Le candidat libéral de la circonscription de Yellowhead, Michael Fark, est celui qui pilotait la reconstruction de Jasper jusqu’au déclenchement des élections. «Je pense qu’il aura un fort soutien de la part de notre ville dans cette élection, parce qu’il a fait un excellent travail», indique Sylvie Walsh, propriétaire de deux magasins de vêtements. Aux dires des habitants rencontrés par Le Droit, la petite ville touristique penche souvent du côté des libéraux et des néodémocrates. Cette année, la circonscription dans laquelle elle se situe, Yellowhead, s’étendra jusqu’à Banff, une autre ville touristique qui pourrait changer la course généralement dominée par les conservateurs. «Je ne pense pas que ça suffira, malheureusement, à faire basculer la circonscription», prédit Mme Walsh. Selon l’agrégateur 338Canada, le Parti conservateur a la main «solide» sur cette circonscription. Le maire de Jasper, Richard Ireland, n’irait pas jusqu’à dire que l’incendie, où plus de 33 000 hectares sont partis en fumée, modifiera l’issue du scrutin. Mais il est clair que celui-ci a changé les priorités locales. Dans la ville, où l’on redoute que les flammes surgissent encore cette année, c’est surtout le logement, la relance économique et la résilience face aux catastrophes climatiques qui préoccupent. L’environnement délaissé «Le changement climatique est une menace existentielle», clame en entrevue au Droit le maire Richard Ireland. «L’ayant vécu dans notre communauté, je me sens obligé de prévenir les autres qu’il y a urgence. Je le perçois comme un devoir.» Le maire de Jasper, Richard Ireland, a accueilli Le Droit dans son bureau. (Lise Denis/Le Droit) Au début du mois d’avril, plus d’une centaine de maires qui sont «aux premières loges de la crise climatique», dont M. Ireland et la mairesse de Gatineau, Maude Marquis-Bissonnette, ont signé une lettre ouverte dans laquelle ils réclament que les chefs des partis fédéraux agissent pour le climat plutôt que pour construire des pipelines. «C’est une question à laquelle j’aurais aimé qu’on accorde plus d’attention», affirme-t-il, deux semaines plus tard, estimant que seul le Parti vert a adopté les propositions des élus municipaux. M. Ireland comprend que l’indépendance économique et la souveraineté nationale aient monopolisé le discours politique. «Mais quand une communauté est sinistrée, l’économie disparaît. Tout est lié», plaide celui qui a, comme de nombreux habitants, perdu sa maison dans les flammes. Crise du logement La convalescence est longue après de tels sinistres. Bientôt 10 mois après l’incendie, Jasper se remet encore de la catastrophe. «Il nous reste encore tellement de choses à faire», reconnaît le maire, citant notamment l’important défi du logement. Près de 2000 habitants ont perdu leur maison dans les flammes, indique M. Ireland. Depuis, un peu moins de 250 résidents vivent dans des petits logements préfabriqués, installés en février par Parcs Canada. D’autres devraient être livrés cet été. «Il y a encore tellement de personnes qui se battent pour trouver un endroit où vivre», déplore Beka Coxe, qui se considère chanceuse de ne pas avoir perdu son appartement. Au cœur d’un parc national, la ville peut compter sur le soutien du gouvernement fédéral. Et même s’il y a eu des tensions avec les habitants et la municipalité, le gouvernement de l’Alberta a lui aussi financé la préparation des terrains en vue de l’installation de ces logements temporaires, souligne M. Ireland. Débarrassés des débris, des terrains vacants sont prêts à accueillir des nouveaux logements. (Lise Denis/Le Droit) Cela dit, les fonds versés par les deux paliers de gouvernement ne sont pas suffisants, affirme le maire. «On va encore avoir besoin d’aide», dit-il, expliquant que d’autres logements temporaires seront requis pour accueillir les travailleurs de la construction, indispensables pour rebâtir la ville, et les employés saisonniers, qui font tourner l’industrie touristique pendant l’été. «Même quand nous aurons fini de reconstruire, ce qui prendra plusieurs années, il nous faudra encore du temps pour relancer notre économie», prévient le maire. M. Ireland attend donc du prochain gouvernement qu’il construise des logements abordables. Les menaces de droits de douane font aussi redouter une montée en flèche des coûts de construction. «Ça suscite l’inquiétude, voire la peur au sein de notre communauté. Nous avons déjà subi une perte énorme, et il est vraiment difficile d’envisager une reconstruction dans un contexte d’incertitude économique mondiale.» Bonne saison touristique Cela dit, M. Ireland s’attend à ce que de nombreux Américains et Canadiens passent leurs vacances à Jasper cet été, en guise de «solidarité». Dans les commerces, aussi, on prédit une bonne saison touristique. «Je pense que ça va être une bonne année, parce que beaucoup de gens sont curieux de voir comment Jasper a changé», affirme une propriétaire d’un magasin de souvenirs, qui préfère taire son nom. «Il y aura toujours moins de touristes que ce à quoi on est habitués», nuance Mme Walsh, car la capacité d’accueil est réduite. Deux hôtels ont été détruits par les flammes, et certains campements du parc national ont été libérés pour accueillir des résidents ayant perdu leur logement. Peinant à trouver des employés, des commerces demeurent fermés. «Et cela pourrait durer tout l’été», affirme M. Ireland. Sylvie Walsh en sait quelque chose. Un de ses magasins, Bombshell Boutique, a dû être fermé pendant huit mois après que les flammes se soient propagées sur son toit. Désormais rouvert, elle peine à recruter des employés, puisque 80 % des membres de son ancienne équipe n’ont pas encore pu revenir en ville, faute de logement. Les dégâts causés par l'incendie sont encore bien visibles aux abords de Jasper. (Lise Denis/Le Droit) «Il y a des chances qu’on ne puisse pas ouvrir à nos heures normales», prédit-elle, affirmant n’avoir que cinq employés dans ses deux magasins, alors qu’elle en a d’habitude 12 à cette période de l’année. L’incendie lui aura coûté plus d’un million de dollars, estime-t-elle. «Ce qui me touche le plus, c’est qu’on n’est pas une communauté particulièrement riche. Et ce genre de pertes, ça veut dire que les gens n’ont plus rien.» Bénévole dans une banque alimentaire, elle affirme que la fréquentation a doublé depuis l’année dernière, même si la population a chuté. «Ça montre que notre communauté galère parce que la terre sur laquelle nous sommes est en train de trembler.» Ce reportage a été réalisé grâce au soutien du Forum des politiques publiques, de la Fondation Rideau Hall et de la Fondation des Prix Michener.