Cet article est une fiction s’appuyant sur l’actualité, des analyses d’expert et d’autres titres de presse, mais n’a pas vocation à prédire l’avenir. Ne vous ruez donc pas dans un magasin pour faire des stocks de chocolat après avoir lu cet article. Imaginons. C’est arrivé sans qu’on n’y croie vraiment. Lentement d’abord, à coups de hausses de prix sournoises et d’étals de supermarché de plus en plus clairsemés. Puis, il y a dix ans, un jour de 2040, l’info est tombée : « La Côte d’Ivoire annonce la fermeture de la dernière plantation de cacao. » Le chocolat allait disparaître. Les rendements du cacao, déjà fragilisés par des conditions climatiques extrêmes et de nouvelles maladies fongiques récurrentes, n’ont pas résisté à une décennie de sécheresses, d’inondations et de spéculations effrénées. Et les signes étaient là dès 2025. « Après une surproduction depuis une trentaine d’années, on sort de deux années compliquées, notamment après de mauvaises récoltes en Côte d’Ivoire », regrettait alors Frédéric Amiel, sociologue et auteur de Petite histoire de la mondialisation à l’usage des amateurs de chocolat. Le secteur a donc fondu comme une tablette qu’on aurait oubliée au soleil. Certains agriculteurs se sont acharnés pour répondre à la demande toujours très forte. Les prix se sont envolés, dépassant ceux du safran, montant jusqu’à 70.000 euros le kilo, l’équivalent d’un bitcoin. Le chocolat est redevenu, l’espace de quelques années, le produit rare et exotique qu’il était avant la mondialisation. Mais face à des cultures jugées plus résilientes (manioc, palmier à huile, bananes), les pays producteurs (Côte d’Ivoire, Ghana et Indonésie, le top 3 en 2024), ont fini par tourner la page un à un. J’ai tout mangé le « fauxcolat » Malgré ces prix, très vite, les stocks se sont vidés. Les industriels ont bien tenté de temporiser. On a ressorti les vieux brevets de « succédanés » au chocolat, des mélanges de caroube, betterave, et arômes de fraise ou noisette fermentée. On a tenté d’exporter le « Choviva », obtenu à partir de raisins et de tournesol, des frontières alsaciennes. On les a appelés « choco-like » ou « Fauxcolat ». Rien n’y a fait. Les puristes ont crié au sacrilège, les enfants ont boudé les goûters, et les influenceurs food ont changé de crémerie. Les conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir. En 2025 toujours, Serge Guérin, sociologue et auteur de L’éloge (politique) du chocolat, redoutait « un monde beaucoup plus triste ». « Le chocolat, c’est la mondialisation heureuse, il y a un côté festif, expliquait-il. Il a créé une habitude de qualité de vie, de civilité. » Aujourd’hui en 2050, dans les supermarchés, les rayons autrefois dédiés au chocolat ont été réorganisés. À la place des tablettes 85 %, on trouve désormais des assortiments de fruits confits, des perles de vanille fermentée et des infusions de fèves torréfiées sans cacao. Des start-up s’y sont engouffrées, promettant au passage de « réinventer le plaisir du goût sans l’empreinte carbone du passé ». Car, selon la base de données Agribalyse, produire un kilo de tablette de chocolat au lait engendrait tout de même 12,6 kilos d’équivalent CO2. Les grandes marques, elles, n’ont pas disparu. Milka a lancé une gamme de « douceurs violettes », à base de prune et d’hibiscus, pendant que Nestlé s’est reconverti dans l’ultra-luxe du fruit transformé : des mandarines pelées et emballées individuellement comme des bijoux, vendues à prix d’or. Lindt propose désormais des « lingots de datte à cœur fondant de patate douce ». Dans les biscuits, le goût fraise, que certaines études à l’aveugle présentaient comme en fait très proche du chocolat, s’est imposé en leader. Mais tout le monde n’a pas su rebondir. Plusieurs PME chocolatières artisanales ont mis la clé sous la porte, et les chocolateries de centre-ville ont du se tourner vers la pâtisserie, l’épicerie fine, ou des activités plus dans l’air du temps de 2050 : clinique d’implant neuronal et agence de voyages dans le métavers. Syndrome du carré manquant Et dans la population ? La consommation de sucre a légèrement augmenté. Le caramel, grand vainqueur du post-chocolat, est partout : en tartinable, en dragées, en sirop. Résultat : les nutritionnistes alertent sur une explosion des cas de prédiabète, notamment chez les jeunes. En parallèle, un mouvement inverse émerge : celui du fruit chic, sain, photogénique (que l’on expose sur TixTox, le réseau social renommé depuis son rachat par Elon Musk). Des marques aux noms japonais ou scandinaves proposent des coffrets de fraises cueillies à la main, des tranches de mangue séchées à basse température, ou des raisins sans pépins infusés au jasmin, et invitent des influenceurs à en faire la promotion. Le « de mon temps, on s’offrait des chocolats pour les fêtes » sonne pour les générations Alpha et Beta comme la référence à l’orange de Noël de nos arrières grands-parents. Mais il manque quelque chose, car le chocolat avait ce pouvoir étrange de réconfort silencieux. Il accompagnait les peines de cœur, les réunions longues, les fins de mois grises. En 2013, une étude de l’université de Keele, au Royaume-Uni, montrait une amélioration de l’humeur ou une atténuation des pensées négatives chez les personnes consommant davantage de chocolat. Depuis qu’il n’est plus là, les ventes d’anxiolytiques ont explosé. Certains psychologues évoquent même un « syndrome du carré manquant ». Des applications de méditation proposent des séances guidées pour « recréer en imagination le goût du chocolat noir fondant ». Des sectes se sont formées, envoyant des jeunes endoctrinés faire de l’urbex dans des magasins abandonnés du bout du monde, uniquement dans l’espoir d’y dénicher une tablette à peu près mangeable. Et dans un monde qui multiplie les incertitudes - en 2050, nous en sommes à + 5 °C, au sixième mandat de Donald Trump, et la Chine, après avoir conquis Taïwan, lorgne désormais sur le Japon –, la disparition du chocolat est devenue un symbole de refuge disparu. Mais il reste encore un espoir : la première expédition humaine sur Mars a découvert il y a quelques jours la toute première forme de vie extraterrestre. Une sorte de plante dont l’ADN ressemble à celui… du cacao.