« C’était l’enfer, je n’en dormais plus, je ne vivais plus… » Ancien manager de B&B Hotels, Jérôme Pineau comprend Emmanuel Hubert (Arkéa) dans le flou pour 2026
Mal, super mal. J’étais en stress permanent, j’étais toujours sous pression, j’avais la responsabilité d’une cinquantaine de salariés, d’une cinquantaine de familles sur les épaules. Quand tu es manager, tu es seul dans les bons comme dans les mauvais moments. Et dans les très mauvais, tu es encore plus seul. Tu n’as pas de soutien, tu es responsable de tout le projet. Tu ne peux compter sur personne. Si tu n’y arrives pas, c’est ton échec, point. C’est un tel poids… Lorsque ça brille, il y a toujours beaucoup de monde. Quand ça ne brille plus, il y en a beaucoup moins. Du coup, tu fais parfois un peu n’importe quoi… Tu as tendance à accepter tous les rendez-vous qui se présentent, tu sautes sur tout ce qui bouge, tu n’as envie de rien rater au cas où. Au cas où… Au final, tu perds énormément de temps car il y a des gens mal intentionnés. La difficulté, c’est aussi de trier les bons et les mauvais contacts. Quant aux promesses… En fait, tu vas de déception en déception. Tu t’accroches à une branche et elle casse le lendemain et c’est comme ça tous les jours ou presque. C’est très, très compliqué. Quand tu as une piste sérieuse, tu sais que tant que ce n’est pas signé, tu sais que ça peut te péter à la gueule du jour au lendemain. Personnellement, je n‘en dormais plus, je ne vivais plus. C’était l’enfer ! Je gambergeais, j’étais dans un état second. Encore une fois, si tu te plantes, c’est ton échec. Souvenez-vous, quand je me suis planté, on n’a pas montré du doigt les partenaires qui se sont retirés, on n’a pas montré du doigt ceux qui n’ont pas tenu leurs promesses. C’est moi qui ait tout pris dans la figure. Quand tu es manager dans ce contexte, tu n’as pas non plus le droit d’avoir des failles. À l’époque, par exemple, il avait été relaté que j’étais parti en vacances pendant la crise, sauf que je ne pensais plus à moi depuis des mois et j’avais besoin de souffler. Ma santé en a pris un coup. Je n’étais pas du tout préparé à cela. J’essayais de trouver des solutions pour sauver l’équipe, je refaisais mes calculs, je faisais des plus et des moins, je préparais mes rendez-vous, je regardais les informations… Durant deux mois, je sentais la catastrophe arriver. Comment vit-on cela vis-à-vis de ses coureurs, de son staff ? Malgré tout, il faut rester la tête haute. Ne rien dire mais garder le cap et mobiliser tout le monde. Parler ouvertement, c‘est difficile parce que ça fait paniquer tout le monde et ne pas en parler, c’est une erreur parce que ça ne fait que repousser. C’est hyper dur à gérer. J’imagine que la 2e place de Kevin Vauquelin sur la Flèche Wallonne n’a soulagé Manu (Hubert) que partiellement. Il a vite été rattrapé par la réalité. J’imagine que ses coureurs doivent l’observer quand il vient sur les courses. Quand j’étais coureur chez Jean-René Bernaudeau (manager de TotalEnergies) à l’époque où il cherchait un repreneur, on allait chercher au fond de son regard, dans ses attitudes, dans son comportement, des signes. À lire sur le sujet Le calendrier de la saison Psychologiquement, ça ne doit pas non plus être simple à gérer… C’était l’enfer, je n’en dormais plus. Tu ne peux pas te coucher paisiblement le soir en sachant que la sentence approche et que tu risques de licencier 50 personnes. N’importe quel homme normalement constitué ne peut pas dormir avec ça. Quand j’ai senti que ça n’allait pas le faire, lorsque l’on m’a claqué la porte au nez, je suis tombé en dépression. J’avais des idées noires. J’étais entré dans une spirale négative. Ma famille et mes proches m’ont sauvé. L’après a également été très très difficile à vivre. J’étais harcelé sur les réseaux, on m’insultait… J’ai mis deux ans à m’en remettre. Pendant deux ans, je n’ai pas remis les pieds sur une course cycliste. J’avais un sentiment de honte, de culpabilité, de haine vis-à-vis de ceux qui m’ont trahi. Je n’oublierai jamais. À titre personnel, vous souvenez-vous du moment où vous avez commencé à paniquer ? Quand vous êtes manager d’une équipe cycliste, vous cherchez des partenaires en permanence. Tour le temps. Le danger, c’est de se dire que l’on est sous contrat avec un partenaire et que l’on est tranquille. Sans froisser personne, il faut à la fois gérer vos partenaires actuels et ceux qui pourraient éventuellement vous rejoindre. À partir du moment où vos partenaires vous disent qu’ils vont arrêter, vous savez à quoi vous en tenir. Malheureusement, c’est jamais ultra-franc. Si vous saviez certains rendez-vous loufoques que j’ai eus… C’est-à-dire ? Je me souviens avoir été reçu par des gens du showbiz dans un grand restaurant parisien. Ils m’avaient laissé entendre qu’ils allaient trouver un partenaire et me demandaient déjà combien ils allaient toucher en commissions. Des gens sous drogue… Dans un état normal, avec un peu de hauteurs, je n’y serai jamais allé. Combien d’entreprises avez-vous rencontrées pendant vos recherches ? Pendant l’aventure de l’équipe, j’ai dû rencontrer plus de 500 entreprises et en 2022, dans les six derniers mois, j’en ai rencontré une centaine. Des mails, des projections de maillot avec la publicité du partenaire éventuel dessus, j’en ai au envoyées plus de 1 000. Je passais ma vie à ça. Oui, c’est la période la plus noire de ma vie. Ça été terrible Quel a été le moment le plus douloureux à vivre ? Lorsque j‘ai annoncé à mon équipe que c’était fini, qu’il n’y avait plus d’espoir. Mon équipe, c’était une famille. J’avais constitué une équipe et un staff avec qui j’avais des liens forts. Oui, c’est la période la plus noire de ma vie. Ça été terrible. Avec le recul, je suis conscient de ne pas avoir tout bien fait mais je n’avais plus la force de faire autrement. Je me souviens parfaitement des dernières semaines, des derniers instants. Le jour où j’ai le mieux dormi, c’est après l’annonce. J’étais presque soulagé que ça s’arrête même si les emmerdes ont continué. Racontez-vous… J‘ai tout perdu, je suis ruiné… J’ai une étiquette dans le dos et je suis l’un des derniers à subir ce qui s’est passé. J’ai été professionnel 13 ans, j’ai monté mon équipe et fait vivre des gens et aujourd’hui, je suis ruiné. J’ai tout perdu. Pourquoi avoir attendu le dernier moment pour annoncer la fin de votre équipe ? Parce que l’on m’a baladé jusqu’à fin octobre, début novembre, avec des promesses qui n’ont jamais été tenues. J’avais encore une corde à mon arc avec la continuité de certains partenariats en place. Sauf qu’avec le ramdam généré, certains partenaires se sont dit qu’ils ne pouvaient plus continuer dans ces conditions. Fin novembre, tu ne retrouves pas quatre millions d’euros. J’aurais aimé annoncer que l’équipe était en danger comme Manu l’a fait, j’aurais aimé avoir le temps. Avez-vous échangé avec Emmanuel Hubert ? Je lui ai envoyé un message pour lui dire que s’il avait juste besoin de parler, j’étais là. Il y a deux ans, j’aurais aimé que l’on m’appelle, que l’on me dise que je n’étais pas un méchant, que je n’étais pas un voyou, que je n’étais pas un salopard si je ne trouvais pas de sponsor. Parce qu’en définitive, c’est le sponsor qui a la clé. Je ne vais pas lui trouver un partenaire mais je peux l’aider à ma manière. Je comprends sa situation, je me revois en 2022, je comprends par quels états il passe, je n’aimerais pas être à sa place. Manager d’équipe, c’est un immense boulot, tu es en sursis en permanence. Dans le vélo, l’espoir ne fait pas vivre Il a confié avoir été tout proche d’aboutir… Là aussi, je sais que c’est. Je suis passé par là. Souvenez-vous, j’avais vendu mon projet à la Ville de Paris, la presse nationale en avait même parlé, j’avais un accord verbal d’un très grand groupe pour reprendre mon équipe. Et du jour au lendemain… Ça s’est sans doute passé comme ça pour Manu (Hubert). C’est toujours un peu comme ça, en fait. Tu fais des rendez-vous, tu sens que c’est positif, tu y crois. Finalement, on joue avec toi, tu deviens une marionnette. Tu dois avoir le tact, l’envergure et le charisme d’un chef d’entreprise mais face à ces gens qui demandent de l’argent, tu te fais tout petit. Parfois, on te fracasse. Humainement, c’est très très fatigant. Pensez-vous qu’il va parvenir à ses fins ?