Des chercheurs américains ont récemment mis le doigt sur un phénomène fascinant qui semble permettre à des matériaux de défier les lois de la physique. Ces comportements extrêmement contre-intuitifs pourraient conduire à une petite révolution en sciences des matériaux, avec des applications concrètes très intéressantes. La grande majorité des matériaux connus suit un certain nombre de règles quasiment inamovibles, ancrées dans les lois de la thermodynamique. La pression, par exemple, force les constituants de la matière à se rapprocher les uns des autres, dans une certaine limite ; plus elle augmente, plus le volume est censé diminuer. La température, de son côté, a l’effet inverse. Lorsqu’elle augmente, il en va de même pour l’énergie interne des atomes, qui se mettent à vibrer avec une amplitude de plus en plus importante : le volume du matériau tend donc à augmenter lorsqu’il est chauffé. Mais dans une étude publiée dans le prestigieux journal Nature, des chercheurs des universités de Chicago et de San Diego ont démontré que ces deux règles n’étaient finalement pas gravées dans la roche. En fait, elles peuvent même s’inverser lorsque les matériaux sont dans un état dit “métastable”. Une question d’énergie Au cours du temps, tous les systèmes physiques tendent à évoluer vers un état d’équilibre où leur niveau d’énergie sera minimal (voir la notion d’entropie pour plus de détails) : on parle d’état stable. Si l’on représente l’énergie du système sur une courbe, cet état stable est représenté par le point le plus bas — le minimum global. Pour visualiser ce concept, vous pouvez imaginer une balle qui roulerait spontanément vers le fond d’une vallée au cours du temps : elle cesse de bouger lorsqu’elle se stabilise en bas de la pente, et arrive donc dans son état stable. Mais la situation peut aussi être plus complexe. Imaginez par exemple que notre balle soit placée dans un creux situé au sommet d’un pic. Dans ces conditions, elle ne peut pas atteindre le point le plus bas, le minimum global qui correspond à l’état stable. À la place, elle se retrouve coincée dans ce qu’on appelle un minimum local dont elle ne pourra sortir qu’avec l’intervention d’une force externe, comme une personne qui la pousserait en dehors du creux où elle est logée. En thermodynamique, cela s’appelle un équilibre métastable. C’est par exemple à cause de ce phénomène que de l’eau en état de surfusion (à moins de zéro degrés, mais toujours liquide) ne congèle pas spontanément si on la laisse tranquille. En revanche, à la moindre perturbation, l’ensemble du volume se transforme rapidement en glace. Des effets extrêmement contre-intuitifs Pour revenir à cette étude, les auteurs ont montré que ces états métastables peuvent considérablement modifier le comportement des matériaux. Dans leur état stable, ils suivent parfaitement les règles conventionnelles de la thermodynamique. Mais dans ces conditions particulières, la donne change radicalement, et des phénomènes particulièrement contre-intuitifs peuvent émerger. Certains matériaux dans des états métastables peuvent par exemple se contracter lorsqu’ils sont chauffés, et à l’inverse, se dilater sous l’effet de la pression. Les auteurs parlent de “compressibilité négative”, et c’est quelque chose qui n’avait jamais été observé auparavant. Un potentiel concret immense Le plus intéressant, c’est que ces travaux ne sont pas seulement prometteurs en recherche fondamentale. Selon les auteurs, il pourrait être possible d’ajuster ces états métastables, par exemple grâce à des réactions d’oxydo-réduction, pour modifier la manière dont les matériaux réagissent à la chaleur et aux autres formes d’énergie. En théorie, cela pourrait permettre de concevoir des matériaux aux propriétés extrêmement utiles. L’équipe cite un exemple particulièrement pertinent dans le domaine de la construction. Pour bâtir une structure, il faut vérifier rigoureusement les effets de l’expansion thermique des constituants ; si la structure d’un immeuble gonfle ou se contracte au-delà d’un seuil critique lors d’une vague de chaleur ou de froid, il pourrait s’écrouler avec des conséquences catastrophiques. S’il était possible de concevoir des matériaux au coefficient d’expansion thermique nul, cela ferait immédiatement sauter une contrainte majeure de l’ingénierie structurale. Un autre champ d’application potentiel se cache du côté des véhicules électriques. Au fil des cycles de charge et de décharge, leurs batteries ont tendance à perdre en capacité parce que les ions lithium, utilisés pour stocker l’énergie, se retrouvent progressivement piégés au niveau de l’anode. Cette altération chimique est aujourd’hui irréversible — mais avec un matériau métastable parfaitement calibré, il serait théoriquement possible d’inverser la réaction pour restaurer la batterie dans son état d’origine. Et il ne s’agit que de la partie émergée d’un immense iceberg de possibilités. Ce concept pourrait ouvrir la voie à des tas de matériaux plus révolutionnaires les uns que les autres… sur le papier, du moins. Il convient en effet de préciser que cette étude reste très exploratoire. À l’heure actuelle, il n’y a aucune garantie que des chercheurs réussiront un jour à dompter ces états métastables pour faire émerger toutes ces propriétés ô combien désirables. Mais le potentiel de ce nouveau champ de recherche est tel que de nombreux spécialistes vont sans doute s’y intéresser de près dans un futur proche. Il sera très intéressant de suivre leurs travaux qui, à terme, pourraient déboucher sur une petite révolution théorique avec un impact très concret sur de nombreuses industries. Le texte de l’étude est disponible ici.