Un peu comme en 1980…

Une femme portant une casquette sur laquelle on peut lire « Canada strong, elbow up » écoute le chef libéral, Mark Carney, lors d’un rassemblement électoral à London, en Ontario. Ce fut une campagne électorale qu’on retiendra sans doute comme celle où rien n’a réussi à faire bouger les aiguilles des sondages. Ni les débats, ni les forces ou les faiblesses des candidats, ni les programmes et les promesses. Une campagne comme on n’en a jamais vu ? Pas tout à fait ! Sous bien des aspects, elle ressemble pas mal à celle de 1980. Pas une copie conforme, bien évidemment, mais il y a des similitudes frappantes. Une campagne qui se déroule avec, en toile de fond, une menace fondamentale à l’unité et à la souveraineté canadienne. Un chef libéral plébiscité par ses troupes. Un chef conservateur clivant, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Et une campagne électorale qui met en lumière des divisions est-ouest profondes. Cette année, c’est l’ombre de Donald Trump et ses menaces tarifaires qui a plané sur toute la campagne. Et la question de l’urne s’est vite imposée : qui voulez-vous pour négocier avec Trump au nom du Canada ? En 1980, c’était plutôt l’ombre d’un référendum imminent sur la souveraineté du Québec qui a plané sur la campagne fédérale. Et la question de l’urne était vite devenue : qui voulez-vous pour négocier avec René Lévesque au nom du Canada ? Le gouvernement conservateur éphémère de Joe Clark avait été défait sur son budget et n’avait donc plus la confiance de la Chambre des communes. Il n’avait pas vraiment d’autre choix que de déclencher des élections. Mais après un peu plus de six mois au pouvoir, le gouvernement Clark donne alors surtout l’impression d’accumuler les gaffes : du déménagement – qui n’aura jamais lieu – de l’ambassade canadienne de Tel-Aviv à Jérusalem à un premier budget d’austérité, comprenant une hausse de la taxe sur les carburants de 4 cents le litre. Au lieu de négocier avec les créditistes qui s’y opposent et détiennent la balance du pouvoir, Clark s’entête et son gouvernement est défait sur un vote de confiance. Les libéraux n’ont pas de chef à ce moment-là, puisque Pierre Trudeau avait démissionné peu après sa défaite aux urnes en mai 1979. Qu’à cela ne tienne, le caucus le plébiscite dans l’urgence et il redevient le chef en vue d’un scrutin qui se tiendra le 18 février 1980. Trudeau fera à peine campagne – une caricature célèbre de l’époque le montre saluant la foule depuis son avion en vol –, mais gagnera un gouvernement majoritaire. Joe Clark aura beau se démener et tenir plusieurs évènements par jour pendant toute la campagne, il ne réussira jamais à faire bouger l’aiguille des sondages. Mes souvenirs sont encore très vifs d’une tournée épuisante en Saskatchewan en plein hiver. Ma première, mais pas ma dernière campagne électorale « dans l’autobus des médias ». Ça ne s’oublie pas ! Mark Carney a, lui aussi, mené une campagne sans beaucoup d’éclat. Son français reste entaché par une bonne couche de rouille. Son programme est imprécis sur bien des aspects, d’une réforme des institutions démocratiques aux moyens de contrer la crise du logement. Mais les sondages, depuis le début de la campagne, lui prédisent une victoire. La seule inconnue aujourd’hui, c’est de savoir s’il sera à la tête d’un gouvernement majoritaire ou minoritaire. Le chef conservateur, Pierre Poilievre, avait deux handicaps : une personnalité clivante et un programme beaucoup plus à droite que ce qu’attendaient la majorité des Canadiens. Il a relancé le mythe qu’il est possible de baisser les impôts tout en améliorant les services. Et, pour la première fois depuis des années, son parti n’a même pas une cible de réduction des gaz à effet de serre. Ajoutez à cela sa décision de ne pas admettre les médias dans son avion de campagne, qui passera sans doute à la petite histoire comme l’une des plus malavisées de toutes les campagnes électorales. Surtout, cela a permis à Mark Carney de survoler la campagne électorale et de conserver une modeste avance qui n’a pratiquement pas bougé depuis le déclenchement de l’élection. Sa carte de visite n’était pas tant son programme que son CV d’ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre. Mais, s’il gagne, M. Carney risque de se retrouver avec le même problème que Pierre Trudeau en 1980 : une absence presque totale d’appuis dans l’Ouest. M. Trudeau, il est pertinent de le rappeler, avait obtenu un gouvernement majoritaire, mais avec seulement deux sièges à l’ouest de Thunder Bay. Si M. Carney l’emporte, la brisure entre l’Est et l’Ouest risque d’être presque aussi importante qu’à l’époque de Pierre Trudeau. L’effondrement du Nouveau Parti démocratique et notre mode de scrutin y seront pour beaucoup, mais le défi d’un pays pratiquement coupé en deux reste le même. Enfin, les conservateurs vivront difficilement une douloureuse défaite et la perte de l’avance de 20 points de pourcentage dans les sondages qu’ils avaient maintenue pendant plusieurs mois. À vrai dire, les règlements de comptes sont déjà commencés. Comme en 1980… Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue