Ultime bafouille - inZOI a un gros défaut qui lui fera du tort sur le long terme

C’est indéniable : inZOI est l’un des grands succès du moment. Deux semaines après sa sortie, le voilà toujours dans le top 15 des jeux les plus vendus (en termes de chiffres d’affaire). Pas mal du tout pour un jeu en accès anticipé, n'est-ce pas ? Ajoutez à ça les nombreux avis positifs et on est déjà tenté de le hisser comme un nouvel incontournable dans son genre. Mais les simulateurs de vie sont des jeux un peu à part. Que ce soit Stardew Valley , Animal Crossing ou le grand maître Les Sims , ces jeux se consomment différemment des autres jeux solo, c'est-à-dire sur le très long terme. À titre personnel, Les Sims 2 a pendant longtemps été cette addiction passagère que je retrouvais tous les deux mois environ, un jeu que j’oubliais presque pendant des semaines avant d’y succomber à nouveau pendant des journées entières. Et à en croire Will Wright, le créateur de la licence, mon cas est loin d’être une exception. Lors d’une interview auprès de Télérama , il était revenu sur la façon la plus répandue de consommer son jeu : “Pour beaucoup de personnes, les jeux vidéo, c’est comme regarder un film : vous le rapportez à la maison, vous jouez pendant deux semaines, vous le finissez, vous le mettez de côté et vous en rachetez un autre. Mais les joueurs des Sims fonctionnent plutôt différemment : pour eux, c’est un hobby. Ce n’est pas quelque chose dont ils vont voir le bout. Ils vont y jouer chaque mois pendant un an, ils collectionnent des nouveaux objets de décoration sur le web, ce qui augmente le temps de jeu.” Mais est-ce qu’un jeu comme inZOI a ce qu’il faut pour s’inscrire ainsi sur la durée ? Curiosité passagère Pour l’instant, c’est bien sûr difficile à dire. Mais si on analyse un peu les statistiques à notre disposition, on sent que le titre ne s’inscrit pas dans les mêmes dynamiques que les mastodontes du genre. Nous disions plus haut qu’inZOI se place parmi les jeux les plus vendus du moment sur Steam. En revanche, il est à la traîne quand on se penche sur les jeux les plus joués actuellement. Si on regarde les plus hauts pics de joueurs de ces dernières 24 heures - au moment où nous écrivons ces lignes bien sûr -, inZOI chute à la 146e position. 12 756 joueurs en simultané, c’est fort honnête attention, mais on commence déjà à sentir une différence entre les ventes et les joueurs actifs, ce qui n’est le cas que pour une poignée de jeux présents dans le top 15 des jeux Steam les plus vendus. Dans le cas d’inZOI, contrairement à un Schedule I ou à un Monster Hunter Wilds, il semblerait qu’il y ait plus de joueurs qui passent à la caisse que de joueurs qui jouent. Forcément, ça pose un peu question. Surtout que l'excuse de l'accès anticipé est difficilement entendable quand on voit comment des jeux comme Satisfactory, Enshrouded ou encore Valheim ont réussi à maintenir une audience proche de celle du lancement pendant des semaines. Alors est-ce qu’une fois passée la beauté de la découverte, inZOI n’aurait-il pas du mal à maintenir l’intérêt des joueurs ? Il y a en tout cas une autre donnée que l’on pourrait interpréter dans ce sens : les avis laissés sur le jeu. S’ils sont très positifs au global, il est intéressant de noter que peu ont été partagés par des joueurs ayant joué plus de 10 heures au jeu - ce qui n’est d’ailleurs déjà pas grand-chose pour un jeu du genre. Ces avis constituent à peine 30% de toutes les évaluations du jeu, là où le ratio atteint des 70, voire même des 90% sur des jeux comme Les Sims 4 ou Stardew Valley. On peut tout de même avancer pour sa défense que le jeu est sorti récemment. Mais on voyait déjà des temps de jeu à trois chiffres affichés sur plusieurs avis de Stardew Valley partagés seulement deux ou trois semaines après sa sortie. Ces chiffres appuient indirectement une sensation que j’ai depuis la sortie du jeu : inZOI attire avant tout un public plus large qui va au-delà de la niche des fans de simulateurs de vie. Il serait d’ailleurs fort probable que parmi vous, il y ait des joueurs qui se soient laissés tenter par inZOI alors qu’il ne s’agit pas de leur genre de prédilection initialement. J’ai moi-même dans mon entourage des gens qui attendaient inZOI sans être des fans des Sims et consorts, et qui, au bout d’une heure ou deux affirmaient à qui voulait bien l’entendre que le jeu était excellent. Je mettrais presque ma main à couper que la plupart d’entre eux ne dépasseront jamais les 10 heures de jeu. Et ce n’est pas un mal, attention... Cela dit, il se pourrait que ce public curieux ne soit pas vraiment la cible au final. Alors pourquoi craquer en premier lieu ? Sans doute un intérêt lié aux avancées que propose inZOI. Entre le réalisme très poussé et l’usage de l’intelligence artificielle, le titre de Krafton transcende les limites du genre pour venir titiller l’intérêt des joueurs de tout bord, leur faisant même parfois oublier leur aversion pour ce type de jeux. Mais si cela a sans doute permis à inZOI de s’attirer leurs faveurs depuis son lancement, est-ce que leur intérêt tiendra sur la longueur ? Est-ce ce public qui va permettre au jeu de vivre dans le temps et de ne pas se retrouver dans le grand cimetière des simulateurs de vie plus intéressant en théorie qu’en pratique ? Loin de moi l’idée de vouloir enterrer inZOI trop tôt, surtout qu’il s’agit d’un accès anticipé et que son destin sera donc intrinsèquement lié aux réponses qu’apporteront les développeurs aux demandes des joueurs dans les prochains mois. En revanche, il y a un gros point qui joue en sa défaveur pour se hisser aux côtés des plus grands titres du genre ou même simplement pour perdurer : son manque d’accessibilité. inZOI a fait le choix de la technique, est-ce qu'il sera payant ? Simulateur pour tous inZOI est loin d’être un jeu pour tous. Au-delà de l’absence de versions consoles, il nécessite surtout un PC performant pour pouvoir y jouer. Ses ambitions techniques ont un coût, le coût d’une NVIDIA GeForce RTX 2060. Cela veut dire qu’inZOI n’est pas le genre de jeu que l’on peut lancer sur son petit ordinateur portable à 300 euros quand on s’ennuie pendant un cours magistral à la fac. C’est peut-être un détail pour les joueurs PC, mais pour une grande partie des joueurs de jeux du genre, ça veut dire beaucoup. Ce qui a contribué au succès grand public d’un jeu comme Les Sims, c’est avant tout son accessibilité. Et c’est le cas pour de nombreux simulateurs de vie. Stardew Valley, Disney Dreamlight Valley, Animal Crossing… Une Switch Lite à 200 euros ou un PC pensé pour le traitement de texte à 300 euros suffisent pour jouer à ces jeux. Avec inZOI, on rentre dans une autre catégorie de joueurs. Et s’il y a bien sûr des joueurs avec de gros PC qui jouent aux simulateurs de vie, ils ne pèsent pas lourd face à la masse que constitue le grand public. D’ailleurs, quand vous pensez à ce genre de jeux, vous avez sans doute une image atypique qui vous vient en tête. Cela va de mamie Madeleine qui passe des heures à agencer sa petite maison à Cindy, 13 ans, qui s’évade en s’inventant toute une vie sur Les Sims. S’il est généralement mortifère de s’accrocher ainsi à des clichés, il faut avouer que dans le cas des simulateurs de vie, ces derniers sont imprégnés d’une part de vérité. Hélas, difficile de trouver des chiffres sur lesquels se baser pour savoir à quel point ce ressenti reflète la réalité. Mais il y a tout de même des moyens détournés d’évaluer cet aspect ultra grand public, surtout si on se concentre sur le mastodonte Les Sims. Un joueur avait ému Internet en dévoilant la ferme de sa mère septuagénaire Il y a bien sûr les impressionnants chiffres de ventes de la licence. Si dans le petit cercle privé des hardcorer gamer on regarde parfois avec suffisance la franchise, il s’agit de l’un des plus gros géants de l’industrie. Les Sims 4, pour ne citer que lui, c’est plus de 80 millions de joueurs selon EA. Certes, ces chiffres bénéficient de deux ans de gratuité, mais le jeu avoisinait déjà les 50 millions de ventes avant le passage au format free-to-play. On est loin des 300 millions de Minecraft – qui cela dit est un jeu ultra accessible également – ou de l’aura d’un GTA V avec ses quasi 200 millions, mais c’est largement suffisant pour se hisser dans le top 10 des jeux les plus vendus de tous les temps. Pas mal pour un genre de niche déconsidéré par beaucoup de joueurs, non ? Pas besoin d'être un génie pour voir en ces chiffres la force de frappe du très grand public. Chiffres qui explosent d’ailleurs ceux de son prédécesseur – un petit 10 millions seulement -, justement pointé du doigt à cause de ses nombreux bugs et sa configuration PC requise plus exigeante. Autre donnée intéressante : les statistiques démographiques particulièrement diverses des Sims. Il est rare qu’EA et Maxis dévoilent des informations sur leurs joueurs, mais ils l’ont fait en 2023 lors de la GDC. L’occasion d’apprendre que les personnes homosexuelles représentent par exemple 6% de la base des joueurs des Sims, alors qu’elles ne constituent que 3% de la population mondiale d’après une étude d’Ipsos menée dans 30 pays. Certes, l’inclusivité en jeu contribue à ces données, mais nombreux sont les jeux à faire des efforts à ce niveau sans atteindre ces statistiques surprenantes. À mon avis, il y a un autre facteur non-négligeable à prendre en compte : l’accessibilité – on y revient. Les personnes issues de minorités sexuelles, de genre ou ethniques font partie des publics les plus frappés par la précarité, de nombreuses études le montrent. Et quand on est précaire, impossible de dépenser des milliers d’euros dans des loisirs. Cela vaut également pour l’âge des joueurs. Les jeunes et les personnes âgées ne bénéficient en moyenne pas de gros apports financiers. À ce niveau, un jeu comme Les Sims qui nécessite peu d’investissement monétaire comparé à d’autres jeux et permet de jouer presque sans limite paraît un investissement plus que rentable - même s'il reste un luxe inatteignable pour certains. Et encore une fois, cela vaut pour Les Sims mais aussi Stardew Valley ou Animal Crossing, dans une moindre mesure. Sans compter que la façon de consommer ce genre de jeux – en picorant de-ci de-là – permet également de s’adapter à tout type de rythme de vie et d’emploi du temps, sans nécessiter de longues plages horaires dédiées aux loisirs ou rajouter une certaine charge mentale à des joueurs qui ont déjà un lourd bagage à porter. En ne répondant pas à ces critères, j’ai bien peur qu’inZOI ne puisse décemment pas espérer ne serait-ce que venir chatouiller le mastodonte Les Sims, ou même s’installer durablement sur le marché des simulateurs de vie. Car si le titre ne s’adresse pas à la cible habituelle de ce genre de jeux qui le fera vivre ? Est-ce que tous ces joueurs ayant assouvi leur curiosité passagère seront prêts à passer des centaines d’heures sur le jeu ou retourneront-ils vers les jeux qui collent plus à leur profil ? En se rendant aussi inaccessible, inZOI risque de se retrouver coincé dans un entre-deux et ne finalement pas rencontrer son public sur le long terme. Et cela vaut autant pour l’aspect technique que le jeu en lui-même.