vie mais j’arrive à vivre avec. Moi, je m’en suis sorti alors que d’autres enfants n’auront pas cette chance », assure-t-il. Il prendra d’ailleurs la parole durant le procès, devant les représentants de l’entreprise qui l’ont « empoisonné ». « Le groupe a déjà été attaqué plusieurs fois pour sa responsabilité dans des cancers, notamment aux Etats-Unis. Mais les procès pour malformations, c’est rare. On est même les seuls car les liens sont difficilement prouvables et très peu d’enfants survivent aux malformations causées. Dans notre cas, on a réussi à réunir toutes les informations nécessaires. Donc, on se doit aussi de faire cette affaire en justice pour tous ceux qui ne peuvent pas le faire. » Mais il ne « dira rien personnellement » à Bayer-Monsanto. « Tant que l’entreprise arrête de faire ce produit et qu’il n’y a pas d’autres enfants comme moi, je serai satisfait », appuie-t-il. Une autorisation du glyphosate pour dix ans supplémentaires en UE Sabine, elle, s’inquiète pour son fils. « Il minimise souvent, mais il faut savoir ce par quoi il est passé et ce qu’il endure encore aujourd’hui. Une nouvelle malformation a été détectée en décembre dernier et a remis en cause son rêve de travailler comme chef cuisinier. Encore un exemple que toute sa vie est impactée à cause de ce pesticide. » Elle est d’ailleurs « en colère » contre la décision de l’Union européenne, en 2023, d’autoriser à nouveau l’utilisation de ce pesticide. « Avant, on pouvait dire qu’ils ne savaient pas. Maintenant, il y a des preuves que Monsanto a volontairement caché des études et a minimisé la toxicité de leurs produits. Donc, les élus européens qui ont voté pour, l’ont fait en toute connaissance de cause. Ils s’attendent à voir d’autres victimes. » Pour ce procès, la famille s’est préparée comme pour un marathon : « On a perdu 16 kg. Notre dossier fait 1.000 pages. Je connais chaque étude par cœur. En plus du procès, on va aussi devoir faire face aux attaques des défenseurs de l’agro-industrie. On sait qu’elles peuvent être très violentes et de mauvaise foi. » Mais Sabine et Théo ne sont pas seuls. « Le 3 avril, un appel à mobilisation a été lancé. Ce soutien nous fait tenir. On ne lâchera pas. Pas pour nous, mais pour les autres enfants. »