Son grand-père morlaisien avait caché des juifs pendant la guerre : elle souhaite qu’il soit reconnu comme Juste
Longtemps, les connaissances de Carole Féat sur la vie de son grand-père André, mort à 28 ans, le 4 avril 1945, à Dachau, se sont résumées à peu de choses : une photo sépia devant laquelle, chaque 20 octobre, jour de l’anniversaire de son défunt mari, sa grand-mère Germaine déposait une rose ; quelques clichés jaunis conservés dans un album ; des récits sur la rafle des 60 otages morlaisiens, aussi. Et de vagues souvenirs de famille évoquant des faits de Résistance et un refuge offert à des familles juives durant l’Occupation… Des actes dignes d’un « Juste ». Jusqu’en 2023, la professeure d’espagnol de 56 ans, résidant à Plouguin (29), n’avait pas vraiment cherché à aller plus loin. Et puis il y a eu cette rencontre avec Ginette Kolinka , rescapée d’Auschwitz. « Son message a résonné en moi : perpétuer la mémoire pour les générations futures. J’ai alors entrepris des recherches pour en savoir plus sur mon grand-père ». Avec l’aide de Serge Hameury, neveu d’André Féat, elle a d’abord retracé la vie de jeune homme de ce dernier, aîné d’une fratrie de sept enfants. Trésorier fédéral des jeunesses socialistes du Finistère, il était un ami de Tanguy Prigent, futur ministre du gouvernement provisoire du Général de Gaulle, en 1945. Typographe, il travaillait à l’Imprimerie Nouvelle, rue de Paris, à Morlaix. En face du temple protestant où il officiait en tant qu’élève pasteur. « C’est là qu’il a été arrêté le 26 décembre 1943. Il était de retour chez lui, place des Halles - Allende aujourd’hui -, pour fêter Noël en famille. Son fils, mon père, n’avait pas 2 ans », raconte Carole. À l’époque, André Féat étudiait la théologie à l’Église évangélique baptiste de l’avenue du Maine, à Paris. À gauche, André Féat, avec son fils, à Morlaix, pendant l’Occupation et, à droite, avec son fils, quelques mois avant son arrestation par les Allemands. (Photos collection personnelle Famille Féat) Une vieille enveloppe oubliée Retenu en otage par les SS, il fait partie des 60 Morlaisiens déportés en Allemagne, début 1944. Buchenwald, Flossenburg, Gross Rosen, Dachau : les registres des camps nazis ont permis de suivre le parcours concentrationnaire de celui que ses compagnons appelaient « Révérend Féat ». En revanche, pas de trace d’une quelconque implication dans la Résistance. C’est la lecture d’un article sur le blog de Richard Fortat, un féru d’histoire, qui a tout débloqué. « On apprend que mon grand-père était résistant au sein du mouvement Libération Nord, mais aussi membre actif du réseau ‘‘Henri Vincent’’ de protection des juifs », indique, avec émotion, Carole Féat. À lire sur le sujet Justes parmi les Nations : le souvenir de deux Rostrenoises respecté Son premier réflexe est d’en parler à son père et de découvrir qu’il était au courant ! Dans sa maison de Carhaix (29), l’octogénaire sort d’un placard une vieille enveloppe avec la mention « Documents Résistance Guerre 1939-1945. Pour la cause juive ». N’ayant pas conscience du trésor qu’il abritait, il n’en avait jamais rien fait. Toutes les lettres adressées à son épouse et les documents attestant du fait qu’André Féat avait été un résistant actif, protégeant notamment des familles juives, étaient conservées dans une vieille enveloppe à Carhaix, chez son fils. (Photo collection personnelle famille Féat) Demande de reconnaissance à Yad Vashem À l’intérieur de cette enveloppe, dormaient des lettres d’André Féat adressées à son épouse. Mais aussi des attestations datant de 1946 et 1948. L’une, signée du résistant Charles Foulon, indique que le Morlaisien distribuait des journaux du Parti socialiste clandestin à Paris et dans la Cité du viaduc. Et qu’il a aidé à camoufler des juifs dans les locaux du temple baptiste, à Paris. Ces faits, le pasteur de ce temple, Henri Vincent, les a confirmés dans un autre courrier. Dans un troisième document, Jacques Rabinovitch, figure de la Résistance juive, atteste que le réseau « Henri Vincent » travaillait directement avec son organisation pour protéger des adultes et des enfants juifs des persécutions. Et que de faux papiers étaient fabriqués au sein même du temple. À lire sur le sujet Anne Beaumanoir. Les souvenirs de guerre d‘une Juste Forte de ces éléments, Carole Féat vient de déposer, au nom de son grand-père, une demande de reconnaissance de « Juste parmi les nations » auprès du comité français pour Yad Vashem (*). Le dossier aboutira-t-il ? « Qu’importe. Je sais maintenant que mon grand-père était un homme bon. Qu’il est allé au bout de ses idées et de ses valeurs malgré le danger. » * Les « Justes parmi les nations » ont mis leur vie en danger pour sauver des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce titre est décerné au nom d’Israël par le mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, consacré aux victimes de la Shoah.