Une punition, un peu comme au collège. Après les enseignants, les forces de l’ordre seront elles aussi autorisées à confisquer les téléphones portables. A la différence qu’il s’agit de ceux des consommateurs de drogue et des vendeurs et non d’élèves turbulents. La mesure a été annoncée ce jeudi par le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, dont l’obsession est la lutte contre les trafics de stupéfiants. Elle vise principalement les usagers qui utilisent leur appareil pour contacter leur dealer via les messageries cryptées ou les réseaux sociaux. Car le gouvernement à beau s’attaquer aux réseaux, le trafic de drogue n’a jamais été aussi florissant en France. « L’offre et le marché [sont] en expansion », indiquait en janvier dernier l’OFDT (Observatoire français des drogues et des tendances addictives). Malgré les mesures prises par les ministres de l’Intérieur successifs, le nombre de consommateurs peine à baisser. Ils étaient, en 2023, 5 millions à fumer régulièrement du cannabis, dont 900.000 quotidiennement. La même année, 1,1 million a expérimenté la cocaïne. Bruno Retailleau et, avant lui, Gérald Darmanin, n’ont pourtant de cesse de communiquer chiffres des saisies de drogue, toutes plus importantes les unes que les autres. « En réalité, ce sont des indicateurs de réussite du trafic, car plus il y a de trafics, plus il y a de saisies », explique à 20 Minutes Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Montpellier. « En France, les drogues n’ont jamais été aussi disponibles. Toutes les mesures prises et annoncées ne servent à rien », ajoute-t-il. « L’échec complet » des amendes forfaitaires Gérald Darmanin ayant démantelé la police judiciaire lorsqu’il était place Beauvau, les enquêteurs spécialisés estiment ne plus avoir les moyens organisationnels pour s’attaquer aux réseaux importants. L’ancien ministre a tablé sur ses opérations « Place nette » pour éradiquer les trafics de drogue qui pullulent dans les cités. Des dizaines de petites mains ont été interpellées. Mais la nature ayant horreur du vide, les points de deal ont rapidement été repris par des équipes concurrentes. Et le trafic a repris de plus belle. Conscient de l’inefficacité des mesures prises, le gouvernement a décidé de s’en prendre aux consommateurs. En les culpabilisant, d’abord, mais aussi, depuis 2020 en s’attaquant à leur portefeuille grâce à l’amende forfaitaire délictuelle. Cette mesure consiste à verbaliser un consommateur qui se trouve en possession d’une petite quantité de drogue. Est-ce que ça marche ? « C’est un désastre, un échec complet, souligne Yann Bisiou. Le taux de recouvrement est de l’ordre de 30 %. Cela veut dire que, dans deux cas sur trois, la police ou la gendarmerie travaille pour rien. » La mesure visait aussi à faciliter le travail des forces de l’ordre sur le terrain, en leur évitant les procédures chronophages qui visaient les usagers de stupéfiants. Désormais, elle pourrait être assortie de la confiscation de leur téléphone. Cela signifie qu’il faudra les interpeller puis établir que l’appareil a été utilisé pour contacter un dealer. Une mesure inefficace « sur les gros réseaux » « Il y a une dichotomie entre l’esprit initial de désengorger les tribunaux avec la mise en place de l’AFD et cette mesure qui n’est pas dénuée de bon sens », remarque auprès de 20 Minutes Eric Henry, délégué national du syndicat Alliance police nationale. « Cette mesure est davantage faite pour faire comprendre qu’il est nécessaire de continuer de changer de braquet et d’élargir les moyens d’action dans la lutte contre la criminalité liée aux stupéfiants y compris vis-à-vis des acheteurs », ajoute-t-il. « Cette mesure, si elle est jugée légale, ferait partie des moyens qui pourraient permettre de démanteler des petits réseaux. Lorsqu’un un jeune a un téléphone à 800 euros et qu’il va lui être confisqué, il réfléchira à deux fois avant de l’utiliser pour commander des stupéfiants. » Pour Yann Bisiou, la mesure annoncée par le ministre de la Justice est avant tout « un aveu d’échec incroyable », lui qui a été durant quatre ans ministre de l’Intérieur. « La confiscation est prévue depuis plus de 20 ans en matière de stupéfiants. On pouvait déjà le faire. Elle a même été rendue plus facile en juin 2024. Toutefois, ce n’était pas l’esprit de la loi qui visait les infractions les plus graves, punie de plusieurs années de prison. Mais comme en matière de drogue, on traite les usagers comme des trafiquants, la confiscation des téléphones était tout à fait possible. Sauf que ce n’était pas le but », observe l’universitaire. Selon lui, les consommateurs vont « très vite comprendre comment contourner la mesure ». « Une fois l’effet de surprise passée, la mesure sera inefficace. Et surtout, elle ne réglera pas le problème de drogue en France. »