Abo Coûts de la santé – Des spécialistes craignent une médecine à deux vitesses Des forfaits pour certaines interventions ambulatoires sont censés freiner la hausse des primes. Mais le secteur de la santé met en garde contre une baisse de la qualité des soins. Markus Brotschi Certaines opérations effectuées en ambulatoire seront désormais facturées à un prix fixe. Christian Jaeggi Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio. S'abonnerSe connecter BotTalk En bref : Dès 2026, environ 120 interventions médicales courantes se verront appliquer un tarif forfaitaire. Plusieurs sociétés médicales mettent en garde contre une baisse de la qualité due à ces nouveaux tarifs. La commission des tarifs est chargée de remédier aux éventuelles lacunes jusqu’à l’introduction. En Suisse, les traitements ambulatoires en cabinet et à l’hôpital coûtent 15 milliards de francs par année. Cette somme pharaonique équivaut à environ un tiers des recettes issues des primes d’assurance maladie. C’est pourquoi le Conseil fédéral souhaite introduire en 2026 un nouveau système tarifaire, appelé TarDoc. TarDoc viendra remplacer l’ancienne structure TarMed, jugée obsolète. La décision définitive sera prise prochainement par les sept Sages. Officiellement, le passage au TarDoc mettra officiellement fin à un conflit entre les associations d’assureurs maladie, les hôpitaux et le corps médical. Mais en coulisses, le nouveau système est loin de faire l’unanimité. Les médecins spécialistes se montrent en effet sceptiques quant aux nouveaux tarifs forfaitaires prévus. Concrètement, certaines interventions seront à l’avenir facturées à prix forfaitaire, soit à un montant fixe. Jusqu’à présent, le prix des traitements ambulatoires variait en fonction de la charge de travail. Médecine à deux vitesses Une alliance regroupant diverses sociétés de médecins spécialisés, l’association pharmaceutique Interpharma et la représentation des hôpitaux privés (Ospita) s’est formée pour mettre en garde contre les nouveaux forfaits. Ceux-ci auraient été mal calculés. À l’avenir, certains traitements coûteux pourraient ne plus être rentables, car les forfaits ne couvriraient plus tous les coûts, craint-elle. L’alliance craint une médecine à deux vitesses et une baisse de la qualité des soins. C’est pourquoi elle demande à la ministre de la Santé, Elisabeth Baume-Schneider, de reporter l'introduction des nouveaux tarifs à 2027, comme le rapporte la «NZZ». Par ailleurs, certains médecins menacent d’ores et déjà de transférer leurs patients vers des hôpitaux pour des interventions dont les coûts ne seront plus couverts. D’autres prévoient de répartir les traitements coûteux sur plusieurs consultations afin de pouvoir facturer un forfait séparé pour chaque étape du traitement. Retina Suisse, l’association pour les personnes atteintes de maladies oculaires, donne un exemple concret. Dans une prise de position approuvée par la Société suisse d’ophtalmologie, elle cite ainsi le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Il s’agit d’une maladie dont souffrent de nombreuses personnes âgées et qui entraîne une perte d’acuité visuelle. La DMLA se traite par le biais d’injections dans l’œil, administrées à quelques mois d’intervalle dans un cabinet ambulatoire. À l’heure actuelle, le traitement est facturé à des tarifs qui varient en fonction de l’étape. Jusqu’à présent, les médecins pouvaient également facturer séparément le médicament administré. Or, avec le TarDoc, l’intégralité du traitement sera indemnisée par un montant forfaitaire d’environ 1300 francs. Le type de produit injecté, dont le prix varie entre 678 et 545 francs, ne joue aucun rôle. Le médicament moins cher systématiquement utilisé? Retina Suisse craint que l’introduction d’un prix fixe ne pousse les médecins à systématiquement se tourner vers le médicament le moins cher. Dans le cas de la DMLA, il s’agit d’un biosimilaire, une préparation imitant l’original et fabriqué par biotechnologie, explique le directeur de l’association, Stephan Hüsler. Le hic: plus le médicament moins cher est prescrit, plus le forfait baisse. En effet, les forfaits TarDoc ont été conçus de façon à pouvoir être constamment adaptés. Selon Stephan Hüsler, cela empêchera les patients de bénéficier de nouveaux médicaments plus efficaces, mais plus chers. Il craint également un effet paradoxal de la prescription du biosimilaire bon marché sur les coûts: la copie devant être injectée plus souvent que l’original, davantage de consultations seront nécessaires. Le forfait sera donc facturé plus souvent. Le TarMed doit être remplacé au plus vite, estime l’OFSP De son côté, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) rappelle que les forfaits correspondent à une valeur moyenne des cas recensés. Il estime donc tout à fait normal que certains cas soient plus chers et d’autres moins chers que le forfait défini pour le traitement. Tant l’OFSP que la Fédération des médecins helvétiques (FMH) soulignent que les éventuels défauts peuvent encore être corrigés avant l’introduction des tarifs forfaitaires. Même dans l’année qui suivra leur introduction, les tarifs seront actualisés en permanence et adaptés le cas échéant, précise l’OFSP. L’office fédéral ignore cependant s’il sera possible de remédier à tous les défauts avant l’introduction du TarDoc. Il estime toutefois primordial que le TarMed soit remplacé au plus vite. Les pédiatres, les médecins de famille et les psychiatres, en particulier, attendent en effet avec impatience les améliorations prévues. C’est avant tout la principale faîtière des assureurs SantéSuisse qui s’est battue pour l’introduction des prix forfaitaires. Ceux-ci sont censés mener à des prestations médicales à moindre coût. Des forfaits sont prévus pour environ 120 interventions courantes, comme la pose d’un stimulateur cardiaque, l’opération de la cataracte ou l’ablation des amygdales. Une grande partie des traitements continuera cependant à être facturée à des tarifs variables, surtout les prestations des médecins de famille. Trop de scanners et d’IRM Une récente enquête du Contrôle fédéral des finances (CDF) sur l’utilisation des scanners et des appareils d’imagerie par résonance magnétique (IRM) arrive elle aussi à la conclusion que le TarMed doit être remplacé. Les examens d’imagerie engendrent des coûts annuels de 2,1 milliards de francs, soit un sixième des frais de traitement ambulatoire. Sur ce montant, 600 millions sont imputables aux ultrasons et 850 millions aux examens par scanner et IRM. Pour le CDF, le TarMed est en partie responsable. «Les tarifs favorables ont conduit au développement d’une offre étendue», indique son rapport. Le CDF souligne que le nouveau système TarDoc entraînera une baisse des contributions à l’infrastructure des instituts de radiologie. Il appelle néanmoins l’OFSP à faire preuve de vigilance afin de s’assurer que cette baisse ne soit pas compensée par un nombre plus élevé d’examens. Newsletter «Dernières nouvelles» Vous voulez rester au top de l’info? «Tribune de Genève» vous propose deux rendez-vous par jour, directement dans votre boîte e-mail. Pour ne rien rater de ce qui se passe dans votre canton, en Suisse ou dans le monde. Autres newsletters Se connecter Markus Brotschi est rédacteur au Palais fédéral pour Tamedia. Ses reportages portent principalement sur la politique sociale et la santé. Il travaille comme journaliste et rédacteur depuis 1994. Plus d'infos Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.