La panne d’électricité en Espagne n’aurait pas pu se produire en France (mais ce n’est pas grâce au nucléaire)

On ne connaît pas encore l’origine du black-out espagnol, mais la possibilité qu’il puisse à nouveau se produire fait peur. ÉNERGIE - Lundi 28 avril, l’Espagne et le Portugal tombent dans le noir complet. La péninsule ibérique vient de subir, pendant cinq petites secondes, une baisse gigantesque de sa production électrique ; elle a ainsi chuté de 60 %. Passé le choc et un rétablissement progressif, le temps est au débat, au sud des Pyrénées, mais en France aussi. Passées les théories fumeuses sur l’origine de la panne, les yeux de certains Français se sont tournés vers un coupable potentiel. Une cible d’autant plus facile qu’elle n’a nettement pas la même importance dans le mix électrique suivant le côté de Pyrénées : les énergies renouvelables (EnR). Bien que confortable, alors que l’Hexagone n’atteint pas 30 % d’EnR, cette interprétation passe à côté de l’essentiel, explique au HuffPost Yannick Perez, professeur en économie des énergies et des mobilités à CentraleSupélec (Paris Saclay). « Chez nous, le résultat serait très différent pour une raison électrotechnique de base : l’Espagne est une “île” électrique », décrypte le spécialiste. Certes il y a quelques liaisons avec la France et le Maroc, mais elles ne sont guère capables d’apporter plus que quelques pourcents à la production nationale. Le pays est en autarcie : « les interconnections ne sont pas géniales, et comme en plus l’électricité n’aime pas voyager plus de 300 ou 400 kilomètres… », impossible donc pour le sud-ouest ibérique, d’où a commencé la panne, de recevoir des secours par la liaison nord. Chez nous, le paysage est bien différent. « On bénéficie d’interconnexions assez importantes avec l’Allemagne, la Belgique, l’Angleterre, la Suisse… C’est un réseau beaucoup plus vaste qui peut encaisser les chocs », assure Yannick Perez. Ce réseau continental aurait permis de faire face à la chute de 15 gigawatts. Le problème de l’isolement espagnol et portugais est identifié de longue date. Depuis 2021, un nouveau câble à haute capacité passant par le golfe de Gascogne est en train d’être déployé, et reliera en 2027 la Gironde avec le Pays basque espagnol. La péninsule souffrira alors (un peu) moins de son statut d’île énergétique. Si la panne n’a pas pu être amortie par le manque de liaisons extérieures, la production espagnole d’électricité n’est-elle pas, pour autant, la première fautive ? En Espagne, les énergies renouvelables dépassent désormais 50 % du mix électrique, avec un objectif à 80 % en 2030. Récemment, le pays a même brièvement consommé une énergie produite intégralement par du renouvelable ! Or ces énergies, celle du soleil et du vent (hors hydroélectricité) sont dites « non-pilotables ». Une éolienne tourne ou elle ne tourne pas. Si elle tourne sans qu’il y ait de demande, l’énergie qui n’est pas stockée est perdue… Mais surtout, si un besoin urgent d’énergie se faire sentir, impossible « d’activer » le vent ou le soleil comme on active une centrale thermique. Voilà pourquoi de nombreux commentateurs et experts n’ont pas manqué de mettre en cause le choix des renouvelables, source jugée trop intermittente pour pouvoir prendre le relais en cas de panne. Et en France ? Le problème se pose aussi. Mais d’une autre façon. « Le nucléaire, explique Yannick Perez, c’est bon pour des chocs où l’on a de la marge. C’est très bien si l’on prévoit qu’on aura un besoin dans 2-3 jours… en dessous, je préférerais qu’on évite de le faire ! ». Car même si en France le « suivi de charge » du nucléaire est particulièrement rapide, il faut plusieurs heures pour en augmenter la puissance. Autrement dit, en cas de défaillance majeure et instantanée, c’est d’abord l’interconnexion qui nous sauvera, avant que les réacteurs nucléaires ne suivent. La différence c’est que l’Espagne, engagée dans un mix électrique faisant la part belle aux renouvelables, ne dispose pas de moyen de stocker l’énergie produite par les éoliennes et les panneaux solaires. Contrairement à ce qui se passe en Californie et au Texas, où de vastes zones ont été réservées au stockage de l’énergie par batterie lithium-ion, l’Espagne n’a pas de batteries qui prendraient le relais en cas de défaillance du réseau. C’est en réalité une question de « crise de croissance », estime notre expert, plus qu’une erreur stratégique. Car d’ici la fin de la décennie, plusieurs projets de stockage longue durée seront nés dans le pays. Et pour la France, où le mix est très favorable au nucléaire, ce sont les centrales qui font office de batterie de secours. Alors, sauvés ? Pas encore. Si une panne beaucoup plus puissante s’abattait sur la France, pour « un choc d’une ampleur équivalente sur le système continental », l’aide des voisins ne suffirait pas. La seule réponse à une panne de ce type serait alors de la circonscrire avant qu’elle s’étende à tout le pays. « Comme on l’a fait en 2003 quand l’Italie a eu son black-out. Les opérateurs en Suisse et en France ont suspendu l’interconnexion », raconte Yannick Perez. Mais à l’intérieur même d’un pays, couper une région entière est-elle la conduite à suivre ? En tout cas, sur son site, le gestionnaire du réseau électrique français RTE l’assure : « la première étape consiste à limiter l’ampleur du phénomène » en isolant la zone touchée par la panne. Cela, l’Espagne ne l’a pas fait, en décidant par exemple de « sacrifier » l’Andalousie pour garder le courant ailleurs. Cela ne signifie pas pour autant que l’on soit prêt pour une crise majeure. « Si la crise espagnole a été mal gérée », explique l’expert, c’est tout simplement « parce qu’on ne l’a jamais eue avant ». Autrement dit, si la France faisait face à un problème aux proportions européennes, et non insulaires, rien ne dit dans une telle urgence que la méthodologie en place serait la bonne… Tant que le problème n’a pas eu lieu. À voir également sur Le HuffPost : La lecture de ce contenu est susceptible d’entraîner un dépôt de cookies de la part de l’opérateur tiers qui l’héberge. Compte-tenu des choix que vous avez exprimés en matière de dépôt de cookies, nous avons bloqué l’affichage de ce contenu. 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