Adieu au "canal 10": un devoir de mémoire

Olivier Guimond et Denis Drouin à l'époque de Cré Basile! , grand succès du canal 10, de 1965 à 1970. (TVA) Un peu avant midi, les lumières se sont éteintes sur le décor de Mario Dumont, le dernier en information à prendre l’antenne dans ce lieu qui a abrité TVA, Télé-Métropole, le «canal 10», durant 64 ans. En novembre 2023, Pierre Karl Péladeau annonçait devoir se départir de l’immeuble pour répartir les activités du Groupe TVA dans les bureaux de la rue Frontenac et de la rue Saint-Jacques. L’édifice du 1600, qu’habiteront pour toujours les fantômes de Cré Basile! et des Tannants, sera converti en immeuble résidentiel. En plus d’abolir 547 postes, le PDG annonçait la fermeture de quatre stations régionales et le transfert de la production des bulletins locaux à la station de Québec. Quitter un lieu aussi emblématique n’a rien de banal; si TVA est ce qu’il est aujourd’hui, c’est parce que des Réal Giguère, Shirley Théroux, Gilles Latulippe, Pierre Marcotte, Michel Jasmin, Dominique Michel, Olivier Guimond ont jadis permis au «canal 10» de battre la télévision publique dans les sondages d’écoute en offrant une télé populaire, accessible et rassembleuse. Figure marquante du canal 10, Réal Giguère a animé entre autres Dix sur dix, Parle parle, jase jase, Galaxie et Jeopardy!. (Archives Le Soleil) À une autre époque, on aurait organisé un gala avec un grand escalier dans le décor pour souligner l’événement. Les stars de l’antenne auraient porté leurs plus belles robes, leurs plus beaux costards. Mais en 2025, tout ça est devenu superflu. Ces mondanités se sont volatilisées avec les derniers morceaux de décor du défunt Gala Artis, justement largué parce que ça coûtait trop cher. Plus modestement, Mario Dumont a tout de même rappelé de belle façon les meilleures années de TVA avec Guy Mongrain, Danielle Ouimet, Shirley Théroux et Jean-Luc Mongrain. On a revu ce dernier s’indigner pour «les 17 duo-tangs» exigés dans la liste des effets scolaires. Dumont, qui a rappelé le souvenir de Gaétan Girouard et Jean Lapierre, a souligné à raison qu’une page se tourne pour les artisans de la boîte mais aussi pour la ville de Montréal et pour la culture québécoise. Ce grand déménagement symbolise à lui seul la précarité financière de la télévision privée au Québec. Malgré un star-système fort, des parts de marché encore gagnantes, de grands rendez-vous millionnaires, un réseau comme TVA perd de l’argent, trimestre après trimestre. En une décennie, le vent a tourné: le câble a perdu des abonnés, Netflix est presque devenu la norme, sans contribuer à notre culture. Et on dirait que le monde s’en fout. La chaîne, qui a toujours été présente du matin au soir pour les téléspectateurs, maquille assez bien le manque de moyens, mais pour encore combien de temps? Michel Jasmin est le premier à avoir reçu la toute jeune Céline Dion, dans les studios de Télé-Métropole. (TVA) Ce n’est pas d’hier que le privé accuse Radio-Canada de recevoir beaucoup trop d’argent, tout en grugeant une partie du marché publicitaire et en faisant payer le public pour le contenu numérique. Il est à prévoir que Québecor cognera sur ce même clou dans les années à venir. Tout le week-end, les bulletins de TVA Nouvelles proviendront des studios de Québec, le temps de prendre possession des nouveaux studios de la rue Frontenac, à la fine pointe de la technologie. Une partie de cet édifice, qui abritait jusque là Le Journal de Montréal et Vidéotron, a été convertie en studios de télévision, une transformation qui aura pris un an et demi. Mis à part la prochaine saison de MasterChef, qui sera tournée le mois prochain dans l’ancien théâtre Arcade, et JiC, le rendez-vous quotidien de Jean-Charles Lajoie qui continuera de prendre l’antenne de TVA Sports pour encore une semaine à partir du 1600 de Maisonneuve, toutes les équipes ont déjà emménagé dans les nouveaux locaux. Dès lundi matin, Le Québec matin à LCN et Salut bonjour à TVA proviendront du 4545, rue Frontenac. En télévision privée, on a toujours fait peu de cas des archives, ce qui représente à mon sens une gifle à notre mémoire collective. Au décès de grands personnages de l’antenne, on en est réduit à utiliser des images floues sur YouTube, alors que des archives auraient pu être conservées pour chacun d’eux. Heureusement, on m’assure que tous les items historiques du canal 10 encore existants seront conservés, pour rappeler la mémoire de cette époque révolue. Comme lorsque Radio-Canada a fermé sa grande tour, j’ai un petit coup de nostalgie en voyant le 1600 en faire autant. En raison de mon travail de chroniqueur télé, j’ai arpenté les couloirs du canal 10 des centaines de fois. Même bien avant, puisqu’au sein des Petits chanteurs du Mont-Royal, j’avais participé à une émission de Bon dimanche avec Reine Malo au début des années 80. J’ai grandi avec Fanfan Dédé, Les tannants, Les Brillant, Michel Jasmin, Marisol, Galaxie, Peau de banane, Fais-moi un dessin et De bonne humeur. J’ai vécu mes années de cégep en même temps que les personnages de Chambres en ville. J’avais des amis qui n’avaient pas le droit de regarder le canal 10; c’était trop vulgaire, selon leurs parents. Moi, jamais mes parents m’ont empêché d’être infidèle à Bobino et à Boubou. Il est vrai qu’une certaine intelligentsia a toujours levé le nez sur TVA, même encore aujourd’hui. Comme si le divertissement et la culture populaire devaient être proscrits. Ça prend de tout pour faire un monde, pour faire de la bonne télé. Ça prend aussi des moyens. Espérons que TVA en trouvera pour rester en vie encore longtemps. Pour réagir à cette chronique, écrivez-nous à opinions@lesoleil.com. Certaines réponses pourraient être publiées dans notre section Opinions.