Attaque au couteau dans un lycée à Nantes : quatre questions sur l'installation de portiques de sécurité devant les établissements scolaires, évoquée par François Bayrou

Au lendemain de l'attaque au couteau qui a fait un mort et trois blessés dans un collège-lycée privé de Nantes (Loire-Atlantique), le débat politique porte notamment sur les solutions pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise. Le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, a estimé qu'il ne fallait pas y voir "un fait divers" mais "un fait de société". Le Premier ministre, François Bayrou, a lui évoqué l'installation de portiques de sécurité à l'entrée des établissements scolaires comme "une piste" pour éviter de nouvelles attaques au couteau dans les écoles, alors que sa ministre de l'Education, Elisabeth Borne, avait parlé il y a un mois d'une hausse de 15% sur un an des signalements d'utilisation d'armes blanches dans les établissements scolaires. Voici les questions que pose cette proposition, qui fait déjà réagir le milieu éducatif. 1 Que propose François Bayrou ? François Bayrou a dit, jeudi devant la presse, souhaiter "une intensification des contrôles mis en place aux abords et au sein des établissements scolaires". Il a aussi demandé "des propositions concrètes en matière de prévention, de réglementation et de répression". "Piste" possible, selon le Premier ministre : l'installation de portiques à l'entrée des établissements scolaires. "Un couteau, une arme blanche potentiellement dangereuse et même létale (...) ces armes-là, elles doivent être bannies, donc elles doivent être pourchassées. Tout le monde doit savoir qu'elles sont interdites et les contrôles nécessaires doivent être conduits", a-t-il déclaré. 2 Ces portiques sont-ils déjà mis en place ? Les annonces concernant la sécurité à l'école reviennent régulièrement dans le débat public, par exemple après l'attentat qui a coûté la vie à l'enseignant Dominique Bernard, en octobre 2023 à Arras (Pas-de-Calais). Un audit sur la sécurité dans les établissements scolaires avait notamment été lancé, conduisant à en identifier 500 "pour lesquels un renforcement des dispositifs d'alerte et de sécurisation était nécessaire", avait déclaré Gabriel Attal, alors Premier ministre, en mars 2024. A la rentrée de septembre 2024, le ministère de l'Education avait rapporté que "plus de 400 établissements" avaient été sécurisés sur les 500 identifiés, citant la mise en place de caméras, de portiques anti-intrusion, d'alarmes, mais aussi "des personnels formés". Différentes mesures ont aussi déjà été mises en place par les collectivités locales, qui ont la responsabilité de la sécurisation des bâtiments scolaires. La région Auvergne-Rhône-Alpes rapportait ainsi à la rentrée de septembre avoir déployé un "vaste plan de sécurisation des lycées avec l'installation de systèmes de filtrage avec portique (tourniquets, tripodes, sas d'entrée) et de vidéoprotection". Laurent Wauquiez avait fait du sujet un axe de sa campagne pour les élections régionales de 2015, qu'il avait remportées. Le candidat de droite avait annoncé qu'il ferait équiper les établissements de portiques qui, dans les faits, se sont transformés en tourniquets, portillons ou caméras de surveillance. A ce jour, aucun établissement scolaire français n'aurait installé de portiques de détection de métaux, semblables à ceux que les passagers doivent franchir avant de prendre l'avion, estiment auprès de 20 minutes Nicolas Bray et Olivier Beaufrère, du syndicat des personnels de direction SNPDEN-Unsa. Ces dispositifs sont en revanche présents outre-Atlantique, alors que les Etats-Unis sont régulièrement frappés par des fusillades de masse dans les établissements scolaires. Au cours de l'année scolaire 2021-2022, des contrôles à l'aide de détecteurs de métaux ont été effectués pour vérifier que les élèves n'entrent pas armés de manière aléatoire dans près de 15% des lycées et plus de 10% des collèges, et quotidiennement dans respectivement plus de 4 à 6% des établissements de ces deux niveaux, selon le Centre national de statistiques éducatives américain. 3 Quelles sont les critiques faites à leur installation ? Plusieurs acteurs soulignent les limites de cette approche. Comme Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du syndicat CFDT Education, qui estime auprès de l'AFP que les "dispositifs techniques pour résoudre les faits de violences" à l'école ne suffisent pas. "Ceux qui agitent la question des portiques ou des fouilles systématiques se trompent", abonde sur France Inter Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'Education nationale (SNPDEN). "On voit bien que cette logique dans laquelle sont entrés les Etats-Unis ne règle pas la question des tueries dans les établissements scolaires", ajoute le représentant syndical. Johanna Dagorn, sociologue et chercheuse, ancienne membre de la délégation ministérielle en charge de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, juge également auprès de l'AFP que "le tout-sécuritaire est un fantasme". "Si l'on met un portique de plus (...), ce n'est pas une prévention à long terme", ajoute-t-elle. Sur The Conversation en 2017, Ludovic Jeanne, alors directeur de l'Institut du développement territorial, évoquait également le coût de tels dispositifs, entre le système en soi et "les personnels formés, voire assermentés". "Le processus de contrôle de sécurité entraînerait un encombrement devant le lycée, ce qui ferait de l'attroupement des collégiens ou lycéens sur la voie publique une cible parfaite", questionnait encore l'enseignant-chercheur. Philippe Vienne, directeur du centre de sociologie de l'éducation à l'Université libre de Bruxelles, interrogé par l'AFP, dénonce, lui aussi, la "tentation politique, à droite essentiellement, de régler la question des incidents par une approche purement sécuritaire", notamment au moyen de "technologies de surveillance et de contrôle". Une telle tendance pourrait "provoquer de graves contre-effets sur la vie de ces écoles" avertit-il, invitant plutôt à se préoccuper de ce qui "construit les incidents". 4 Quelles sont les autres pistes évoquées ? Au-delà de la "piste" des portiques, François Bayrou a souhaité, jeudi, "une intensification des contrôles mis en place aux abords et au sein des établissements scolaires". Il a aussi demandé "des propositions concrètes en matière de prévention, de réglementation et de répression". : à lire aussi Fouille des sacs à l'entrée, portiques de sécurité... Comment le gouvernement veut renforcer la sécurité dans les établissements scolaires "Quel est le fond du sujet dans cette affaire-là ? Je me dis que c'est plutôt une question de santé mentale", souligne de son côté Bruno Bobkiewicz. Un enjeu décrété "grande cause nationale" 2025 par le gouvernement de François Bayrou. "On constate, depuis le Covid, une augmentation importante du nombre de jeunes qui vont mal. Il faudrait travailler davantage cette question, renforcer les pôles médico-sociaux et évidemment faire en sorte que déjà, a minima, les postes de psychologues soient pourvus, ce qui n'est pas le cas", réclame le secrétaire général du SNPDEN. Un point de vue partagé, à gauche, notamment par l'eurodéputée La France insoumise Manon Aubry, qui a appelé sur franceinfo à traiter "les causes" de la violence dans les milieux scolaires. "Vous avez en moyenne un psychologue dans nos établissements scolaires pour 1 500 élèves", a-t-elle dénoncé. L'ancien Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve est sur la même ligne. Il a appelé sur France Inter à "entendre" le "très profond malaise de la jeunesse". Du côté de la CFDT, Catherine Nave-Bekhti appelle, elle aussi, à faire "attention à la santé" mentale des jeunes. En prenant en compte notamment le harcèlement scolaire, souligne l'ex-membre de la délégation ministérielle en charge de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, Johanna Dagorn. Elle rappelle que les trois quarts des auteurs de tueries par arme à feu dans les écoles américaines ont été harcelés. Au bout du compte, "il faut absolument accentuer le travail de prévention pour repérer les signaux faibles de situations de mal-être, mais aussi les signaux qui annoncent une dégradation du climat scolaire (...) et de possibles violences", poursuit Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU.