La Russie "annexe" deux territoires à Nice: après la cathédrale Saint-Nicolas, le Kremlin récupère deux autres lieux emblématiques de la présence russe dans la capitale azuréenne

Alexis Obolensky tire de sa poche un lourd trousseau de clé. "Cela fait bizarre de se dire, alors que ça fait tant d’années que je fais ce geste, que c’est peut-être la dernière fois aujourd’hui", souffle le président de l’association cultuelle orthodoxe russe (ACOR) de Nice en déverrouillant le portail de l’église de la rue Longchamp. Cet enseignant à la retraite, qui aurait pu prétendre au titre de prince dans l’ancienne Russie impériale, fait tourner un autre verrou pour jeter un coup d’œil fébrile à la boîte aux lettres. Pas de signification d’huissier... Ou, tout au moins, pas encore. Depuis ce jeudi, cette association séculaire, constituée en 1923, vit désormais sous la menace d’une expulsion. En vertu d’un arrêt de la cour d’Appel d’Aix, elle va devoir rendre les clés de l’église Longchamp ainsi que du cimetière russe de Caucade... au Kremlin! La bataille de la cathédrale Saint-Nicolas L’ACOR avait déjà dû se résigner, à la fin des années 2000, à quitter les coupoles dorées à l’or fin de la cathédrale Saint-Nicolas, boulevard Tzarévitch. À l’époque la justice française avait, déjà, fait droit aux revendications de Moscou qui estimait comme sien cet héritage de l’empire. La construction de la cathédrale russe de Nice avait, il est vrai, été ordonnée (en 1902) et financée par le tsar Nicolas II. Mais pas la petite église de la rue Longchamp, plus ancienne et aux dimensions bien plus modestes, qui, assure Alexis Obolensky, n’aurait pas vu le jour sans "une souscription auprès de donateurs privés même si Alexandra Federovna, veuve de Nicolas 1er, en fut la première contributrice". De même que les deux terrains achetés à Caucade où nombre de ces "Russes blancs" ayant fui la révolution d’Octobre sont enterrés. L’arrêt de la cour d’appel dépossède également l’association cultuelle orthodoxe russe de Nice du cimetière russe de Caucade. Photo Franck Fernandes.. Notamment "des généraux du tsar que l’armée rouge n’a eu de cesse que de vouloir les exterminer" et dont la Fédération de Russie voudrait aujourd’hui "récupérer les dépouilles", déplore le président de l’ACOR qui se présente volontiers comme un gardien de cette "mémoire" que le Kremlin "essaie de gommer". Comme pour "effacer l’idée qu’il pourrait y avoir une autre Russie que celle que l’on connaît. Une Russie plus tolérante, plus ouverte, plus respectueuse de son Histoire...". L’ACOR en quête d’un lieu pour l’accueillir C’est la seule justification, selon lui, à cette véritable guerre de propriété que mène depuis 2006 la Fédération de Russie sur le sol niçois. Certes, devant les tribunaux celle-là. Mais avec succès. Au travers de cette nouvelle décision rendue par la cour d’Aix-en-Provence, le Kremlin vient ainsi d’annexer légalement deux nouvelles parcelles au cœur de la capitale azuréenne. En 2021, une première décision avait pourtant été rendue en faveur de l’ACOR. Son président s’était "fait l’illusion que le contexte international contribuerait" à confirmer le jugement rendu en première instance, la Russie ayant fait appel. "Il ne nous a pas été plus favorable qu’il ne l’est actuellement à l’Ukraine", regrette Alexis Obolensky. S’il vit ce dernier revers judiciaire comme "une injustice", à près de 80 ans l’homme s’avoue néanmoins "usé" par cette guerre de propriété qu’il mène depuis presque deux décennies. Dimanche, à l’occasion du traditionnel repas pascal, il en informera ses paroissiens. "On verra bien si certains souhaitent reprendre le bâton de pèlerin", souffle-t-il. En attendant, le président de l’ACOR va s’activer pour essayer de trouver une solution de repli. Il a déjà appelé à l’aide le Métropolite de Roumanie auquel l’association est rattachée. "Non pas qu’il puisse faire des miracles mais pour qu’il active ses contacts auprès de ses homologues catholiques ou protestants pour nous aider à trouver un lieu susceptible de nous accueillir." Alexis Obolensky, sait qu’il peut désormais être expulsé à tout moment de son église. "L’expérience de la cathédrale" le lui a prouvé. "Un matin le père Michel avait découvert que toutes les serrures avaient été changées dans la nuit par un huissier mandaté par la Fédération de Russie." Une guerre de propriété qui dure depuis 20 ans La cathédrale Saint-Nicolas est un des lieux les plus visités de Nice. Mais en 2006, paroissiens et touristes s’étaient heurtés à une porte close. Pour barrer l’entrée aux huissiers mandatés par Moscou, le recteur de l’époque, le père Jean Gueit, n’avait pas hésité à cadenasser le portail de la cathédrale avec des chaînes! Premier fait d’armes d’une longue guerre de propriété qui dure désormais depuis près de 20 ans. Depuis que la Fédération de Russie a décidé de revendiquer la propriété de cet édifice religieux érigé bien loin de ses frontières. À l’époque des tsars dont l’héritier d’Alexandre II, Nicolas Alexandrovitch Romanov, est mort à Nice de la tuberculose en 1865. Un premier mausolée a été construit pour commémorer son souvenir. Puis l’église de la rue Longchamp. Et enfin la cathédrale consacrée le 18 décembre 1912, cinq ans avant la révolution d’Octobre. Un patrimoine cultuel dont la Russie, passée de l’empire à l’Union soviétique, s’est longtemps désintéressée. Jusqu’à l’effondrement de l’URSS, où la Fédération a décidé de revendiquer ce qu’elle estime, en tant qu’État, comme son héritage inaliénable et incessible. Selon elle l’association cultuelle maître des lieux depuis 1923 ne pouvait se prévaloir que d’un bail emphytéotique de 99 ans arrivé à son terme en 2007. L’ACOR a tenté en vain d’invoquer la prescription acquisitive pour revendiquer la cathédrale, au même titre que l’église de la rue Longchamp et le cimetière russe de Caucade.